Par Belaïd Mokhtar, un lecteur Lorsque j'étais un peu plus jeune, j'ai lu un polar de James Hadley Chase, intitulé Eva. L'auteur décrit une femme fatale, glaciale et odieuse avec un auteur follement amoureux d'elle. C'était une fiction, un être imaginaire sorti des élucubrations du romancier. Je n'ai jamais imaginé qu'une pareille créature pouvait réellement exister, jusqu'au jour où j'ai entendu parler de Zaïda. Moins belle que celle dépeinte dans le livre policier, d'une beauté quelconque et sans attrait, prétentieuse, avide de réussite, elle est prête à tout lorsqu'elle se fixe un objectif. Mariée à un petit comptable, qui exerce au sein d'une entreprise privée, sans ambitions, discret, elle le mène à la baguette. Après quelques années de vie commune, il est devenu son disciple, elle ne rate aucune occasion pour le rabaisser et lui rappeler que c'est elle qui mène la barque. Bien entendu c'est elle qui gère l'argent du foyer, il devait lui remettre la totalité de sa paye, elle ne lui laissait que quelques petits billets, juste de quoi payer son transport et prendre un café de temps en temps, la somme restante est destinée à ses effets personnels. Madame est secrétaire de direction dans une administration publique, elle exige d'être tout le temps bien habillée. Les parents du pauvre mari, les voisins ainsi que tout l'entourage chuchotent dernière son dos, en répétant que sa femme a dû lui concocter quelques plats avec «l'aâsbane mayou» (boulettes de semoule à qui on attribut le pouvoir magique de rendre obéissantes, dociles et serviles les personnes qui les consomment), et c'est ce qu'il mange matin et soir. Le premier fait d'armes de cette dame c'est le chauffeur de l'administration où elle travaille qui va nous le rapporter. «Un matin, en allant la ramener de chez elle comme d'habitude, elle a constaté qu'elle avait oublié ses clefs de bureau. Ne voulant pas remonter les escaliers jusqu'au quatrième étage où se trouve son appartement, elle utilise son smartphone et demande à son mari de les lui jeter par la fenêtre. L'époux s'exécute. Manque de bol, elles atterrissent dans un caniveau ! Elle va d'abord le traiter de tous les noms devant moi, avant de lui ordonner de descendre illico presto avec une bouteille d'eau et un chiffon, de soulever la grille du caniveau, de récupérer les clefs, de les laver, les essuyer avant de les lui remettre. Je n'en revenais pas ! Une telle soumission n'est pas imaginable.» L'autre humiliation, elle va la lui faire subir au marché de fruits et légumes, le jour où il l'a accompagnée faire les courses, juste pour servir de porteur. Malencontreusement, un des sachets qu'il transportait s'est déchiré et les pommes de terre qu'il contenait se sont déversées par terre, elle se retourne vers lui et une nouvelle fois le traite d'incapable, de bon à rien, sous le regard ébahi des marchands. Connaissant l'incroyable emprise qu'elle a sur son conjoint, elle n'hésite pas, et par tous les moyens, à décrocher une promotion. Et les langues se délient. Lui, naïf qu'il était, n'y vit que du feu, jusqu'au jour où il rencontre par hasard dans une cafétéria un supporteur comme lui de l'équipe locale. Ils entament une conversation sur les chances de cette dernière de se maintenir ou pas en division une, puis de fil en aiguille, ils abordent leurs lieux de travail. Venant d'apprendre que le monsieur occupe un poste dans la même administration que sa femme, innocemment et sans aucune arrière-pensée, il lui demanda s'il connaissait la secrétaire de direction Zaïda et avant qu'il finisse sa phrase, il lui annonce fièrement que c'est sa femme, l'autre l'interrompit et se lança : «Qui ne la connaît pas, je n'aimerai pas être à la place du pauvre mari .» Il ne savait pas qu'il était là, devant lui, et que les mots durs qu'il venait de prononcer lui ont transpercé le cœur. Devenu blême, il se leva sans un mot puis disparut. Il n'avait pas eu le courage de lui avouer que l'homme bafoué c'était lui. Dans un état second, en arrivant chez lui, la voix tremblante, il demanda à sa femme, qui, pour une fois, était à la maison, de le rejoindre au salon afin qu'ils puissent avoir une sérieuse conversation. Il lui balança tout ce que le bonhomme lui avait révélé sur elle. Calmement et sans perdre son sang-froid, elle lui demanda de lui décrire le semeur de troubles, ce qu'il fit. Doucereusement, elle va le rassurer en lui expliquant que le bonhomme qui venait de lui raconter ces idioties n'était autre qu'un amoureux transi éconduit, qu'elle lui était toujours fidèle et autres sornettes. N'osant mettre en doute la parole de sa femme, apaisé, il est allé se coucher. Le lendemain au bureau, elle a vite fait de retrouver le délateur, et lui expliqua rageusement que le bonhomme avec qui il a palabré la veille à son sujet n'était autre que son époux. Confus et apeuré d'avoir commis une telle bourde, il s'est confondu en excuses, il eut la trouille de sa vie, il savait qu'elle est la protégée du directeur, qu'elle avait le bras long et qu'elle pouvait sérieusement lui nuire. La seule chose qu'elle n'a jamais pu obtenir de lui, malgré un harcèlement quotidien et une surconsommation de boulettes magiques, c'est de la rendre propriétaire de son appartement, un cadeau de mariage de ses parents, et le titre de propriété a été établi à son nom. C'est la seule et unique résistance à sa femme, et ce, grâce aux bons conseils de sa mère. Elle l'avait averti : «Mon fils, si tu commets cette bêtise, elle n'hésitera pas à te chasser de la maison, et tu vas te retrouver à la rue.»