[email protected] Depuis quelques jours, Saâdia a du mal à trouver le sommeil et pour cause, son époux, un septuagénaire, n'a plus toute sa santé depuis près d'une année. Exigeant, il la mène à la baguette. Allongé sur son lit, il vocifère : - Je ne cesse de répéter que mon café au lait je le veux tiède ! - Mais tu viens de me demander de le réchauffer car tu le trouvais froid ? - Tu as le chic de rouspéter quand je te demande de faire quelque chose. Tu vas le refroidir, un point c'est tout ! Saâdia s'exécute, les larmes aux yeux. Sa belle-mère, centenaire depuis trois ans, conforte son fils : - Tu n'as pas changé, après toutes ces années, tu continues à rouspéter. Je me souviens que tu n'étais jamais contente quand tu allaitais tes enfants et que j'intervenais en te palpant les seins dans le souci de choisir celui qui était le plus gorgé de lait. Saâdia veut chasser de sa mémoire les moments où elle n'avait aucun droit à la parole, le temps où sa belle-mère tenait les rênes. D'ailleurs elle n'a pas beaucoup changé. Malgré le poids de l'âge, elle a gardé toute son autonomie. Elle veut avoir l'œil sur tout. Sûre d'elle, elle n'a besoin de personne pour prendre sa douche, laver son linge à la main, l'étendre et le ranger. Elle est triste cependant que son fils aujourd'hui ait beaucoup perdu de sa mobilité, qu'il souffre de son diabète et qu'il soit cloué au lit. Elle n'en revient pas. Un gaillard qui abattait du travail comme trois, qui a construit sa maison de ses propres mains, qui s'occupait de tout, ne rechignant jamais à la besogne. Elle aurait souhaité ne pas voir son état de santé péricliter alors qu'il n'a que 75 ans. Elle s'adresse à sa belle-fille : - ça me fend le cœur de le voir ainsi, alors n'en rajoute pas. Je ne supporterai pas de le voir partir avant moi. Saâdia ne tente même pas de se défendre, elle est convaincue que c'est peine perdue. La centenaire est coriace et affectionne trop son «bébé». Elle se rabat alors sur sa belle-fille qu'elle dirige comme une bonne à tout faire. - Viens vite m'aider à le mettre sur sa chaise, il a besoin de prendre de l'air, et de nous laisser lui changer les draps. La belle-fille ravale ses larmes et oublie vite la sortie que son mari et elle avaient programmée. Elle le rappelle vite fait pour annuler, en lui crachant toute sa colère. Il la rappelle à l'ordre : «tu n'as pas le droit de te plaindre, tu savais que mes parents étaient à ma charge. Alors je ne veux plus que l'on remette sur le tapis cette histoire. Mon père est malade, ma mère est vieille et malade. On est là pour les accompagner, et il n'y a pas d'autres priorités que leur bien-être.»