De lourdes sanctions ont �t� prononc�es, il y a quelques jours, � l'encontre de magistrats. Le Conseil sup�rieur de la magistrature (CSM), selon notre confr�re Libert�, a eu la main plut�t lourde. Il n'a pas fait dans la dentelle et a frapp� fort en radiant, bl�mant, mutant et d�gradant des juges, pr�sidents de cours et de tribunaux, accus�s de corruption, d'indiscipline, d'insubordination, d'abus de pouvoir et autres �carts comme l'insoumission � l'obligation de r�serve. La d�cision concernant chacun des cas est tomb�e comme un couperet. Il faut ajouter, par ailleurs, et si l'on en croit le r�glement de l'institution, que les mesures prises sont sans possibilit� de recours et donc sans appel. Cependant, et parce qu'il aurait touch� y compris des juges connus dans leur milieu pour les gros appuis dont ils b�n�ficiaient, il n'y a pas si longtemps, au sein du pouvoir, le verdict appara�t comme frapp� de suspicion. Y aurait-il, en d'autres termes, une r�elle volont� d'assainir le corps des magistrats et de faire rendre enfin la justice au nom du peuple ou s'agirait-il plut�t d'un r�glement de comptes qui ne dirait pas son nom et qui ne servirait, par cons�quent, qu'� asseoir, � nommer de nouveaux potentats aux postes rendus vacants par les d�cisions du Conseil ? Pourquoi, en effet, ce dernier (le CSM) a-t-il choisi de s�vir il y a une semaine et ne l'a-t-il pas fait il y a une, deux, trois, voire quatre ann�es auparavant, c'est-�-dire en temps opportun pour chaque affaire ? La r�ponse � pareilles interrogations demeure, qu'on le veuille ou non, essentielle � la compr�hension du mode de fonctionnement de la Haute Administration et de la justice dans le cas qui nous int�resse pr�sentement. Une justice qui, lorsqu'elle sort sa grosse artillerie pour faire le m�nage, ne fait aucune distinction entre les magistrats incrimin�s. Tous ont droit au m�me canevas : ceux pas tr�s ob�issants qu'elle sanctionne injustement, et ceux corrompus � qui elle d�cide, un jour, d'interdire l'acc�s de ses palais. Question importante pour �clairer les ignorants que nous sommes : pourquoi n'a-t-on pas agi avant que les d�g�ts ne soient aussi d�vastateurs ou ne cr�vent les yeux du moins initi� d'entre les Alg�riens ? On aurait du mal � ne pas se souvenir du cas de cet ancien ministre de la Justice qui, une fois install� dans ses fonctions et rassur� par on ne sait quelle officine, s'�tait na�vement cru � l'abri de la moindre atteinte � son statut. Pourtant, quand on a, voulu l'�carter du jeu, on a distill� des informations pas tr�s glorieuses sur son comportement priv� et ses m�thodes de travail lesquels, du jour au lendemain, se sont r�v�l�s loin d'�tre exemplaires. Cabale ou r�v�lations justifi�es, cela importe si peu quand la le�on � tirer de ce triste �pisode est qu'un cadre sup�rieur, fut-il un haut fonctionnaire, qui a eu la malheureuse id�e de se fourvoyer avec le syst�me, reste l'�ternel d�biteur de ce dernier. Il ne sera jamais plus ind�pendant, sauf s'il d�missionne de son plein gr� et avant que les ennuis ne commencent � lui pleuvoir sur la t�te. Il ne sera, par voix de cons�quence, jamais plus � l'abri d'une r�v�lation outrageante, d�s lors que celle-ci sert � alimenter la capacit� de nuisance d'un r�gime contre lequel tous ceux qui choisiront de contourner le combat pour la d�mocratie et les droits de l'homme resteront toujours impuissants. L'autre le�on � tirer de ce qui d�sormais ne rel�ve plus que de l'anecdote, c'est que lorsque l'on */ucoup d'opportunistes se sont laiss�s prendre au pi�ge avant de r�aliser qu'il leur �tait impossible d'en sortir indemnes. L'autre alternative pour �chapper � une descente aux enfers consiste � n'avoir rien � se reprocher. Mais cela n'a pas �t�, h�las, la devise de bon nombre de magistrats trop impatients d'enfourcher le cheval qui les m�nerait au sommet de la hi�rarchie sociale. Il se trouve, pourtant, que les magistrats, soumis, avant d'�tre accr�dit�s, � une enqu�te d'habilitation, sont tenus, chaque ann�e, de remplir deux formulaires. Un premier document comportant six ou sept feuillets et dans lequel il est demand� � la personne concern�e de raconter sa vie. Celui-ci est destin� � la pr�sidence de la R�publique. Il est cens� permettre une mise � jour de la fiche initiale d'habilitation. Le second, pour sa part, sert au magistrat � exprimer des vœux. Il est, lui, adress� au minist�re, sans r�sultats significatifs, � en croire ceux qui sont pass�s par l�. Ce qui para�t d�plorable dans toute cette paperasserie � la Beria, c'est qu'aucun des crit�res qui permettent aux autorit�s d'appr�cier les choses � leur juste valeur ni aucun des param�tres qui pr�valent lors de l'investigation ne sont communiqu�s � la personne faisant l'objet de l'enqu�te d'habilitation. On comprend mieux, en fait, qu'il n'y ait pas que le ch�mage ou l'absence de commodit�s qui fassent fuir. Beaucoup d�sertent leur poste parce que l'on se refuse de leur reconna�tre un minimum de m�rite. Ceux qui quittent le pays, pour ne parler que de ceux-l�, savent qu'en Alg�rie, si l'on n'est pas pistonn�, si l'on n'est pas parrain�, on n'a aucune chance d'�merger, aucun espoir d'�tre promu � des fonctions sup�rieures ou si rarement l'espoir de progresser dans la vie. Si vous n'appartenez � aucune des cat�gories d�j� cit�es, la machine infernale est aussit�t mise en branle pour vous barrer la route et vous interdire l'acc�s au poste que vous vous estimez �tre en droit d'occuper. Alors, quand de surcro�t vous apprenez qu'une carri�re et sa r�ussite d�pendent de l'humeur d'un flic charg� d'enqu�ter sur vous, vous cessez d'attendre quoi que ce soit d'�quitable du syst�me en place. Il faut savoir, �galement, qu'il n'y a pas que la police qui fouine dans votre quotidien. Une enqu�te d'habilitation ne d�pend pas que de cette derni�re. Parall�lement � celle men�e par la DGSN qui vient de nous dire tous ses regrets pour le mal dont elle s'est rendue coupable � l'�gard de nombreux cadres et pour toutes les carri�res qu'elle avoue avoir gratuitement bris�es, il y a celles diligent�es par la gendarmerie et la s�curit� militaire. Trois enqu�tes simultan�es pour �tre s�r, en principe, de n'avoir rien manqu� d'essentiel. Et c'est cette derni�re, celle de la SM, pr�occup�e � d�busquer les ennemis de la r�volution, qui d�livre le blanc-seing. Trois enqu�tes. Pas une mais trois, pour �tre s�r que l'on n'a omis aucun menu d�tail ni fait aucune erreur qui serait pr�judiciable. Il suffit, pourtant, que l'un des trois comptes rendus ou rapports comporte des renseignements quelque peu divergents pour que rien n'aboutisse et que la candidature soit mise au placard. Etant donn� l'exc�s de z�le mis � r�colter le maximum d'informations sur telle ou autre personne, comment devient-il possible qu'un cadre sup�rieur, connu pour ne pas �tre un mod�le de probit�, puisse passer entre les mailles de trois filets ? La r�ponse nous a, en fait, �t� apport�e, un jour, par une personne que nous n'aurions jamais soup�onn�e �tre au parfum de ces pratiques. C'est ainsi que l'on nous a expliqu� que le dossier de chacun �tait r�guli�rement aliment�, � l'exception du fait que les informations recueillies pour la fameuse mise � jour n'�taient pas, pour la majorit� d'entre elles, seulement destin�es � rattraper le coup. Le dossier n'est sorti et ne menace d'�tre livr� � la vindicte que si la personne vis�e ne fait plus "l'affaire". On accumule ainsi les griefs et on les garde secr�tement au chaud en attendant de pouvoir s'en servir "utilement". En d'autres termes, les autorit�s savent mais laissent faire jusqu'au moment o� elles d�cident de mettre le hol� � une carri�re. C'est l� que le dossier refait surface, comme par enchantement ; il est d�s lors confi� � qui sera charg� de la d�molition. On le remettra, par exemple, pour publication, � un journaliste flatt� d'avoir �t� sollicit� puis mis dans la confidence. Un confr�re fascin� par l'uniforme qui s'imaginera n'avoir �t� mis dans le coup et d�croch� enfin le super scoop de sa carri�re que par la gr�ce de son talent. Du coup, le r�cent mea culpa de la DGSN ne repr�sente plus grand int�r�t. Cela ne suffit �videmment pas que la police se d�barrasse de dossiers encombrants et fasse dispara�tre les traces de son infamie. On ne pourrait parler de fin d'une p�riode m�me si cela reste � v�rifier sur le terrain, que si les deux services du minist�re de la D�fense nationale rejoignaient l'exemple de la police. Un mouvement d'ensemble aurait d� �tre dict� aux trois entit�s � la fois pour cr�er la synergie n�cessaire � une bonne gouvernance. Pour l'instant, cela pourrait ressembler � de la poudre aux yeux, un banal effet de manche destin� peut-�tre � faire l'impasse sur ce qui se pratiquerait encore en coulisses. Sinon, qu'est ce qui aurait emp�ch� la DGSN de prendre cette mesure bien avant, depuis dix ans, par exemple, et pourquoi n'en serait-elle convaincue qu'aujourd'hui ? Br�ler des dossiers ne veut en aucun cas dire que de telles m�thodes seront � jamais bannies. Les discours et d�clarations de bonnes intentions ne suffiront pas � convaincre d'une bonne foi qui reste � prouver. Tant que le m�me personnel continuera de s�vir, tant que l'on persistera � d�placer quelqu'un d'un poste o� il n'aura pas fait ses preuves vers un autre o� il ne fera, de toute fa�on, pas plus la preuve de sa comp�tence, les choses resteront en l'�tat. Il se trouve que la pratique est courante. On ne s'aventure jamais � proposer quelqu'un de nouveau aux postes dits sensibles. Ce sont toujours des enfants du syst�me que l'on retrouve aux postesclefs quels que soient les gouvernements ou les chefs de l'Etat qui se succ�dent. Aucune chance de montrer leurs m�rites n'est laiss�e � ceux qui en sont dignes quand ils sont �trangers au clan ou d�notent d'avec la client�le habituelle. Cette chronique est d�di�e aux cadres qui ont choisi de rester au pays, qui travaillent sans faire de vagues et portent l'Alg�rie � bout de bras, la prot�geant d'une immersion fatale. Ils n'ont pas besoin, eux, de publicit� mais juste que l'on prenne en compte leurs aptitudes � g�rer mieux.