Les accusations d'immixtion des hommes d'affaires dans le monde de la politique ont fait réagir une partie de ces derniers, le président du FCE en l'occurrence, qui se défend d'avoir une quelconque intention politique. L'évènement soulève aujourd'hui la problématique de ce que les observateurs politiques appellent la «collusion entre l'argent et le politique», un sujet sensible sur lequel interviennent deux spécialistes de la question. Abla Cherif - Alger (Le Soir) - Ali Haddad s'est longtemps abstenu d'intervenir tout au long de ces longs mois. L'homme, on le sait, a préféré s'astreindre au silence afin de s'épargner des attaques et des mises au point virulentes comme il en était devenu coutume après chaque déclaration en rapport avec des évènements politiques. On se souvient notamment des réactions qu'il avait déchaînées après ses commentaires au sujet du groupe des 19 personnalités qui avaient sollicité une entrevue avec le Président Bouteflika afin de lui faire part de leur inquiétude sur l'avenir du pays. Cette fois, la situation imposait de lui une entorse à la règle qu'il s'était imposée. L'accusation dont il a fait l'objet est venue de Ammar Saâdani lequel faisait, très récemment encore, allusion au FCE en accusant les hommes d'affaires de vouloir faire intrusion dans le monde de la politique. Le SG a lancé un message lourd et Ali Haddad ne l'ignore pas. Il a donc tenu à répondre à celui qu'il qualifie «d'ami». «On peut rassurer les politiques, soyez tranquilles, dit-il, le Forum des chefs d'entreprises ne se présentera pas aux élections législatives», déclare-t-il devant un parterre de journalistes. «Nous sommes une organisation qui contribue à la valorisation de l'action du travail, nous n'avons rien à voir avec la politique, mais s'il y a des membres du FCE qui veulent se présenter aux élections à travers des partis, ils sont libres, nous n'avons pas d'orientation à leur fournir. Mais le FCE ne présentera pas de listes», a-t-il ajouté en précisant que l'organisation qu'il préside ne finançait «personne». Quant à Ammar Saâdani, «il n'a pas dit cela de manière agressive». Il faut savoir que Ali Haddad n'en est à pas à sa première accusation de s'immiscer dans le monde de la politique, ses propos avaient même poussé certains membres du FCE à se retirer carrément de l'organisation comme ce fut le cas pour Tahkout qui a démissionné avec fracas en l'accusant de s'introduire dans des affaires qui ne le concernaient pas. Mais au-delà du cas Haddad, la problématique soulevée concerne un phénomène nouveau auquel l'Algérie assiste, celui de l'intrusion des hommes d'affaires dans les coulisses de la politique. Et le sujet est évoqué à chaque fois que l'occasion se présente. Le patron de Cevital avait lui aussi été accusé d'avoir des intentions politiques lors du feuilleton du rachat d'El-Khabar par sa société, ce qui lui valu une «remarque» du secrétaire général du FLN : «Issad Rebrab doit choisir entre le monde de la politique et celui de l'argent.» La «remarque» est également souvent faite par les animateurs de la scène politique et responsables de partis à l'instar du Parti des travailleurs qui dénonce l'influence de certains hommes d'affaires sur le gouvernement et plus particulièrement encore de certains ministres enclins à orienter leurs décisions en fonction de certains financiers. Il faut savoir que la question est également au centre des débats des observateurs politiques. En sa qualité de président d'une commission onusienne sur le mécanisme africain d'évaluations par les pairs, Mekkidèche s'est penché sur le sujet. «Le phénomène de collusion entre les affaires et la politique est là, dit-il, il existe, même s'il n'est pas mesurable. Il est dans l'informel et se manifeste par ce qu'on appelle la "chkara"». Pour les législatives, par exemples, ces hommes d'affaires achètent les positions. Ils œuvrent pour leurs penchants personnels en achetant des personnes pour l'introduction de textes par exemple, et ces personnes ont 90% de chances d'être élues. Le fait que le sujet soit publiquement évoqué par des responsables comme Ammar Saâdani fait désordre, car cette collusion nuit grandement au fonctionnement démocratique, elle pollue l'alternance démocratique. Cette situation n'est pas propre à l'Algérie, mais nous demandons une clarification et une réglementation des partis politiques et des candidats aux élections comme les législatives par exemple.» Le politologue Rachid Tlemçani évoque lui aussi la «chkara», moyen financier utilisé par des groupes de pression sur les hommes politiques pour influencer leurs orientations politiques en fonction de leurs intérêts. Il précise à son tour que le phénomène n'est pas propre à l'Algérie. «Chez nous, cependant, les classes populaires ne sont pas organisées et elles ont donc laissé le terrain libre aux opportunistes qui se sont infiltrés dans toutes les institutions et même dans le gouvernement.» Selon lui, le projet de retraite anticipée illustre à lui seul la situation. «Qui a décidé de prendre cette décision ? La tripartite, bien sûr. Qui la compose ? De grands entrepreneurs algériens. Les gens n'ont pas encore saisi qu'ils ont dicté leur décision au gouvernement algérien.» Rachid Tlemçani est pessimiste pour l'avenir du pays. «Si rien n'est changé, il y aura une implosion sociale au bout du tunnel. Aujourd'hui, tous veulent aller à la retraite anticipée pour aller ailleurs, se diriger vers d'autres domaines en emportant dans leur poche les deux sous de cette retraite en espérant que cela leur ouvrira d'autres portes. La notion et la valeur même de travail ont disparu car ils ont compris que cela ne donnait rien dans un système basé sur la corruption.»