Faut-il s'�mouvoir que la France renoue avec l'esprit de l'empire et sanctifie son pass� colonial ? Est-il n�cessaire d'exprimer du d�pit face � une infamie historique que son l�gislateur maquille en grande œuvre afin de redonner � cette vieille nation une bonne conscience ? A priori, il n'y a pas lieu de s'en offusquer quand, aux solides certitudes, elle n'oppose que de d�risoires vanit�s. Autant dire que la France officielle, celle qui, politiquement, manipule l'histoire, ne sort pas grandie avec cette loi de faussaires. Car, en la mati�re, les histoires de conflits s'�crivent � deux comme ils se sont d�nou�s d'un commun accord. L'h�ritage colonial est probablement celui qui exige la plus grande prudence dans la mani�re de le solder. Or imposer un �clairage unilat�ral � une histoire, pourtant commune, serait d�nier � l'autre le droit � l'interpr�tation contradictoire. De ce point de vue, le texte en question n'est rien d'autre qu'un tissu d'outrances m�me s'il ne pr�tend servir que la m�moire fran�aise. Il est vrai qu'� travers ce concentr� d'apologies l'on retrouve tous les accents triomphalistes de leur IIIe R�publique vantant ind�cemment la grandeur de la pr�sence fran�aise et m�me les injonctions du p�tainisme relatif � la mani�re d'enseigner l'histoire. Mensong�re dans son contenu, inopportune quant � la p�riode de sa promulgation, cette loi jette le trouble sur les relations entre les deux pays au moment, pr�cis�ment, o� semble se manifester une volont� d'ouvrir d'autres perspectives. Malgr� la mobilisation des historiens fran�ais, qui en contestent le contenu et soup�onnent des lobbies r�visionnistes d'en �tre les inspirateurs, il y a par ailleurs des th�ses d�culpabilisant le fait colonial qui occupent le haut du pav� �ditorial. La multiplication des parutions indique par cons�quent que la question coloniale divise � nouveau l'intelligentsia. Parfois la controverse prend une tournure inattendue par le biais du changement de perspective. Ainsi l'�talonnage du pass� colonial se fait en comparaison � la r�alit� pr�sente des Etats. � Regardez � quoi ils en sont r�duits, concluent-ils ironiquement. La clochardisation des ex-colonies dont les populations sont les otages de r�gimes contestables r�active, en quelque sorte, d'anachroniques convictions. Autrement dit, l'on sugg�re qu'elles sont re-colonisables L'Alg�rie, par exemple, suscite un int�r�t pervers dont on prend la mesure � la lecture de quelques pr�tendues compilations acad�miques o� vient se ressourcer la nouvelle pens�e coloniale. Elles seraient �galement les inspiratrices des l�gislateurs pour �dicter, comme nous l'apprend la loi, que �la pr�sence fran�aise a un r�le positif en Afrique du Nord notamment� ! (1) En s'affranchissant du devoir de repentance, la France officielle s'octroie m�me une franchise sur l'histoire tumultueuse qu'elle a men�e deux si�cles durant en Afrique. Elle surench�rit sur ce pass� en exigeant, presque, des manifestations de reconnaissance pour les legs qu'elle aurait faits et dont on n'a pas su faire bon usage. Surprenant m�pris pour les v�rit�s de la nuit coloniale qui ne rencontre chez nous que de timides et tardives contestations. Les crimes des �petits blancs�, les ratonades, les enfumades, les corv�es de bois, la torture, les tribunaux d'exception, et nous en passons et des pires, ne seraient donc que des d�rapages circonstanciels incomparables � la permanence du g�nie colonial et au lourd �fardeau du blanc� dispensant les bienfaits de la civilisation. Mythes et impostures que l'on re-actualise avec un aplomb renversant. Ainsi quand Paris l�gif�re avec insolence sur une histoire engross�e pourtant par les g�nocides d'indig�nes, Alger fait le dos rond quatre mois durant avant d'�tre �surpris� (sic) (2) par cette d�rive. Une telle arrogance ne s'expliquerait en fait que par le d�sastreux bilan de l'ensemble des Etats du continent. L'Afrique est non seulement mal partie mais elle a sombr� corps et biens. Ce sinistre g�n�ral est � l'origine des allusions insidieuses frisant le racisme primaire et qui souligne, pour les besoins de la comparaison, une fantaisiste inaptitude � la gouvernance des Africains jusqu'� laisser penser que le �devoir d'ing�rence� serait ce qui pourrait leur arriver de mieux. Il est vrai que nos dirigeants sont loin d'�tre exemplaires. L'anecdote attribu�e � Senghor, alors pr�sident du S�n�gal, n'a pas pris une ride. Il rapporta qu'un jour un paysan totalement ruin� l'aborda devant l'Assembl�e nationale et lui demanda : �Quand doit se terminer l'ind�pendance ? �. De mani�re diff�rente mais tout aussi significative, les Alg�riens ont �galement exprim� un sentiment identique. Les tonitruants bains de foule qu'ils offrirent � Chirac � Alger et Oran n'�taient pas de l'enthousiasme digne mais un appel au secours. Le temps des colonies n'est plus une nostalgie exclusive des pieds-noirs mais un fantasme contagieux des jeunes, qui, par d�pit, cultivent le regret d'une �poque qu'ils n'ont m�me pas v�cue. Implacable facture sociale due au fait que nos ind�pendances en furent vite r�duites � des identit�s nationales auxquelles manquaient la citoyennet� et l'�galit� des droits. Des �mancipations formelles confisqu�es par des �lites politiques peu scrupuleuses lesquelles, au bout de quarante ann�es, ont d�mon�tis� le sentiment patriotique. Face � ce d�sarmement moral et sur l'autre rive, le �parti colonial �, comme le d�signait l'historien Ageron, pouvait ressusciter et faire plus en l�gif�rant � la mani�re de Vichy sur l'enseignement de l'histoire coloniale afin d'en �magnifier� ses œuvres. (3) Avec cet insoutenable travestissement, la France coloniale s'auto-c�l�bre et amnistie tous les criminels de l'histoire, alors qu'Alger demeure sans voix et au mieux marmonne quelques m�contentements enrob�s de diplomatie, comme des pralines. Or, il y a atteinte � la m�moire de ce pays et cela exige de solennelles explications entre deux Etats souverains qui, jusque-l�, se donnaient en mod�les dans le r�tablissement de la confiance. L'Alg�rie et la France, �ces ennemis compl�mentaires�, selon la formule lumineuse de Germaine Tillon, n'ont plus le droit d'ajouter, aux historiques incompatibilit�s, un contentieux trop charg� de symboles. Les �chers professeurs� de France le savent, tout comme les plus probes d'entre-deux reconnaissent que la colonisation ne fut � aucun moment vertueuse en Alg�rie. En juillet 1962, ce pays n'a-t-il pas h�rit� d'une montagne de cadavres ? C'est cet holocauste qui fut le fondateur de la nation et nulle autre œuvre imaginaire. �Une patrie, c'est des cimeti�res et une m�moire�, disait Barres, or qui plus que ce pays poss�de autant de lieux de recueillement ? C'est du moins ainsi que nous percevons notre pays et pour ce fort attachement � des sacrifices qui remontent � cette nuit coloniale, nous croyons qu'il n'est pas possible de se taire et de laisser s'organiser une telle h�r�sie. Une r�solution des parlementaires alg�riens suffira-t-elle � convaincre Paris de revoir cette copie ? La probabilit� est mince sauf si le chef de l'Etat s'implique, p�se de son autorit� et amplifie la demande des �lus de la nation. Il pourra m�me rappeler au vis-�-vis qu'un trait� d'amiti� ne se finalise pas dans un climat d�l�t�re. A moins que Paris n'ait d�j� eu l'id�e d'en retarder la conclusion et qu'il ait trouv� dans cette lev�e de boucliers le bon pr�texte pour l'annoncer. Si cela �tait, l'Alg�rie prendrait sereinement acte d'une bouderie, sans rien c�der sur la question. Et pour cause, l'histoire coloniale m�rite une lecture collective m�me si les indig�nes, qui, � juste titre, ont droit au chapitre, tra�nent les pires casseroles de l'impopularit�. Qu'elle le veuille ou non, la France doit admettre que pour postuler � l'objectivit�, elle doit s'abstenir de pontifier quoi que pensent les enjoliveurs de son pass�. Il y a trop de cadavres dans les placards de la France coloniale pour qu'elle soit acquitt�e au seul b�n�fice du d�labrement de nos souverainet�s actuelles. B. H. (1) L'essai de Daniel Lefeuvre intitul� Ch�re Alg�rie dans lequel il s'efforce de d�montrer qu'entre 1930 et 1962, �la France a plut�t secouru l'Alg�rie qu'elle ne l'a exploit�e �. (2) C'est le vocable de notre chef de la diplomatie : �surprit �…. seulement in El-Watan du jeudi 17 juin 05 (3) Instruction du 5 mars 1942 concernant l'application des programmes et l'orientation cit�s par Charles Robert Ageron in France coloniale ou Parti colonial ?.