[email protected] Mes dernières fréquentations de Facebook ont fini par me convaincre d'un fait incontournable : le vieux journalisme n'a plus beaucoup d'utilité ; il paraît bien démodé face aux extraordinaires possibilités qu'offrent les réseaux sociaux. On avait pensé que les télévisions d'info en continu qui rapportent, par l'image et le son, les événements au moment où ils se produisent, étaient la forme la plus contemporaine du journalisme. Mais peut-on faire confiance à des médias qui appartiennent aux grands groupes économiques et financiers des pays nantis ? L'exemple de leur partialité, manipulation et désinformation à grande échelle nous est fourni quotidiennement par cette noria de canaux français d'info directe qui répètent le même discours et obéissent aux mêmes ordres. Si vous trouvez une quelconque différence entre LCI, BFM, ITélé ou même la nouvelle chaîne publique Franceinfo TV, écrivez-moi. Donc, Facebook m'a ouvert les yeux sur une réalité désormais inéluctable. Pendant que nous continuons à «boucler» nos quotidiens de plus en plus tôt et qu'ils ne sont lus que le lendemain, les réseaux sociaux ont eu le temps de déverser des milliers de nouvelles informations puisées dans les médias du monde entier. Ces «partages» permettent à l'info de voyager immédiatement, sans contrôle, ni censure. Mieux, elle est immédiatement commentée par des citoyens d'horizons divers. C'est cette rapidité, cette réactivité et cette diversité d'opinions qui font la force des réseaux sociaux et nul média professionnel au monde ne peut résister à leur foudroyant succès ! Bien sûr, les sceptiques peuvent évoquer les «fake», ces fausses informations divulguées soit pour s'amuser, soit pour manipuler les opinions. Nous constatons, par exemple, une tendance générale à noircir les infos algériennes. La liberté de ton des journalistes-citoyens explique cette manière de combattre l'information officielle qui est, souvent, positive. Mais ce n'est pas la seule explication : des sites dirigés par des services étrangers, notamment ceux du Maroc, distillent quotidiennement des informations alarmistes sur le pays. Ces nouvelles sont rapidement partagées par un réseau de 5 000 jeunes formés par le ministère de l'Intérieur marocain. Tout n'est pas sans danger sur Facebook. Mais, d'une manière générale, ce réseau, en libérant la parole des Algériens, en la faisant circuler à grande échelle, donne plutôt l'image rassurante d'une opinion, certes critique, mais totalement imperméable aux tentatives de manipulation. Ceux qui prenaient peur, craignant des soulèvements à partir des appels sur Facebook, ne connaissaient pas bien la jeunesse algérienne ! Aujourd'hui, les réseaux sociaux reflètent un front uni non seulement contre le pouvoir absolu et la nouvelle oligarchie, mais aussi contre les aventuriers de toute obédience qui veulent nous imposer les faux printemps et les destructions programmées de nos pays. Devinez quel est le premier pays à se plaindre de Facebook ? C'est... Israël ! Quand on donne la parole aux peuples et que l'effet des mass media mensongers s'estompe, c'est la vérité qui éclate, l'unique vérité qui va dans le sens de l'Histoire. Une vérité qui éclaire le terrain des véritables enjeux et démasque les usurpateurs et les ennemis de la paix et de la concorde entre les peuples. Une vérité qui désigne les vrais coupables et dissipe les malentendus et le brouillard des campagnes répétitives de désinformation à grande échelle ! Une vérité qui met à nu les agissements des pouvoirs corrompus et incapables de se hisser au niveau de leur responsabilité ! A ce stade de la chronique, une question me vient à l'esprit : que nous reste-t-il à faire pour continuer à exercer correctement notre métier ? Nous pouvions nous prévaloir d'une certaine «technicité» à tourner nos phrases dans le style aimé par les lecteurs ou encore du privilège de faire des reportages et d'aller dans les coins isolés ou encore de notre longue expérience qui apporte toujours une lecture plus ou moins lucide des événements. Mais quand les «amis» sur Facebook maîtrisent la langue comme nous ou, même, mieux que nous, quand l'expérience est également présente et quand une photo dit mieux que nos textes la beauté ou l'insolite de ce coin isolé, que nous reste-t-il ? Il nous restera juste deux choses : primo, l'honnêteté morale qui est une bataille de tous les jours contre les tentations de l'appât matériel. Secundo, la sagesse qui fera que nous tenterons toujours d'être lucides dans nos analyses, de concilier les points de vue opposés (dans les limites de l'ordre républicain), de dire les mots qui effacent la haine et ravivent l'espoir, de donner aux jeunes l'image d'un pays qui, quels que soient ses problèmes actuels, arrivera à se relever et, enfin, d'évoquer – pour l'exemple — les moments d'euphorie générale et de grande mobilisation qui ont jalonné les années inoubliables de construction nationale... Question existentielle pour le journaliste qui a parcouru les décennies multicolores, connu le plomb, la photocomposition, la PAO et l'infographie et traîné son spleen dans les couloirs enfumés de tant de rédactions : ce que je demande là, est-ce encore du domaine du journalisme ? Ne seraient-ce pas les contours d'un métier qui frôle les espaces magistraux de la philosophie ? Et cela n'est-il pas contredit par les méfaits de quelques barbouzes de la plume qui croient faire de la presse dans ces feuilles de chou qui insultent tous ceux qui s'opposent aux plans maléfiques de leurs maîtres ? Le comble : pour les récompenser, on leur offre des tribunes télévisuelles qui achèvent le peuple par l'abrutissement et le recours au charlatanisme ! Comme si on avait peur que les illettrés, ceux qui ne lisent pas leurs journaux, puissent échapper au plan d'arriération culturelle générale ! Nous sommes venus à ce métier avec, pour seule arme, notre conviction que la génération qui nous a précédés, celle des journalistes-moudjahidine, avait déjà tout donné à ce métier et qu'il n'y avait plus qu'à s'inspirer de leur militantisme et poursuivre leur combat pour la liberté et la dignité. La ligne éditoriale était claire pour nous : la lutte armée du peuple n'a pas été menée pour que de nouveaux nababs – parfois plus inhumains que certains colons — s'installent à la tête des plus grandes fortunes ! Le peuple a lutté pour la justice sociale, l'égalité et la solidarité entre ses différentes composantes. Nous étions des militants et le mot ne nous faisait pas peur. Nous nous sentions comme les soldats d'un front qui allaient combattre le dénuement, la maladie, l'injustice, l'arriération sociale. Nous avions accompagné le formidable travail qui tira les Algériens vers la modernité. Voilà notre histoire et nous en sommes fiers, à défaut de nous enorgueillir de notre présent. Quant au futur, et à l'époque des réseaux et des débits de plus en plus fous, faisons confiance aux jeunes, à leur esprit d'initiative et à leur courage ! L'ère des journalistes-citoyens met fin à une certaine conception du journalisme. Mais nous n'abandonnerons pas le terrain parce que nous ne sommes pas arrivés à «sortir du journalisme» et je crois que la formule adaptée serait plutôt : «Le journalisme mène à tout, à condition d'y rester.» Notre quête de sagesse et de justesse et la grande leçon de la vie nous aideront probablement à nous rapprocher des philosophes mais, à une époque où la parole est pervertie par les penchants impérialistes et sionistes, nos petites voix n'auront d'impact que si elles se démarquent des modes du prêt-à-penser et du fast-food rentier qui sert les plats pourris préparés dans les usines des médias trompeurs ! M. F. P. S. : je corrige une erreur parue dans le PS de la dernière chronique. Les propositions de M. Denouni visaient à faire économiser 30 milliards de dollars et non 30 millions.