L'onde de choc qui secoue l'Amérique depuis l'annonce de la victoire officielle de Donald Trump n'a pas épargné l'immigration algérienne pleinement engagée, du reste, dans la mobilisation qui secoue depuis trois jours ce grand pays. Animés par l'envie de partager avec les Algériens la réalité des évènements qui se déroulent «là-bas», certains nous ont fait parvenir des témoignages et des récits qui nous permettent aujourd'hui de mieux «scanner» les bouleversements en cours au sein de la première puissance mondiale... Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Sahra est étudiante à l'Université de New York. Arrivée trois ans plus tôt, elle a pu, sans trop d'efforts, s'intégrer dans la vie du campus new-yorkais, échantillon parfait d'une population cosmopolite peuplant à plus grande échelle les grands Etats d'Amérique. Son intégration, elle la doit d'abord à sa maîtrise parfaite de l'anglais «perfectionné sur l'accent et certaines nuances typiquement américaines» mais aussi et surtout à la mentalité «open space», comme elle aime à le dire, pour signifier l'ouverture d'esprit, voire l'indifférence même à l'égard de l'origine, de la culture ou du culte de l'autre. Mais cette image presque parfaite fait déjà presque partie du passé. Aujourd'hui, il y a l'avant et l'après-Trump. Car avant, avoue la jeune fille, «il ne nous est jamais arrivé d'entendre des amis dire, nous allons vous soutenir. C'est-à-dire marquer une différence entre les étudiants issus de l'immigration et les autres, les immigrés». Soutenir ? «Oui soutenir toute cette frange de personnes incriminées, insultées par Donald Trump durant sa campagne électorale à travers une mobilisation du campus et sa participation aux manifestations qui ont eu lieu ces derniers jours.» Depuis vendredi, New York a en effet enregistré trois grandes manifestations. La dernière en date s'est déroulée sur l'île de Manhattan. En colère, les manifestants ont brandi des pancartes où l'on pouvait notamment lire «Mettons fin à la suprématie des Blancs». Comme de nombreuses autres universités américaines, le campus où est établie Sahra a cessé toute activité depuis trois jours. «Nous sommes tous sous le choc, la vie universitaire s'est arrêtée pour céder place à la mobilisation. Tout le monde est engagé ici, du professeur au dernier employé. Tous sont concernés par ce bouleversement.» La jeune étudiante raconte : «Le campus s'est mis aux couleurs de la politique, c'est très rarement arrivé, on sent bien qu'un évènement très grave est survenu. Il y a des pancartes et des écriteaux partout. Maintenant, nos camarades qui ignoraient complètement la question de nos origines ou de notre culte nous disent à nous et aux autres aussi (les hispanos) qu'ils vont se battre pour nous protéger.» Professeur Amazigh, un quinquagénaire, connu dans les milieux universitaires américains pour ses recherches, nous a fait part de ses inquiétudes suite à l'apparition de certains actes racistes enregistrés dans les Etats où les pro-Trump sont majoritaires. «Certaines chaînes de télévision ont rapporté des évènements graves relatifs à des actes de racisme contre des Noirs et des Mexicains. Même s'il s'agit d'actions isolées, cette situation révèle l'existence d'une fissure au sein de la société américaine qui n'avait encore jamais fait dans la différence ou la ségrégation. Vous savez, l'état d'esprit qui règne aux Etats-Unis est très différent du reste du monde, de l'Europe en particulier. Ici, on ne fait pas de différence entre un Américain, un Mexicain, un hindouiste ou un chrétien. Le seul critère à respecter est le travail, mais Donald Trump a réussi à créer cette fissure peut-être révélatrice d'un sentiment profond qui a été ignoré jusqu'à présent.» Une universitaire algérienne, qui rend fréquemment visite à son fils établi à New York, raconte à son tour : «Mon fils est marié à une jeune Américaine d'origine algérienne établie depuis de longue date aux Etats-Unis. Depuis l'élection de Donald Trump, elle a pris la décision de ne pas faire d'enfants dans ce pays. Elle ne veut pas élever ses enfants dans un climat où se développe le racisme. Comme le reste des Américains, elle craint la remise en cause de tous les acquis démocratiques.» Elle poursuit : «Mon fils m'a contactée il y a deux jours pour me raconter que les gens pleurent dans la rue à New York. Il y a aussi une très grande mobilisation pour réagir à cet évènement.» Comme le reste des étudiants, cet Algérien de souche a entrepris, lui aussi, un travail qui consiste à mobiliser les citoyens (qui ne le sont pas encore) pour les prochaines élections du président du Sénat lesquelles doivent intervenir dans une année. «Aujourd'hui, la priorité est de mettre en place un dispositif qui permettra de bloquer toutes les décisions farfelues de Trump. On doit s'attendre à tout avec lui. Les gens sont encore très choqués par le contenu de son discours électoraliste, d'une part, mais aussi par le fait d'être gouverné par un aventurier qui a fait lui-même faillite dans les affaires. Il s'est endetté jusqu'au cou pour rattraper ses bêtises comment peut-il gouverner une nation comme les Etats-Unis aujourd'hui ?» Depuis l'élection de Trump, les contacts entre cette maman et son fils ont sensiblement augmenté. «Nous avons des contacts avec les parents d'enfants immigrés en Amérique, je peux vous assurer que depuis ces évènements, les contacts se sont multipliés, chacun veut comprendre ce qui se passe. Personnellement, je renvoie mes amis aux raisons évoquées par Michael Moore. Il est le seul à avoir prédit cette victoire et ses raisons surtout.» En juillet dernier, le réalisateur américain engagé avait annoncé au monde que Donald Trump allait triompher pour cinq raisons. 1- La détresse du Midwest (Michigan Ohio Pennsylvanie et Wisconsin) communément appelé «ceinture de rouille» pour désigner la détresse de ces territoires post-industriels où la gauche n'a pu faire redémarrer les usines. Le Midwest s'est exprimé majoritairement en faveur de Trump. 2- La faillite de Detroit où le discours de Donald Trump sur la relocalisation de l'industrie a eu un grand effet. Il s'est traduit par un vote massif en sa faveur. 3-La frustration de l'homme blanc. Un sentiment qui révèle le fond de la société américaine qui n'a pas accepté les huit ans de règne d'un Noir. 4- L'impopularité d'Hillary Clinton. 5- La colère des Américains «contre un système politique défaillant qui iront voter Trump non pas parce qu'ils sont d'accord avec lui mais parce qu'ils le peuvent». Selon le professeur Amazigh, le texte de Michael Moore est aujourd'hui perçu comme une bible dont chaque Américain désireux de changement détient une copie ou l'a lu au moins une fois. «A présent, il faut attendre la suite des évènements. Il faut aussi attendre que le choc de cette élection se dissipe. Ce choc a profondément tétanisé la société. Je vais vous donner un exemple, beaucoup d'Egyptiens immigrés ont ouvert des locaux de restauration. Je me rendais souvent chez l'un d'eux. En me rendant chez lui vendredi, j'ai trouvé les rideaux fermés, ses compatriotes m'ont dit qu'il avait le moral à zéro. Les gens ne savent plus quoi penser. Même les politiques, comme les élus démocrates ont remis en cause l'état mental de Donald Trump. Il faut s'attendre au pire.» Ce «pire» est fréquemment énuméré sur les chaînes de télévision américaines. Se basant sur le contenu du discours électoraliste, elles donnent un aperçu de ce qui est craint : l'expulsion des sans-papiers, l'interdiction d'entrée aux musulmans, la construction d'un mur à la frontière mexicaine, la réduction drastique des impôts, la révision des relations avec la Chine, l'intensification de la lutte contre Daesh, et la disparition de l'Obamacare, assurance santé universelle mise en place par Barack Obama. «Attendons pour voir, conclut le professeur Amazigh. Pour l'heure, la mobilisation anti-Trump se poursuit dans une Amérique où la fissure risque de s'accentuer».