Cam�ra au poing, Malek Bensma�l a suivi Ali Benflis durant toute la campagne pr�sidentielle de 2004. De ces dizaines d'heures de tournage �on live�, le jeune cin�aste alg�rien a produit Le Grand Jeu , film r�alit� sur une �lection qui n'a pas encore livr� tous ses secrets. Tarek Hafid - Alger (Le Soir) - Bien plus qu'un simple documentaire sur un candidat en campagne, Le Grand Jeu est avant tout un film t�moignage sur les �balbutiements� de la d�mocratie en Alg�rie. Les images de Malek Bensma�l sont livr�es telles quelles. Point de commentaires. Sa cam�ra ne t�moigne pas, elle livre des images � l'�tat brut. Au spectateur d'en tirer ses conclusions. Ali Benflis est, bien entendu, le personnage essentiel de ce film, Abdelkader Sallat, Ali Mimouni ou encore Anissa Boumediene se partagent les �seconds r�les�. Le tour d'Alg�rie du candidat du FLN est parsem� d'emb�ches et de violence. A�n-T�mouchent, Relizane, Djelfa, Aflou, Barika et T�bessa o� les pro-Bouteflika, de jeunes adolescents, tentent d'emp�cher la tenue de meetings de l'adversaire du pr�sident- candidat. Une violence qui atteint son paroxysme � Illizi, lorsque des dizaines de personnes saccagent la salle de sport quelques minutes avant le discours de Benflis. La rixe entre sympathisants des deux camps fait plusieurs bless�s. Cat�gorique, Ali Benflis accuse le chef de s�ret� de la wilaya d'Illizi d'�tre l'instigateur du guet-apens. Mais les probl�mes ne se rencontrent pas seulement sur le terrain, c'est aussi le lot quotidien des responsables de la direction de campagne install�e � Alger. Une des sc�nes montre Abdelkader Sallat, pr�sident de campagne de Benflis, se plaignant du parti-pris de l'ENTV en d�faveur de son candidat. On voit aussi comment le monopole de la t�l�vision d'Etat est contourn� gr�ce � Khalifa TV. Le 8 avril, jour de l'�lection. Le film de Malek Bensma�l a r�ussi � r�v�ler l'euphorie des premiers jours, les incertitudes de la deuxi�me semaine de campagne et la consternation du 8 avril. Le Grand Jeu sera diffus� les 4, 5 et 7 mai prochain sur TV5. T. H.
MALEK BENSMAIL, REALISATEUR DU "GRAND JEU" "Je veux capter et restituer la r�alit� � l'�tat brut" Le Soir : Quelles sont les raisons qui ont fait que votre choix se soit port� sur le candidat Ali Benflis ? Pourtant, il y avait d'autres candidats en lice lors de cette campagne pr�sidentielle, notamment Abdelaziz Bouteflika ? Malek Bensma�l : Au d�part, j'avais bien entendu un d�sir de croiser et de filmer les deux campagnes, celle de Bouteflika et celle de Benflis. J'ai eu un refus de la part de l'�quipe de Bouteflika. Ali Benflis, quant � lui, m'a re�u avec beaucoup d'attention, a compris l'enjeu de ce film et a accept� ma cam�ra. Ali Benflis a eu probablement ses raisons d'accepter ce film. Peut-�tre comme un t�moignage d'une m�moire politique. Il est clair que son id�e �tait de faire passer un message de transparence et de moderniser l'image politique du pays. Pour moi, c'�tait devenu �vident, j'ai donc souhait� montrer le fonctionnement m�me d'une campagne �lectorale pr�sidentielle, pour suivre le jeu de construction du syst�me. Un "film-document" tourn� � la mani�re du "cin�ma-v�rit�" et racont� pour la premi�re fois, de l'int�rieur m�me de l'�quipe de campagne du candidat le plus important de l'opposition. Un peu dans la lign�e du film de Depardon sur Val�ry Giscard d'Estaing ou de l'Am�ricain Richard Leacock sur la campagne de Kennedy... Dans ce film vous vous �tes "content�" de pr�senter de larges extraits des conditions dans lesquelles s'est d�roul�e cette campagne. Il n'y a, en effet, aucun commentaire de votre part. Est-ce une invite � "lire entre les images" ? "Content�" n'est peut-�tre pas le bon mot. C'est peut-�tre le dispositif de narration le plus difficile car la captation d'�v�nements demande beaucoup de travail en montage, qui donne quasiment un effet de fiction. Les meetings et les phrases-chocs de Benflis ont du sens. Benflis pointait du doigt "le" syst�me politique alg�rien et son fonctionnement. Et cela m'int�resse au plus haut point. Les meetings, les haltes dans les villages, la route, ce qui se dit dans les voitures officielles, les r�unions, les moments de solitude du candidat lui-m�me, le chaos social, le r�le de l'arm�e, le business de la campagne sont des moments de sociologie pures. Mais ce n'est pas suffisant, rapporter les m�mes images que tout le monde ne m'int�resse pas. Ce qui �tait int�ressant, c'�tait de filmer Ali Benflis, comme un personnage central, "homme-r�v�lateur" de la m�canique m�me du syst�me. Cet homme d'Etat qui conna�t les rouages, qui se d�cide de se lancer dans une bataille en s'opposant � celui que le syst�me a choisi de se perp�tuer, en l'occurrence Bouteflika. Ce qui m'a passionn� aussi, c'�tait de filmer son rapport au pouvoir, le voir approcher les foules pour leur expliquer le syst�me et les tourner de mani�re brute. Il n'y a pas de commentaire � la mani�re de Michael Moore car il ne s'agit pas d'un pamphlet mais bien d'un constat du r�el � partir d'images tourn�es. Le commentaire est dit par mes personnages-m�mes : Benflis bien s�r mais aussi son �quipe de campagne, des d�put�s, le peuple, les journalistes, ou le Gal Lamari et Bouteflika � travers les archives. Enfin, ce � quoi je tiens par-dessus tout, c'est de capter et de restituer cette r�alit� brute, la v�rit� de ces moments o� l'Histoire s'impose � ses acteurs. Le Grand Jeu sera-t-il pr�sent� en Alg�rie? J'aimerais beaucoup mais comme vous le savez probablement, il n'y aucune volont� politique et culturelle de programmation du cin�ma documentaire en Alg�rie (ni m�me de cin�ma de fiction) que ce soit au niveau de la t�l�vision ou au niveau des salles. L'histoire contemporaine alg�rienne a du mal � exister dans son propre pays. Ali�nations, mon pr�c�dent film sur la folie en Alg�rie n'a toujours pas vu le jour en Alg�rie alors que le film est sorti en salle en France, en Belgique et � obtenu plus d'une dizaine de prix � travers le monde. Lorsque ces films seront montr�s en Alg�rie, alors �a sera le signe de la fin de l'amn�sie. Mon seul film diffus� par la TV alg�rienne fut celui tourn� sur la ville de Barcelone ! Le Grand Jeu sera diffus� tr�s prochainement par la cha�ne coproductrice, TV 5, � travers le monde et sera �dit� en DVD. En quoi ce film est diff�rent de vos œuvres pr�c�dentes ? Pour moi, le pouvoir appara�t comme un fait d'observation. Le fil du film court le long de cette probl�matique, du rapport de l'acc�s au pouvoir et de la soci�t� alg�rienne. Comme pour mes autres films, le Grand Jeu dresse en quelque sorte le portrait d'une soci�t� fractur�e, socialement, culturellement et politiquement. Ce film s'inscrit dans la continuit� de mon travail de documentariste sur l'Alg�rie contemporaine. C'est l'ensemble de ces films documentaires (les miens et ceux des autres cin�astes) produits d'ailleurs exclusivement par l'Occident, qui fabriqueront la m�moire de demain, qu'elle soit sociale, politique ou culturelle. C'est par cette exigence de sujets et de personnages que le documentaire contribuera � la visibilit� de la d�mocratie alg�rienne. Vous avez pr�sent� Le Grand Jeu, votre dernier film, au Festival international du cin�ma du r�el de Paris. Pourquoi avoir choisi ce festival pour une premi�re projection et quel a �t� l'accueil, mais aussi les critiques, des participants ? Le Festival du cin�ma du r�el � Paris est l'un des festivals de documentaires des plus int�ressant et des plus prestigieux au monde. N� sous les auspices de Jean Rouch, son identit� forte est reconnue sur le plan international. Ce festival est d'autant plus important que c'est un espace de v�rit�. L'�quipe du festival suit mon travail depuis quelques ann�es et c'est, je crois, mon troisi�me film � �tre s�lectionn� en comp�tition officielle. Pour ce dernier film, les deux projections ont re�u un accueil formidable et le d�bat qui a suivi la seconde projection s'est poursuivi durant une heure trente. Beaucoup de questions ont �t� pos�es sur la repr�sentation de la d�mocratie dans notre pays et dans le monde arabe, sur la fonction d�mocratique m�me en Alg�rie, sur l'Etat de droit, sur la citoyennet� en Alg�rie...