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L'entretien de la semaine Lieutenant Bouyahiaoui Ahcène, chef d'unité principale de la protection civile de Tizi-ouzou, au soirmagazine :
«Inculquer la culture du risque dans les esprits»
Dans l'entretien qu'il a bien voulu nous accorder, le lieutenant Bouyahiaoui Ahcène, chef d'unité principale de la Protection civile de Tizi-Ouzou, interpelle le grand public sur les dangers d'une mauvaise utilisation des différents moyens de confort. Il insiste par ailleurs sur la vigilance dont doivent faire preuve les citoyens pour éviter certains accidents domestiques, tout en précisant qu'aujourd'hui plus que jamais, il est impératif d'inculquer à la société algérienne la culture du risque et par là même celle de la prévoyance. Soirmagazine : Comment peut-on définir les accidents domestiques ? Lieutenant Bouyahiaoui Ahcène : Comme son nom l'indique, l'accident domestique survient à l'intérieur d'un domicile, comme un incendie, une asphyxie due au monoxyde de carbone, des brûlures, une électrocution, une ingestion par des personnes de produits toxiques, des chutes graves. Et la liste est longue, mais là nous en avons cité les plus courants et qui nécessitent l'intervention des éléments de la Protection civile. A quel moment intervenez-vous, et en quoi consiste votre intervention ? Nous intervenons juste après l'appel que nous recevons. Il est clair que nos interventions consistent à sauver des vies. Elles se définissent selon la nature de l'accident. Afin qu'elles soient efficaces, nos agents qui reçoivent les appels doivent, en un temps record, récolter le maximum d'informations sur l'origine de l'accident afin de s'équiper en conséquence. Sauver des vies humaines est un métier à la fois noble et difficile, comment le choisit-on ? Pour certains c'est un choix raisonné ; pour d'autres, c'est une destinée. Mais il est évident que l'on finit toujours par l'aimer. Pour beaucoup c'est un rêve d'enfant. Un pompier est vu par un enfant comme un héros. Il y a ceux qui réalisent ce rêve et d'autres qui l'oublient en grandissant. En ce qui me concerne, je n'en ai pas rêvé dans ma tendre enfance. Mais en le pratiquant j'en ai fait une passion, celle de secourir les personnes en détresse. On se rend vite compte sur le terrain qu'entre le rêve et la réalité il n'y a pas de commune mesure. D'ailleurs on le voit chez les nouvelles recrues qui ont embrassé ce métier par passion. Je me rappelle ce jeune qui a été confronté pour la première fois au terrain, c'était lors du séisme de 2003, on avait extrait de dessous les décombres le corps d'un bébé sans vie, je l'ai pris dans mes bras et l'ai tendu à ce jeune homme. Il a eu le choc de sa vie. D'ailleurs nous l'avons vite évacué vers Tizi-Ouzou. Cela ne l'a pas empêché plus tard de devenir un bon élément. Quels sont les accidents domestiques les plus récurrents ? Y a-t-il des saisons particulières où la courbe d'intervention est à son apogée ? En fait, chaque saison a sa spécificité et son lot d'accidents, et il va de soi que chaque région a aussi sa spécificité. Il est évident que c'est en période hivernale et dans toutes les régions aussi bien en ville qu'en campagne que nous intervenons le plus. Les populations utilisent différents moyens de chauffage et d'énergie électrique et malheureusement sans le respect des normes de sécurité. Le danger vient de là. Ne pas jouer avec le feu et faire appel à des spécialistes reconnus. Au-delà de sauver des vies, notre rôle est de sensibiliser les citoyens sur ces dangers, de leur inculquer la culture du risque, leur apprendre à être prévoyants et bannir la négligence. En clair, minimiser les risques d'accidents. Après 16 années d'expérience, quelle est l'intervention qui vous a le plus marqué ? Je me rappelle notre intervention dans un feu de forêt qui s'est déclaré en 2007 dans la région de Béni-Douala, au village Zmenzer. Le feu a carrément ravagé le village. Après le passage du feu, j'ai fait une reconnaissance sur les lieux. Je marchais et subitement me suis retrouvé face à une femme avec ses deux enfants, une fillette et un garçon de quatre ans, lynchés par les flammes. Je pense qu'ils ont été asphyxiés. J'ai été très affecté au plan psychologique. Quel est votre sentiment face à votre impuissance parfois à sauver des vies ? Pour l'heure, je n'ai pas encore vécu ce genre de situations. En fait, quand nous sortons sur le terrain, nous partons avec l'esprit de sauver des vies. Nous allons jusqu'au bout de nos efforts. Nous sommes forts de notre optimisme. Quand il s'agit de repêcher un noyé, l'idée de le trouver mort n'effleure pas notre esprit. C'est ce qui s'est passé en 2015, lorsqu'une voiture est tombée dans le barrage de Taksebt d'une profondeur de 68 m. Nous n'avons jamais lâché prise. Nous avons cherché durant quatre jours sans perdre espoir. Nous avons réussi à repêcher trois corps qui étaient coincés dans le véhicule. Le quatrième a été éjecté. D'ailleurs, à l'occasion, je tiens à féliciter l'excellent travail des plongeurs qui nous ont été d'un grand secours. Que ressentez-vous lorsque, au contraire, vous venez de sauver des personnes de la mort ? Un sentiment de béatitude nous envahis. Nous ressentons une profonde paix intérieure. Nous rentrons chez nous satisfaits. Pouvez-vous nous citer des cas où des personnes sont décédées alors qu'elles pouvaient être sauvées par des gestes simples ? En réalité, on ne connaît pas la cause exacte du décès. Mais on se dit que si la famille de la victime, son entourage connaissaient les premiers gestes qui sauvent, peut-être qu'elle aurait pu échapper à la mort. Je citerai par exemple les cas d'arrêt cardiaque ou de noyade. En général, les baigneurs se trouvent sur des plages surveillées, là où il y a foule, donc ils ont plus de chances d'être secourus. D'ailleurs, notre Direction générale planche sur un projet de formation à cet effet. Une formation de secouristes de masse, l'objectif : «1 secouriste par famille». Et des secouristes volontaires de proximité. Nous en avons déjà formé plus de 2000 dans la wilaya de Tizi-Ouzou. Notre devise : protéger, alerter, secourir pour une bonne prise en charge des victimes. Il faut avoir présent à l'esprit que les secouristes sont les premiers témoins des accidents. Pour peu qu'ils ne soient pas formés aux bons gestes, ils peuvent faire des dégâts sans le vouloir. Les gestes qui sauvent ! Quel est le ou les messages que vous pouvez transmettre aux citoyens face à des situations de survie ? Avoir la volonté de s'initier aux premiers gestes de secours. Par nos campagnes de sensibilisation nous essayons d'inculquer aux citoyens la culture du risque. L'Algérien, Dieu merci, a l'esprit solidaire, il suffit juste qu'il soit encadré. Je tiens à préciser que la formation dans ce sens est ouverte au grand public et concerne tous les âges. Nous organisons quatre sessions par an, et appelons les citoyens désireux d'apprendre à sauver des vies de se rapprocher de l'unité de la Protection civile la plus proche de sa circonscription. Un dernier mot... Je conclurai dans le même ordre d'idées : nous avons constaté durant notre carrière que nous sommes loin de l'esprit et de la culture du risque. Je vous donne un exemple révélateur : la contrefaçon bat son plein et touche tous les produits. Les Algériens en sont conscients, et malgré ça ils s'entêtent à acheter moins cher au péril de leur vie. L'ignorance a aussi sa part de responsabilité dans les cas d'accidents. Beaucoup croient en la fatalité. Dans la majorité de nos interventions, nous avons remarqué que les accidents sont souvent banals et dus à une négligence. Je citerai le cas récurrent des morts par inhalation de monoxyde de carbone. On fait installer son équipement de chauffage par un non professionnel et la mort est inévitable. Les consignes de sécurité ne sont pas toujours respectées, pour ne pas dire jamais. C'est pourquoi je ne cesserai d'appeler — et nos campagnes vont dans ce sens — la population à recourir à des spécialistes. Les services de la Sonelgaz sont les mieux indiqués. n