Par Hassane Zerrouky [email protected] Tout sépare la pop star millionnaire marocaine Saâd Lamjarred, arrêtée vendredi soir à Paris pour viol sur une jeune femme de 20 ans, de Mouhcine Fikri, vendeur de poisson, mort le même jour à Al-Hoceïma (Rif), broyé dans une benne à ordures en voulant récupérer sa marchandise (de l'espadon) que la police locale avait confisquée. Tous deux âgés de 31 ans. Comme quoi. L'arrestation de l'artiste marocain à Paris qui devait se produire samedi en concert dans la capitale française a enflammé les réseaux sociaux, fait les gros titres de la presse du royaume, suscitant de nombreuses réactions dont celle du ministre de la Culture, Mohamed-Amine Sbihi. Mieux, le roi Mohammed VI a décidé de prendre en charge les frais d'avocat du chanteur marocain et pas n'importe lequel, un maître du barreau parisien, Me Eric Dupont Moretti. Ce dernier aura fort à faire parce que Saâd Lamjarred a été rattrapé par une première affaire de viol, celui d'une jeune Américaine en 2010 à New York : placé en détention, puis libéré alors sous caution, il en avait profité pour prendre la fuite. C'est dire... Mais pour notre part, on retiendra surtout que la mort atroce de Mouhcine Fikri pour nourrir sa famille a choqué le Maroc, provoquant l'un des plus vastes mouvements de colère dans le pays depuis 2011, année durant laquelle le Mouvement du 20 février avait organisé des manifestations en faveur de réformes démocratiques. Des milliers de Marocains sont sortis pour la quatrième journée consécutive dans plusieurs villes du royaume dont Rabat, Casablanca, Al-Hoceïma. Dans cette dernière, des milliers de manifestants scandaient «Ecoute Makhzen (palais royal), on n'humilie pas le peuple du Rif», brandissant les emblèmes berbères mais aussi – suprême provocation – l'emblème avec croissant et étoile de la République du Rif de l'émir Abdelkrim en 1920, région qui fut le théâtre d'une insurrection populaire en 1958-59, écrasée par le futur roi Hassan II (8 000 morts et des dizaines de villages incendiés). Face à l'ampleur de la protestation, Mohammed VI a dû annuler la visite qu'il devait entreprendre en Afrique, dépêcher son ministre de l'Intérieur sur les lieux sur fond d'arrestation – il faut bien quelqu'un pour payer – de lampistes locaux pour calmer la colère populaire. D'autant qu'à une semaine de l'ouverture à Marrakech de la Conférence internationale sur le climat, la Cop 22, il y a urgence à éteindre le feu. Certes, le Maroc n'est pas la Tunisie de Ben Ali, mais une chose est sûre, dans des pays fragilisés par le creusement des inégalités sociales et la pauvreté, et où la répression fait fonction de régulateur social, il suffit d'un rien pour que la marmite sociale déborde. Et n'eut été l'ampleur de la réaction populaire, l'arrestation de Saâd Lamjarred aurait volé la vedette au décès tragique du modeste poissonnier. Turquie, Erdogan fait encore des siennes et la Turquie marche inexorablement vers plus d'autoritarisme. Ainsi, pendant que son armée est en Syrie mais aussi en Irak – il veut être présent à la table des négociations quand Daesh sera chassé de Mossoul – Tayyip Erdogan dégomme à tout-va. Voilà qu'il a choisi le 29 octobre, jour de la fondation de la République par Mustapha Kemal, pour s'en prendre à la rédaction du journal Cumhuriyet : treize journalistes dont le rédacteur en chef Murat Sabuncu, sont accusés par la justice d'avoir partie liée avec la tentative de coup d'Etat du 15 juillet dernier. Rien que ça ! Qui plus est, en plus du limogeage de plus de 4 000 magistrats, il vient de signer un décret de mise à pied de 10 000 fonctionnaires, lesquels vont grossir les rangs de 100 000 de leurs collègues jetés à la rue, et ce, au nom de la lutte contre le terrorisme ! Et après que les droits des avocats ont été limités, le chef de l'Etat turc, qui a décidé que les recteurs d'université seront désormais nommés par lui-même, a évoqué l'idée d'un rétablissement «limité» de la peine de mort. A ce sombre tableau en matière de respect des libertés, s'ajoutent la suspension de 24 maires élus de localités kurdes soupçonnés de liens avec le PKK et leur remplacement par des fonctionnaires désignés par l'Etat, la fermeture de plusieurs journaux, de 23 chaînes de télévision et de radio kurdes et d'opposition dont la chaîne en langue kurde pour enfants Zarok TV et la chaîne alévie TV10. Tout cela rappelle un passé que les Turcs pensaient révolu : le coup d'Etat de 1980.