Par Farouk Zahi Le protocole de votre long périple à travers la vaste wilaya de M'sila en date des 22 et 23 mars a fait que vous deviez passer la nuit, Monsieur Bédoui, à l'hôtel «Le Caïd» là où le jeune Etat algérien naissait un certain juillet 1962. Vous aurez remarqué que l'on persiste à garder cette dénomination à connotation coloniale alors que le mythique «Transat», à une encablure de là, porte un nom local. Vous êtes, probablement, le premier membre du gouvernement à avoir inspecté le siège de l'Assemblée populaire communale qui prétend à la souveraineté. Il a été rapporté par ceux qui ont été appelés à la hâte, le hasard fait souvent bien les choses, que vous étiez outré par l'état de délabrement de l'unique salle des fêtes communale d'une cité urbaine de plus de 150 000 habitants. Réalisée dans les années soixante-dix, elle prétendait être le centre d'une activité culturelle rayonnante du fait du gisement local de multiples vocations. Son parquet en gerflex-PVC, ses sièges en bois, son faux-plafond éventré servant de nid aux volatiles, ses vieilles tentures poussiéreuses renseignent, à eux seuls, sur la décrépitude d'une ville, jadis, heureuse. Et dire que l'on y a organisé 4 ou 5 éditions du festival régional du chant religieux et récemment les Premières journées cinématographiques. Opter pour un tel lieu pour organiser une activité culturelle de grande envergure ne peut participer que de l'inconséquence ou de l'intention délibérée de nuire à l'événement. Au regard de cette seule salle, vous auriez résumé en peu de mots l'état dans lequel a été tenue cette cité plusieurs fois centenaire. Haut lieu d'une citadinité, jadis affirmée, elle geint sous la férule de la rustrerie. Quant au siège abritant les services communaux sans allure, il renvoie à la municipalité d'un gros bourg. Lors de cette même visite, vous aurez noté que d'anciennes petites bourgades sont mieux loties, faisant même dans le fastueux en sièges communaux ou en centres culturels. L'endroit où est abrité ce siège, supposé être le centre administratif de la ville donc résidentiel, n'est qu'un conglomérat de bâtisses regroupant des services fiscaux, sociaux, bancaires et autres agences de voyages. Dépecée de son assiette originelle, la mairie est obligée de tourner le dos au boulevard principal. Si le centre névralgique de la cité est, comme vous l'avez constaté, dans un tel état que dire alors de la périphérie urbaine ? Se développant à son propre compte, la ville a connu plusieurs excroissances exacerbées par le flux migratoire généré par les turbulences des années 1990. Outrepassant ses limites topographiques représentées par un profond ravin, le quartier de Sidi-Slimane risque d'être le théâtre d'un drame cataclysmique. Des dizaines de demeures sont érigées sur la crête d'une falaise de tuf plaçant leurs occupants sous le risque mortel d'un éboulement. A quelques mètres du lieu, des pans entiers de cette falaise menacent de choir. Au sud, le quartier du 1er-Novembre 1954 est mité par une excroissance appelée «Rasfa» qui a pris pour gîte un vallon montagneux. Ce grand quartier appelé anciennement «Dachra El Gablia», base arrière, jadis, de l'ALN, est, sans doute, l'un des quartiers les moins équipés de la ville. Regroupant plusieurs cimetières, il ne doit recevoir la visite des responsables locaux que lors des cérémonies funéraires. Les constructions illicites, quoique le terme ne soit pas approprié s'agissant de citoyens victimes d'un déni de droit au logement, ont eu raison des sépultures d'un des trois cimetières claniques en le spoliant d'une bonne partie de sa superficie, sous le regard indifférent de l'autorité publique. Prolongement naturel de la ville dont il n'est séparé que par l'oued, le quartier précité n'est desservi que par un seul et unique pont exposant la population à l'isolement en cas de rupture comme celle de 1998 où celle-ci a été obligée de faire un détour de plusieurs kilomètres. Le faubourg appendiculaire de Maitar, du même nom que l'oued qui le longe, est une extension urbaine au début discrète, mais qui tend vers la conurbation, est dramatiquement dépourvu de commodités. Le danger de submersion qui le guette ne pourra venir que de l'oued le jouxtant, rendu impétueux lors des crues par les fondrières des pilleurs de sable. Ceci pour ce qui est escamoté à la vue du visiteur, quant au centre historique constitué de la vieille médina et de l'ancien quartier dit européen, celui-ci donne l'impression de ne pas faire partie du tissu urbain. Etranglé par la circulation automobile amplifiée par les taxis clandestins faisant office de transport public, il gagnerait à avoir son propre plan de circulation. Des trente-trois plus grosses agglomérations du pays, Bou Saâda et sa périphérie sont les seules à ne pas bénéficier d'un transport urbain et semi-urbain étatique. Quand le seul boulevard qui traverse la ville de part en part subit à chaque occasion des liftings, ce centre se contentera de ses rues et ruelles défoncées et son éclairage public blafard. Ceci n'est pas fait pour déjuger les nostalgiques d'une époque à jamais révolue. Lors de votre visite, la ville a été complètement paralysée par indigence en voies d'accès, en dehors du boulevard principal que votre cortège devait emprunter. Votre cri d'indignation à l'évocation du pillage du sable et du foncier est révélateur du laxisme des pouvoirs publics en place, représentés par deux entités dotées de la personnalité morale qui, elles seules, ont le pouvoir et l'obligation d'ester en justice tout contrevenant. C'est déjà heureux qu'un embryonnaire mouvement citoyen ose dénoncer ces impérities. Le déni d'équité que subissent la ville et sa périphérie depuis 1974, date du premier réaménagement territorial, est incommensurable. S'il est indéniablement reconnu aux instances dirigeantes une volonté politique pour l'instauration d'un développement régionalement équilibré, d'impénitents bureaucrates animés de l'esprit de clocher clanique ont tout fait pour s'engouffrer dans la brèche créant ainsi un déséquilibre local indécent que la conjoncture budgétaire actuelle ne pourra jamais combler. A moins, bien sûr, de décréter des plans spéciaux pour ces villes et villages plongés dans la pénombre du sous-équipement. Le réaménagement territorial de 1984 qui devait rétablir des régions dans le droit, ne fit qu'exacerber les rancœurs, en subdivisant par 3 ou 4, certaines wilayas du Nord. La vox populi rattachait volontiers l'heureuse promotion aux personnalités politiques issues de ces crus. Les manifestations bruyantes enclenchées dès 1989 par la population de Bou Saâda pour réclamer un autre statut administratif s'attiraient les commentaires sarcastiques des crédules qui croyaient encore à l'orthodoxie de la planification et à l'impartialité des décideurs. Des promesses non tenues jusqu'ici ont fait patienter une population jadis résignée, mais qui ne l'est plus maintenant. En utilisant les réseaux sociaux, les jeunes, dont l'instruction est le plus souvent graduée, font vite la comparaison avec les agglomérations de même niveau et tirent les conclusions idoines. Ils piaffent d'impatience, n'était-ce la sagesse des anciens. Le dernier point de votre visite a été, sans doute, le chantier du Centre universitaire. Cette modeste réalisation n'a été obtenue qu'à l'arraché et ce sont justement les jeunes, fédérés autour d'une amicale, qui ont ainsi mobilisé l'opinion locale via les réseaux sociaux. L'annonce faite en ce qui concerne l'érection d'une circonscription administrative appelée à tort wilaya déléguée est pour le septuagénaire que je suis, comme cette proposition faite à l'élève par son instituteur: «Comme tu n'es pas passé en classe supérieure, nous t'autorisons à redoubler !» Bou Saâda est dans le contexte un cancre triplant eu égard aux trois réaménagements territoriaux précédents. Victime de parjures, elle continuera à vivre avec ses pleines cohortes de jeunes désœuvrés, ses familles démunies et son exotisme folklorique que d'aucuns prennent, ingénument, pour une industrie touristique lucrative. Le 28 mars 2017.