[email protected] Au début du mois de février 2017, la presse nationale a rendu compte de la tenue d'un colloque international organisé par l'Institut militaire de documentation, d'évaluation et de prospective (Imdep) du ministère de la Défense nationale et officiellement consacré au thème suivant : «Migrations de crises et sécurité régionale : quelles perspectives pour l'espace euro-maghrébin ?» Soulignant l'importance de cette rencontre, lors de son inauguration, un haut responsable du ministère de la Défense nationale y a notamment déclaré : «L'aggravation de ce phénomène est devenue une source d'inquiétude pour plusieurs pays à cause de la difficulté de contrôle d'immenses flux de migrants d'une part, et d'autre part, la crainte de l'exploitation de ces migrants par des terroristes et les responsables de la criminalité organisée, et qui constituent un danger pour la sécurité et la stabilité de la région.» Or, en dehors de celles strictement relatives à la cérémonie inaugurale de colloque, très peu d'informations, à ma connaissance, ont été diffusées en direction du grand public sur le contenu des débats organisés et des diverses informations qui ont pu y circuler. Et c'est bien dommage, alors que, pour le pays, la thématique de ce colloque est certainement l'une des plus brûlantes qui actuellement puissent être ; probablement au sens fort, comme l'illustre la notion même de «harga», désormais passée dans le langage courant qui renvoie à des phénomènes sociaux bien réels, largement répandus dans la société et qui, directement, l'interpellent tout autant que les pouvoirs publics. Et ce, en raison tant des enjeux profondément humains qui les déterminent et les structurent dans leurs fondements les plus intimes et ultimes, que des multiples et graves conséquences de toutes natures qu'ils peuvent avoir, dans le pays, aux divers plans individuels et collectifs, ainsi que, dans le reste du monde, sur un ensemble complexe d'enjeux nationaux et internationaux. Mais avant d'aller plus loin, il convient d'abord de dire que l'importance aujourd'hui accordée à la problématique des migrations internationales illégales du Sud vers le Nord de l'espace méditerranéen est loin d'être nouvelle, puisque, dès les années 1980-1990 déjà, elle commençait à émerger comme une préoccupation tout particulièrement sensible. En fait, dès l'adoption, en juin 1985, par cinq pays européens — France, Allemagne et les 3 pays du Benelux — des «Accords de Schengen» qui organisaient entre eux la libre circulation des personnes et qui, ipso facto, d'une manière ou d'une autre, posaient les fondements de la problématique d'une «forteresse européenne» devant nécessairement se protéger vis-à-vis de «l'extérieur». Et c'est ainsi, entre autres, qu'à partir d'octobre 1986, les Algériens souhaitant se rendre en France, jusqu'alors uniquement tenus de présenter un «certificat d'hébergement» délivré par le maire de la commune française où ils projettent de résider durant leur «court séjour», devaient se soumettre à la nouvelle formalité d'un visa d'entrée délivré par les autorités françaises. Ceci dit, j'avais personnellement contribué sous différentes formes et dans plusieurs cadres à la réflexion en cours à cette époque ; notamment, dans un article publié dans un numéro spécial de la revue canadienne de relations internationales, Etudes internationales consacré à la thématique «Migrations et relations transnationales» —vol XXIV, n°1, Mars 1993 — et placé sous la direction des éminents spécialistes que sont, pour les relations internationales et les migrations internationales, respectivement, Bertrand Badie et Catherine Wihtol de Wenden. Article que j'avais intitulé «Question migratoire, sécurité et coopération en Méditerranée occidentale» (p. 79-102 du numéro ; file:///C:/Users/nadji/Downloads/703129a%20(1).pdf) et dans lequel, en conclusion, j'avais tout particulièrement insisté sur les enjeux fondamentaux que représente pour l'ensemble des partenaires de la région méditerranéenne «la jonction entre les intérêts communs et les valeurs communes». Car, de mon point de vue, cette convergence, comme projet multidimensionnel complexe — impliquant donc aussi des échanges sur les systèmes de normes et de valeurs — à définir et construire, était seule en mesure de créer les véritables conditions objectives et subjectives d'une nouvelle dynamique de coopération régionale à la hauteur des nombreux et graves alors identifiés et qui, pour l'essentiel, se concentraient sur les migrations maghrébines. Aujourd'hui, soit près de 25 ans après la publication de cet article, force est de constater que la problématique des migrations illégales — telle qu'articulée autour de ses répercussions en termes d'enjeux démographiques, migratoires, économiques et sécuritaires dans l'espace méditerranéen — demeure toujours d'actualité et, très certainement, bien plus que jamais. En effet, sous les formes les plus variées et dans les instances les plus diverses, elle ne cesse de hanter bien des esprits et d'interpeller les consciences en devenant même une des problématiques les plus structurantes des débats publics au niveau de l'ensemble de l'espace régional. Le colloque international, récemment organisé par l'Imdep et ci-dessus évoqué, ne constituant qu'une des innombrables manifestations reflétant des préoccupations lancinantes dont le champ ne cesse de s'étendre sur les rives Nord et Sud – surtout la première d'ailleurs — de la Méditerranée et qui, de toute évidence, sont clairement perçues comme appelées à devenir — et pour très longtemps encore — des axes majeurs de réflexion et d'action. Alors même qu'à l'encontre de beaucoup d'idées reçues, toutes les données disponibles sur les migrations africaines subsahariennes permettent d'établir que, pour le moment du moins, elles demeurent essentiellement contenues dans les limites du continent ; pour au moins 75% d'entre elles. Ce qui ne veut nullement dire qu'à moyen et long termes, en raison de la très forte croissance démographique de l'Afrique subsaharienne et de sa faible croissance économique conduisant à la persistance de forts taux de chômage, notamment chez les jeunes, il n'y aura pas d'intensification des flux migratoires illégaux subsahariens en dehors des limites de leur espace d'origine ; avec nécessairement, une partie de ces flux qui, d'une manière ou d'une autre, se stabiliserait en Afrique du Nord. Flux migratoires qui, pour reprendre les termes du démographe nigérian, Aderanti Adepoju, spécialiste des migrations africaines, procèdent pour les personnes concernées d'un choix dans lequel elles privilégient «la misère avec espoir à la misère sans espoir». Enfin, il convient de préciser qu'outre les migrations illégales — à la fois, de migrants économiques et de réfugiés politiques, sans qu'il soit toujours facile d'établir une différence nette entre les deux — sur lesquelles il sera ici mis l'accent, il existe entre l'Afrique et l'Europe de nombreuses formes de migrations légales qu'elles concernent, tout particulièrement, divers types de regroupement familial ou bien encore certains segments particulièrement qualifiés de main-d'œuvre, tels que les étudiants ou certains spécialistes pour lesquels existe une forte demande. En ce qui concerne le présent texte, procédant fondamentalement d'une volonté de contribution à un nécessaire large débat public national, trop longtemps évacué, voire refoulé, son objet est avant tout de faire le point sur les évolutions qu'a pu connaître cette problématique des migrations internationales illégales du sud vers le nord de la Méditerranée, au cœur de laquelle, d'une manière ou d'une autre, se trouve directement impliqué le pays. Et qui va nécessairement peser de tout son poids, en tant qu'ensemble de contraintes en mesure d'affecter directement ses perspectives à moyen et long termes, quel que soit l'angle sous lequel celles-ci peuvent être prises en considération : économique, social, démographique, environnemental, géopolitique et sécuritaire, notamment. De ce point de vue donc, s'il fallait à grands traits présenter les principaux phénomènes qui, sur les 25/30 dernières années, ont directement affecté les évolutions de la problématique des migrations internationales illégales du sud vers le nord de la Méditerranée et qui, tous, vont dans le sens de la nette confirmation de son poids croissant dans les problématiques régionale et même mondiale, il conviendrait d'en retenir les sept principaux suivants : - l'exceptionnelle croissance démographique de l'Afrique subsaharienne : en effet, l'examen de l'évolution démographique récente de l'Afrique subsaharienne — dernière région du monde à connaître le phénomène de la transition démographique — ainsi que celui des projections disponibles de sa population mettent clairement en évidence un rythme de croissance absolument exceptionnel eu égard reste du tableau mondial et dont les conséquences en termes de migrations internationales — au sein même de l'espace subsaharien et en direction du nord du continent, donc vers le Maghreb, ainsi que vers l'Europe — commencent aujourd'hui à se faire sentir. Les chiffres parlent d'eux-mêmes et doivent être objectivement appréciés à leur juste valeur : en 2050, l'Afrique aura une population totale de l'ordre de 2,5 milliards d'habitants ; dont environ 2,2 milliards pour la seule Afrique subsaharienne qui, à elle seule, aura plus d'habitants que l'Europe, l'Amérique (du Nord et du Sud) et l'Océanie réunies qui n'en regrouperont sensiblement qu'1,9 milliard. En outre, sur les 2,4 milliards d'habitants supplémentaires que comptera le monde entre 2015 et 2050, 1,3 milliard seront des Africains, pour l'essentiel subsahariens ; l'Asie n'en fournissant «que» 0,9 milliard. (Dans ce texte, toutes les données relatives à la population sont extraites du document suivant : United Nations, Department of Economic and Social Affairs, Population Division, World Population Prospects, Key findings and advance tables, 2015 Revision ; par ailleurs, elles correspondent à l'hypothèse moyenne de croissance de la population). Or, cette croissance démographique extrêmement élevée en elle-même ne prend tout son sens que si elle est rapportée à la croissance économique réelle des économies africaines, en termes de création de richesses nouvelles et telle qu'appréciée au regard de la demande sociale et des transformations effectives des sociétés concernées ; - la faible croissance économique réelle des économies africaines : beaucoup de chiffres circulent sur la croissance économique de l'Afrique subsaharienne et qui trop souvent s'articulent essentiellement autour du seul taux de croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) qui, de toute évidence, doit être manipulé avec beaucoup de précautions. En effet, trop souvent, en lui-même, il est extrêmement trompeur, surtout dans le cas des pays dotés de secteurs liés à l'exploitation de ressources naturelles non-renouvelables ou difficilement renouvelables — pour l'essentiel, hydrocarbures, mines et forêts en Afrique subsaharienne — puisqu'en fait et en dernière analyse, il rend surtout compte du rythme de leur irréversible destruction par des activités humaines. A cet égard, il est significatif que dans son dernier rapport sur les «perspectives économiques régionales de l'Afrique subsaharienne» (octobre 2016), le Fonds monétaire international (FMI) évoque «deux Afriques qui se côtoient» ainsi qu'une «croissance à plusieurs vitesses» ; étant entendu que les pays fondant leur croissance sur les matières premières et donc, affectés par le ralentissement de la demande mondiale, sont ceux qui, sur l'année de référence du rapport (2016), réalisent les plus mauvaises performances et tirent vers le bas la moyenne de la région. A titre indicatif, exprimé en parité de pouvoir d'achat (PPA) en US dollar, le PIB de l'Afrique subsaharienne en 2017 est estimé comme étant légèrement inférieur à celui de la «seule» Allemagne, de l'ordre de 4 000 milliards de US dollars. Ceci dit, par-delà les fluctuations conjoncturelles, de manière générale, la croissance économique de l'Afrique subsaharienne est souvent hypothéquée par de nombreux facteurs négatifs — tels que, notamment, la mauvaise gouvernance, la faiblesse des capacités institutionnelles, les mauvaises performances des systèmes d'éducation et de santé, l'insécurité et l'instabilité parfois chroniques, les conséquences déjà sensibles dans bien des espaces du réchauffement climatique, le mauvais état des infrastructures — et qui, tous, conjugués à la forte croissance démographique, de fait, conduisent à une faible croissance du PIB par habitant — affecté d'une tendance à la baisse depuis le début des années 2000 — et même à des taux de pauvreté qui sont les plus élevés au monde. Eu égard à l'Indice de Développement Humain (IDH), dans le dernier rapport du Programme des Nations unies sur le développement (Pnud) consacré à ce thème (2016), l'Afrique subsaharienne est la région du monde qui obtient le score le plus faible et, sur les 20 derniers pays présentés dans le classement du rapport, 19 sont subsahariens. En tout état de cause, eu égard à la problématique des migrations internationales il convient surtout de relever que dans la région le taux de chômage demeure extrêmement élevé, tout particulièrement chez les jeunes, y compris lorsqu'ils sont diplômés ; - les conséquences du réchauffement climatique : selon toutes les sources crédibles disponibles, l'année 2016 aura été nettement marquée par un ensemble d'évolutions convergentes — hausse des températures, élévation du niveau des océans et pertes significatives de surfaces des banquises, notamment — confirmant toutes de manière indéniable le réchauffement du climat de notre planète et conduisant même un responsable d'un programme de recherche de l'Organisation mondiale de la météorologie (OMM) à évoquer le fait que «nous sommes désormais en territoire inconnu». Et ce, alors que, parmi les différentes régions concernées par le changement climatique en cours et ses conséquences directes sur l'économie et la société, l'une des plus menacées est certainement l'Afrique dont beaucoup de pays — tant en Afrique du Nord qu'au Sahel — sont directement exposés à des risques, parfois élevés, ainsi que l'indiquent, entre autres sources, les documents du «Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat» (GIEC) ou encore ceux établis pour le calcul d'un indice tel que «Climate Change Vulnerability Index 2017». Or, le changement climatique, en termes d'impact réel sur les évolutions économiques, sociales et politiques, va fonctionner comme un «multiplicateur de menaces» en ce sens que, par ses propres modalités d'intervention, il va directement contribuer à accroître et même à aiguiser le niveau des contradictions et tensions déjà en présence dans une société donnée — notamment toutes celles liées à l'accès à des ressources rares — et ce, avec d'autant plus d'effets négatifs que son impact se fera dans des contextes de vulnérabilité de la nature et de la population ; et, le plus souvent, des deux à la fois ; - le renforcement des activités des groupes terroristes islamistes dans l'espace sahélien : historiquement liés à l'activité des groupes terroristes activant en Algérie dans les années 1990, ceux opérant dans l'espace sahélien ont, depuis, considérablement élargi leurs champs d'autonomie et d'intervention et sont progressivement devenus des acteurs importants de la problématique sécuritaire régionale. A cet égard, il est très significatif que, de par leurs différentes actions, ils ont fini par entraîner une intervention militaire directe d'une importante puissance extrarégionale, telle que la France : opération «Serval», montée dans l'urgence pour arrêter la progression de groupes terroristes islamistes se dirigeant vers la capitale malienne, Bamako, en Janvier 2013 et suivie de celle dite Barkhane», toujours en cours. Toujours aussi actifs, au début du mois de mars 2017, trois de ces groupes ont annoncé la naissance d'une alliance — dite «Groupe de soutien à l'Islam et aux musulmans» — visant à coordonner leurs interventions et qui, formellement, au plan international, a fait allégeance à l'organisation Al Qaïda initiale, ainsi qu'au mouvement afghan des Taliban» ; elle a déjà revendiqué au moins une opération (attaque de la caserne de Boulikessi, dans le centre du Mali, près de la frontière avec le Burkina Faso). A ces trois groupes, tels qu'inscrits donc dans cette nouvelle alliance, il convient d'ajouter celui de Boko Haram qui, né dans le nord du Nigeria, a considérablement élargi son aire d'action, notamment en direction de l'ensemble de la zone du Lac Tchad, en cours de déstabilisation. Ceci dit, outre les groupes terroristes islamistes mentionnés, il convient de mentionner divers réseaux centrés sur la criminalité organisée — nationale et/ou transnationale — et qui, eux aussi, déploient leurs actions, y compris celles liées au trafic d'êtres humains, dans l'ensemble de l'espace sahélien et même au-delà ; - les crises politiques affectant des pays arabes et/ou musulmans : si la question des migrations internationales de la rive sud vers la rive nord de la Méditerranée connaît actuellement un énorme regain d'intérêt au plan international, c'est essentiellement en raison de l'importance croissante des flux concernés et de la gravité des terribles drames humains qu'ils génèrent, en Méditerranée, notamment. Or, si les flux migratoires ont considérablement pu augmenter, c'est en partie en raison des crises de toutes natures qui se déroulent dans de nombreux pays arabes et/ou musulmans et qui, soit ont conduit certains d'entre eux à devenir eux-mêmes des émetteurs de nouveaux flux significatifs (tels que la Syrie, l'Irak, le Yémen, la Somalie, l'Afghanistan ou le Pakistan) ; soit ont eu comme conséquence un effondrement de l'Etat qui jusqu'alors érigeait des barrières limitant les marges de manœuvre des migrants dans leur projet de franchir la Méditerranée. De ce point de vue, le cas emblématique est certainement celui de la Libye qui, à partir de 2011 — suite à la crise politique qu'elle a connue et l'intervention militaire extérieure — est devenue un espace sans aucune autorité centrale légitime. Et qui, de fait, s'est transformé en une plate-forme à partir de laquelle d'importants flux de migrants illégaux — pour l'essentiel, subsahariens — prennent régulièrement la mer en direction de l'Union européenne, souvent dans le cadre d'opérations organisées par des réseaux de passeurs. S'il est difficile d'évaluer sérieusement le nombre de migrants qui, annuellement, tentent la traversée et encore plus difficile d'estimer celui d'entre eux qui y perdent la vie, il n'en demeure pas moins que les flux concernés — sensiblement près de 185 000 migrants et réfugiés essentiellement africains accueillis en Italie en 2016 dont 90% en provenance de Libye — avec les cortèges de drames qui les accompagnent sont devenus éminemment symboliques de la crise migratoire qui affecte l'espace méditerranéen occidental. Alors même que, dans le bassin méditerranéen oriental, d'importants flux de même nature, plus liés aux conflits en cours dans le Moyen-Orient s'efforcent à partir de la Turquie de rejoindre l'Union européenne. En l'occurrence, le plus souvent, la Grèce voisine avant de tenter, ensuite, en direction d'autres pays européens, d'emprunter une «route des Balkans» de plus en plus difficile d'accès, en raison, à la fois, de l'accord intervenu le 18 mars 2016 entre l'Union européenne et la Turquie en vue de contrôler les mouvements migratoires et de l'opposition croissante des autorités des pays à traverser elles-mêmes ; - l'émergence croissante de la problématique des migrations internationales comme thème majeur des enjeux politiques nationaux et internationaux : dans des contextes nationaux plutôt caractérisés par de faibles taux de croissance économique et des taux relativement élevés de chômage, dans beaucoup de pays européens, des mouvements sociaux et politiques significatifs émergent qui font de leur opposition à toute immigration extra-européenne non contrôlée un de leurs thèmes majeurs de mobilisation. Pesant directement sur les diverses problématiques idéologiques et politiques de leur pays, ces mouvements qui rencontrent des accueils contrastés en termes de succès politiques réels eu égard aux échéances électorales auxquelles ils participent, n'en constituent pas moins d'importants groupes de pression pesant directement sur les politiques migratoires en Europe. Ceci dit, il importe de constater que ces enjeux migratoires en termes de politiques publiques sont également devenus à l'échelle mondiale des thèmes majeurs de problématiques non seulement nationales, mais également internationales, impliquant donc des relations entre Etats. De ce point de vue, il convient certainement de citer les relations entre les Etats-Unis d'Amérique et le Mexique, depuis la récente élection de M. Donald Trump et sa volonté de construire un mur entre les deux pays ; ou bien les tensions prévalant entre l'Union européenne et la Turquie — à propos de l'accord de Mars 2016 déjà mentionné — puisque, dans un contexte de crise diplomatique, cette dernière menace de le dénoncer. Tout comme, il convient également de relever des formules telles que «diplomatie des migrations internationales» ou «diplomatie migratoire» ou «gouvernance mondiale des migrations», toutes trois désormais largement utilisées pour rendre compte de réalités bien concrètes dans les rapports qui se nouent directement entre Etats souverains ou dans des cadres multilatéraux et qui, tous, visent à résoudre des problèmes et des tensions liés aux migrations internationales ; - la transformation des pays du Maghreb en terres d'accueil de migrants subsahariens : eux-mêmes longtemps émetteurs de migrants vers la rive Nord, notamment dans le cadre d'une logique longtemps générée par le pacte colonial qui leur avait été imposé, les pays du Maghreb – Maroc, Algérie et Tunisie, surtout — sont en train de connaître un changement de statut qui, à tous égards, constitue pour eux une mutation significative. Certes, tous aujourd'hui encore émetteurs de flux illégaux vers la rive Nord, qu'exprime bien la notion de «harga» déjà mentionnée, les pays du Maghreb, constituant un passage obligé dans les itinéraires migratoires des migrants subsahariens vers l'Europe, sont également progressivement devenus, au fil des années, des pays dans lesquels ceux-ci finissent par s'installer. Qu'ils aient été délibérément «choisis» comme tels par les migrants subsahariens ou bien qu'ils constituent pour eux, de fait, une sorte de «second choix en attendant de pouvoir éventuellement se rendre en Europe, les pays maghrébins – Maroc et Algérie, surtout — voient progressivement s'installer dans les limites de leur espace national un nombre croissant de migrants subsahariens. Il est difficile d'avoir une idée du nombre de ressortissants subsahariens installés dans les trois principaux pays concernés : la Libye, en raison de la situation chaotique qui y prévaut ; le Maroc et l'Algérie, en l'absence de données réellement fiables. Cependant, pour le Maroc, il convient de retenir qu'en 2014 il y a déjà eu une première phase de régularisation de la situation de résidents étrangers qui a concerné 25 000 personnes, dont près des 2/3 étaient d'origine subsaharienne, qu'une nouvelle phase du même type est en cours et que le nombre ressortissants subsahariens présents dans le royaume, en situation irrégulière et projetant de se rendre en Europe est estimé à 30 000. En Algérie, selon certaines estimations, rapportées par la presse, leur nombre avoisinerait les 100 000, dont de nombreux Maliens et Nigériens et une grande partie d'entre eux résiderait dans le sud du pays. Au final, il est clair que : - plus que jamais, la question des migrations internationales illégales de la rive sud vers la rive nord de la Méditerranée, émerge comme une problématique déterminante structurant les relations existant entre l'ensemble des pays des deux rives, entendus au sens large en tant qu'européens et africains ; - de plus en plus, de nombreux facteurs politiques, idéologiques, sécuritaires, culturels et sécuritaires interviennent directement dans les évolutions de cette problématique, à commencer par toutes celles qui concernent ses perceptions individuelles et collectives ; - les pays du Maghreb, tout en continuant d'être émetteurs de flux en direction de la rive Nord, entrent dans une nouvelle phase de leur histoire en tant que pays récepteurs de flux de plus en plus significatifs en provenance d'Afrique subsaharienne ; - l'Algérie, à plusieurs titres — entre autres par la centralité de sa position géographique — est de plus en plus directement concernée par tous les enjeux structurant les mouvements de population en Afrique subsaharienne, notamment dans l'espace sahélien limitrophe, et qui pèseront sur ses perspectives. N. S. (À suivre) (*) Chargé de cours à l'Institut de sociologie de l'Université d'Alger, ancien chef de division du développement social à la Banque africaine de développement.