C'est dans l'indiff�rence g�n�rale que se poursuit le programme de privatisation du gouvernement Ouyahia. Le discours officiel sur les privatisations ressasse � qui veut, ou peut, l'entendre qu'� l'exception de cinq entreprises publiques �conomiques dites strat�giques, les 1200 autres sont toutes � prendre. Plus concr�tement, le dernier bilan pr�sent� par le gouvernement devant l'APN affiche timidement la privatisation de 142 entreprises publiques, dont 25 � titre de cessions partielles d'actifs. On croit savoir que l'op�ration a rapport� 22 milliards de dinars au Tr�sor public et qu'elle l'a par ailleurs soulag� d'un passif de plus de 5 milliards de dinars. Ce qui est en cause ici, ce n'est pas le rythme ou la vitesse � laquelle le gouvernement conduit le processus de privatisation, mais le dispositif et les modalit�s de sa mise en œuvre. L� encore, la construction d'un Etat de droit est premi�re, fondamentale, pour �viter la socialisation sauvage des pertes et l'appropriation maffieuse des rentes. Et, paradoxalement, toutes les exp�riences attestent qu'une privatisation lente est plut�t un gage de succ�s. Le m�me bilan du gouvernement r�alise, dans un exercice de transparence in�dit, la prouesse de taire les noms des entreprises concern�es de part et d'autre de la transaction. Passons. La d�marche qui semble se dessiner par t�tonnements, plut�t que par strat�gie bien ordonn�e, consiste � confier aux directoires des SGP les op�rations de privatisation des petites et moyennes entreprises et de remettre directement aux mains du minist�re de la Participation et de la Promotion des investissements celles qui concernent les grosses entit�s, mais de l� � entrevoir une d�marche derri�re ce jeu de pr�rogatives d'appareils, rien n'autorise � franchir le pas. Pour nos principaux partenaires �trangers et acqu�reurs privil�gi�s, c'est le flou artistique. �On ne sait pas comment ce processus se d�roule�, avoue le pr�sident de la Chambre fran�aise de commerce et d'industrie en Alg�rie, M. Michel de Caffarelli, qui s'�tonne par ailleurs que �six visites pr�sidentielles et pas moins de 22 minist�rielles� n'ont �propuls� les investissements de notre premier partenaire �conomique qu'� hauteur bien d�risoire de 34 millions d'euros. M�me son de cloche du c�t� de notre troisi�me partenaire, l'Allemagne, qui, par la voix de son ambassadeur � Alger, M. Wolf Kischlar, reconna�t que �les investisseurs allemands restent assez timides parce qu'ils demandent une certaine s�curit� pour leurs investissements. Or, en Alg�rie, les r�formes n'avancent pas au rythme souhait�, la bureaucratie est particuli�rement lourde et le syst�me bancaire gagnerait � �tre modernis�. Ces t�moignages suffisent pour dire qu'il y a unanimit� quant � l'opacit� qui enveloppe le processus de privatisation. La Banque mondiale r�sume mieux que tout autre observateur impartial le climat dans lequel il se d�roule lorsqu'elle �crit : �Il est pratiquement impossible pour un investisseur, un banquier ou un d�cideur d'�tablir des estimations raisonnables de parts de march�s dans un secteur, de conna�tre le nombre de concurrents, la croissance de la production et le nombre d'intervenants. Un probl�me connexe a trait au manque de visibilit� commerciale pour les investisseurs, en termes de choix de politique �conomique du gouvernement. La vuln�rabilit� de l'�conomie alg�rienne � la volatilit� des prix des hydrocarbures est aggrav�e et interconnect�e � l'absence de stabilit� dans la prise de d�cision. Le gouvernement a transmis des signaux mixtes pendant des ann�es pour ce qui est de son programme de r�formes. Les lois sont amend�es et modifi�es tr�s fr�quemment et il y a une absence �vidente de consultation avec les divers acteurs du d�veloppement du secteur priv�.� La sentence de la v�n�rable institution intergouvernementale est sans appel pour le gouvernement : �Si l'on se base sur la situation de ces derni�res ann�es, il est de plus en plus difficile d'envisager une quelconque strat�gie � moyen terme de la politique gouvernementale dans le contexte des fr�quents changements de politique et de gouvernement que conna�t l'Alg�rie.�* Les �trangers ne se bousculent donc pas au portillon. Reste l'�pargne interne. L� aussi l'exp�rience ne s‘annonce pas porteuse. On sait tr�s peu de choses des tractations autour de certains dossiers qui, pour �tre sensibles, remontent jusqu'aux plus hauts niveaux de l'Etat. Tel n'est pas �ligible parce que g�ographiquement mal n�, tel autre a pu acc�der � la propri�t� d'un immeuble dans un quartier r�sidentiel d'Alger au prix plus que symbolique de 17.000 dinars le m�tre carr�, et j'en passe. La privatisation ne signifiant pas l'ouverture d'un march� concurrentiel, la chronique alg�roise ne tarit pas de petites combines entre copains pour tirer vers soi le d�pe�age du secteur public. En r�alit�, si la privatisation n'avance pas au rythme souhait�, c'est parce que dans bien des cas les entit�s concern�es n'ont pas de personnalit� et de patrimoine clairs. Une premi�re question vient � l'esprit : privatiser quoi ? Peu avant sa d�mission, l'ancien ministre des Finances, M. Abdellatif Benachenhou, �crivait : �Comment veut-on que les banques publiques et priv�es de la place fassent des progr�s substantiels si, par ailleurs, le droit de propri�t� des agents �conomiques sur leurs actifs n'est pas clairement �nonc�, clairement �tabli, clairement respect�. Les banques seraient alors face � une esp�ce de client qui, en r�gle g�n�rale, est un client flou et mou. Il y a beaucoup de travail � faire encore pour la r�gularisation transparente et ordonn�e des titres de propri�t� des entreprises publiques.�** L'�valuation du patrimoine des entreprises privatisables fait notamment obstacle aux op�rations publiques de vente soumises au visa de la Commission d'organisation et de surveillance des op�rations de bourse (Cosob). Ces op�rations souffrent certainement de moins d'ambigu�t�s. L'ouverture du capital par l'entr�e en Bourse, dans un march� financier m�me balbutiant, b�n�ficie g�n�ralement d'un pr�jug� favorable de transparence. Ce point fait d'ailleurs aujourd'hui consensus chez la plupart de nos puristes, la Bourse assurant transfert d'une �pargne courte vers une �pargne longue, mais il reste � savoir si elle est le meilleur vecteur de cette n�cessaire transformation. L'exp�rience inaugur�e par Erriad S�tif, Saidal et El- Aurassi, avec la cession de 20% de leur capital social au profit des petits �pargnants et des investisseurs institutionnels, g�n�ralement appel�s les �zinzins�, � la fin des ann�es 90, semble avoir �t� plus (pour Saidal) ou moins ( pour El-Aurassi) concluante. Il est pr�vu la privatisation partielle d'une nouvelle liste d'entreprises admises en Bourse au titre du programme approuv� par le Conseil des participations de l'Etat en septembre 2004. Le programme concerne l'h�tel El- Djaza�r, les Entreprises portuaires de Skikda et de B�ja�a, les cimenteries de Ain-Kebira et de Chlef, les organismes de Contr�le technique du Centre et de l'Est, l'Entreprise nationale des gaz industriels et l‘Entreprise nationale de transport maritime de voyageurs. Diff�rents paliers d'ouverture de capital social, pouvant aller jusqu'� 40%, sont retenus, les parts sociales devant se n�gocier entre 400 et 500 dinars l'une. Insister sur le besoin d'un march� financier comme vecteur privil�gi� d'une privatisation favorisant l'�pargne interne, c'est rendre hommage (elles le m�ritent bien quelque part) aux th�ories de la croissance endog�ne qui reposent sur l'id�e ch�re � Schumpeter que la concurrence parfaite est mortif�re et que la dynamique �conomique a besoin de concurrence imparfaite et d'intervention publique pour veiller au grain et qui �noncent que, sur le long terme, ni le taux d'investissement ni l'effort de formation ne suffisent � assurer une r�duction des �carts de d�veloppement. La privatisation de British Airways en 1987, sous l'�re de �la dame de fer�, Mme Thatcher, et celle de British Telecom, trois ans plus t�t, devaient donner � ces firmes une longueur d'avance face � la concurrence europ�enne. Ce sont pourtant elles qui ont le plus fait les frais de la d�r�glementation des march�s europ�ens du transport a�rien en 1997 et des t�l�communications en 1998. British Airways faisait d�sormais figure de grand malade : elle a perdu deux tiers de sa valeur en Bourse en trois ans. Au m�me moment, British Telecom affichait une capitalisation boursi�re inf�rieure d'un tiers � celle de Deutsche Telekom ou de France T�l�com. De m�me que la mort de British Rail et la privatisation des chemins de fer britanniques, s'ils ont permis la mise en concurrence de nombreux op�rateurs pour le transport des voyageurs, bris� le pouvoir syndical et comprim� les effectifs de cheminots, ont contraint les voyageurs � p�tir de la course aux �conomies d'exploitation, avec tout ce qu'elles comportent comme retards, lenteurs (il faut plus de deux heures pour franchir les 180 kilom�tres qui s�parent les deux principales villes du pays, Londres et Birmingham), inconfort et complications aux guichets. Au regard des exp�riences connues et � moins de travailler � une collectivisation des pertes et une privatisation des b�n�fices, l'�conomie nationale a peut-�tre plus besoin d'entrepreneurs gestionnaires libres, int�gres et comp�tents que de petits ou de gros propri�taires d'un capital. A contrario, l'argument oppos�, et que tiennent unanimement les organisations internationales apportant leur soutien aux r�formes, est celui du choc n�cessaire : les entreprises d'Etat doivent �tre plac�es devant une forte contrainte budg�taire, afin de leur imposer une gestion rigoureuse. Elles prendraient d'autant plus en compte cette contrainte qu'elles seront privatis�es. Deux argumentations plus compl�mentaires que contradictoires. A. B. *Banque mondiale, Evaluation du climat de l'investissement en Alg�rie, septembre 2003, p. 32. **Minist�re des Finances, Rapport de pr�sentation du projet de loi de finances pour 2005, 11 octobre 2004, p. 5.