«Errare humanum est, perseverare diabolicum» [locution latine : l'erreur est humaine, persévérer – dans son erreur – est diabolique] L'enjeu principal : un gain en espérance de vie doublé Le vaccin est un des piliers majeurs des politiques sanitaires. Son impact, en matière de santé des populations, a été, sans conteste, révolutionnaire. En effet et de par l'histoire, il est admis que seul l'accès à l'eau potable a eu plus d'impact sanitaire universel. On considère que grâce à la vaccination, l'incidence pour huit maladies (variole, diphtérie, tétanos, oreillons, rougeole, rubéole, polio, méningite) avait été réduite de 99 à 100% dans de nombreux pays occidentaux. Au niveau mondial, on estime que cinq millions de décès d'enfants sont évités chaque année grâce au niveau de couverture vaccinale atteint. En effet, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) réaffirme que le vaccin est avant tout un outil de réduction de la mortalité et d'augmentation de l'espérance de vie. L'OMS estime que les vaccins expliquent d'un tiers à la moitié des gains d'espérance de vie en Afrique depuis cinquante ans, ceci grâce notamment à la distribution de nouveaux vaccins. Il s'agit d'une catégorie thérapeutique aussi importante que les antibiotiques car avec les vaccins on s'adresse à un type de maladies que l'on ne peut pas atteindre par d'autres moyens : ce sont en particulier les virus. Les atouts intrinsèques du vaccin sont aujourd'hui connus et reconnus, comme le rappellent de nombreux spécialistes de la vaccinologie (science du vaccin). En effet, la vaccination agit à trois niveaux. Elle protège bien sûr l'individu que l'on vaccine. Elle protège l'entourage et il faut rappeler que dans l'entourage de chacun d'entre nous, il y a des personnes que l'on ne peut pas protéger par la vaccination, des sujets qui ont des contre-indications ou qui sont trop jeunes pour être vaccinés. Enfin, elle protège la population dans son ensemble, c'est le fameux mécanisme d'immunité de groupe. Par ailleurs, les vaccinations sont des interventions faciles à accepter car elles sont efficaces et font la différence avec ce qui se passait avant, et d'un point de vue médical, c'est un geste technique facile à administrer et qui ne demande pas une grande infrastructure d'hôpitaux ou de systèmes de santé. Fort de ces atouts, le vaccin est aujourd'hui considéré comme l'une des interventions sanitaires qui présente l'un des meilleurs rapports coût-efficacité. Ainsi, on soutient que la valeur économique du vaccin est indissociable de la valeur pour la santé publique. En plus du bénéfice pour les individus et la santé publique (baisse de la mortalité, du taux d'invalidité), il y a un bénéfice économique certain (baisse de l'absentéisme, amélioration de la réussite scolaire et de la productivité). Le vaccin est un allié de la croissance économique car il génère de la valeur ajoutée. A titre d'exemple, une étude récente aux Pays-Bas a montré que pour chaque euro investi dans les programmes de vaccination, le bénéfice net pour les gouvernements et la société est de 4 euros. Les Américains ont évalué que les sommes dépensées pour éradiquer la variole au niveau international représentaient le coût annuel du contrôle de cette maladie aux Etats-Unis, c'est-à-dire le montant dépensé à la fois dans la vaccination et dans le contrôle aux frontières. Malgré ces résultats encourageants et la reconnaissance des mérites de la vaccination, la menace persiste, la bataille n'est jamais gagnée contre les agents pathogènes qui ne demandent qu'à réapparaître. Les exemples sont nombreux, de l'épidémie de coqueluche en Grande-Bretagne qui à la fin des années 1970 avait entraîné la mort de dizaines de nourrissons à la résurgence actuelle de la polio en Syrie. On a constaté que chaque fois qu'il y a un conflit, la polio redémarre. Mais chaque relâchement de la politique vaccinale dans les pays occidentaux a également des conséquences en termes de santé publique. Aussi, on doit rester vigilants car même des niveaux de couverture vaccinale très élevés, voire au-delà de 90% ne nous protègent pas de la résurgence des maladies. La santé animale : un impact sur la santé humaine Les vaccins animaux sont aussi un élément-clé de l'amélioration de la santé humaine. En effet, la santé animale a un impact direct et indirect sur la santé humaine. Direct car plus de 60% des maladies émergentes chez l'homme ont eu, ces dernières années, pour origine un animal domestique ou un animal sauvage. Indirect car l'augmentation de la population mondiale qui devrait atteindre 10 milliards de personnes en 2050 et l'émergence dans de nombreux pays d'une classe moyenne au régime alimentaire plus riche en protéines imposent de «sécuriser la production de viande animale» en termes qualitatifs et quantitatifs. L'Organisation mondiale de la santé animale (OIE) estime que nous avons une diminution de 20% de la production animale en raison des maladies. Evidemment, l'objectif est de combattre les pathogènes zootiques (maladies et infections dont les agents se transmettent naturellement des animaux vertébrés à l'homme et vice-versa) en les contrôlant à la source, c'est-à-dire au niveau de l'animal, ce qui est bien plus efficace et bien plus économique que de les traiter. Enfin, prévenir une infection animale permet de réduire l'utilisation des molécules curatives qui peuvent induire chez l'homme qui consomme des produits animaux des effets indésirables. Le vaccin est à l'origine de la biotechnologie Sur le plan stratégique, le retour en grâce du vaccin procède de plusieurs facteurs. Il serait judicieux de s'investir dans l'industrie du vaccin et ceci à plusieurs titres. D'abord l'impossibilité de le copier et donc de développer des génériques ainsi que la possibilité de le vendre à des prix élevés sur le marché pour financer la recherche sont deux des facteurs qui expliquent l'attrait des sociétés pharmaceutiques pour le vaccin. Il existe un troisième paramètre dont on parle assez rarement. L'industrie du vaccin faisait de la biotechnologie sans le savoir. Les industriels du vaccin ont été les premières sociétés de biotechnologie au monde. La croissance du marché du vaccin est d'ores et déjà visible avec la mise sur le marché de nouvelles thérapies. La dynamique devrait se poursuivre car les défis nouveaux, que représentent, par exemple, le sida, la tuberculose à germes multi-résistants ou les nouveaux virus d'origine animale, sont nombreux. Il existe un grand nombre de vaccins très prometteurs en phase ultime de développement qui vont élargir le champ bien au-delà des maladies infectieuses et couvrir pratiquement l'ensemble de l'horizon des pathologies. Il faudrait tirer profit de ce contexte porteur à condition de disposer d'un véritable savoir-faire qui protègerait d'une concurrence trop forte. Cet atout doit cependant être valorisé. Cela passe évidemment par la recherche et le développement de nouveaux produits. L'innovation est une des clés de l'avenir. La couverture vaccinale, une nécessité aujourd'hui en matière de santé publique Malgré les formidables avancées enregistrées par la médecine grâce à la vaccination, il n'en demeure pas moins que le maintien indispensable d'un fort taux de couverture vaccinale, même dans les pays occidentaux, voire peut-être avec plus d'acuité dans ceux-ci, reste une gageure. Il s'agit d'un problème auquel sont aujourd'hui confrontés les épidémiologistes. Paradoxalement, on assiste à une montée des doutes, une certaine remise en cause. En effet, on pourrait même dire que la vaccination est victime de son succès. Elle y était condamnée dès le début car en faisant disparaître les menaces infectieuses, elle diminue la perception du risque et, par là même, l'adhésion des populations. On constate, lorsque les épidémies reculent ou disparaissent grâce aux vaccins, qu'il y a en conséquence un oubli des risques infectieux et corrélativement une visibilité excessive des effets secondaires. Si bien que le rapport bénéfice/risque est oublié, et on assiste à des résurgences ici de coqueluche, là de rougeole. Ces appréhensions ne sont pas à prendre à la légère, affirment en chœur les médecins et les industriels. Même la France, bien que bénéficiant d'une très bonne couverture vaccinale, a été touchée par une épidémie de rougeole significative ces dernières années (faisant plusieurs morts), en raison d'un relâchement de l'effort de vaccination. Les campagnes anti-vaccin contre l'hépatite B en ont été également une illustration. Ainsi, la remise en cause de la vaccination a plusieurs origines, notamment une plus grande aversion au risque dans les sociétés occidentales, une remise en cause de l'expertise publique et la circulation accélérée d'informations non validées, conséquences du succès des nouvelles technologies de la communication. Récemment, l'épisode de la vaccination contre la grippe A n'a pas non plus aidé à la perception de la vaccination, entraînant un recul par la suite de la vaccination contre la grippe saisonnière. Une perception plus juste des bénéfices du vaccin passe d'abord par un effort de communication. En effet, sur les 10 à 12% de familles qui ne se vaccinent pas, il n'y a que 2 à 3% d'opposants farouches, les autres sont des personnes qui demandent à être rassurées. Mieux informer c'est d'abord mieux communiquer sur les réussites de la vaccination. On peut citer en exemple le cas du vaccin contre les méningites haemophilus influenzea qui a entraîné la quasi-disparition en moins de deux ans de la principale cause de méningite chez les enfants de moins de cinq ans. Il s'agit d'un impact spectaculaire et indubitable de la mise en œuvre de la vaccination. Le rapport bénéfice/risque est insuffisamment expliqué. Il est nécessaire de faire de la pédagogie, de rappeler les méfaits des épidémies bien sûr, mais d'agir aussi sur la sensibilité. Cet effort de communication doit être fait par tous, mais chacun à sa place. Il ne peut pas être fait par les seuls industriels de santé, ni uniquement par les pouvoirs publics. Il faut trouver des relais dans la population qui puissent davantage convaincre en appelant à une meilleure synergie entre tous les acteurs et à plus de transparence. L'axe principal de la communication doit passer par une meilleure explication du mécanisme du vaccin, qui n'est pas un médicament comme les autres. La base de la vaccination, c'est l'interdépendance et la solidarité. La vaccination est une procédure collective alors que son refus est une posture individuelle. La pédagogie du risque est cruciale dès lors que nous parlons de vaccination. Nous avons des gros progrès à faire car c'est là que tout se joue. La décision appartient en effet au patient ou à sa famille. Tout se joue dans l'équilibre entre un risque perçu comme très théorique d'une maladie potentielle et un risque perçu comme immédiat dû aux effets secondaires. C'est à ce niveau-là que les travaux doivent se poursuivre. Une pédagogie qui doit passer par une plus grande clarté et précision afin de ne pas dissimuler exagérément les effets adverses qui apparaissent mais qui sont tellement inférieurs statistiquement aux bénéfices. On constate que notre perception du risque a, par ailleurs, été pervertie par le principe de précaution abusivement étendu à la santé, sans prendre en compte le risque spontané qui persisterait en l'absence d'une action comme la vaccination. Parmi les nombreuses mesures pour renforcer l'image de la vaccination dans la population, on insiste sur le rôle primordial des professionnels de santé, véritable pierre angulaire du système de vaccination. Un des problèmes, c'est le peu de temps consacré à la vaccinologie dans les études de médecine. Les professionnels de santé, notamment les pédiatres, sont un peu désorientés et ont des difficultés à trouver des informations. Les jeunes médecins ne sont pas assez avertis de tous les aspects de la vaccinologie. Et la formation continue n'est pas assez développée car les médecins qui ont 60 ans aujourd'hui, quand ils ont fait leurs études, les vaccins d'aujourd'hui n'existaient pas. A ce propos, le développement de produits plus faciles à administrer pour les petits enfants pour lesquels la vaccination est mieux acceptée comme le vaccin hexavalent (6 déterminants antigéniques) qui protège contre l'hépatite B est conseillé. D'autres propositions peuvent être formulées : la mise en place d'un carnet de vaccination électronique car on ne peut pas se baser sur un système périmé issu du XXe siècle mais qui ne correspond pas aux outils de notre temps. L'instauration d'une véritable politique régionale et internationale car la collaboration inter-pays est un formidable levier pour activer des politiques de vaccination qui sont aujourd'hui trop dissemblables. Il serait bénéfique qu'une meilleure implication des agences régionales de santé prenne place pour développer sur le terrain des politiques qui prennent en compte les caractéristiques et les disparités locales. Il est indispensable qu'une réorientation des politiques publiques se fasse vers la prévention car le système de santé en vigueur s'est construit selon une logique quasi exclusive de soins individuels. K. S. * Professeur des universités, directeur de recherches, service d'immunologie des transplantations, CHU de Lyon, France.