A quelques jours de la significative date du 19 mars, la pol�mique alg�ro-fran�aise vient d�emprunter un singulier chemin de traverse. En effet, elle s�est empar�e, cette fois, de l�hommage rendu � l��crivain Albert Camus, � l�occasion du cinquantenaire de sa mort, et l�a ajout� comme pi�ce � conviction pour d�noncer le retour de la pens�e imp�riale en France(1). Un d�cha�nement de critiques et une p�tition circulent afin de s�opposer � la pr�sence d�une caravane de vulgarisation des livres de cet auteur dont on a vite fait de soup�onner les objectifs. Les lectures de textes d�un intellectuel � l�identit� ambigu� ne seraient que pr�textes � une propagande subtile et pernicieuse, disent-ils. En clair, l�Alg�rie serait en pr�sence d�un original cheval de Troie des lobbies n�ocoloniaux ! Ainsi donc, toute apologie litt�raire de ce philosophe et publiciste � la fois solaire par la naissance et sombre par ses doutes est stigmatis�e mais avec des arguments inappropri�s. C'est-�-dire le recours au discours politique avec tout ce qu�il charrie de pr�suppos�s qui confondent l�homme tel qu�en lui-m�me avec sa faiblesse et ses errements et le g�nie qui a irrigu� ses �crits. Un amalgame de censeurs qui ne saurait plaider la bonne cause qu�ils croient d�fendre. D�cid�ment, la parano�a est la maladie la mieux partag�e entre les deux rives. Car, enfin, voil� un sujet d�sesp�rant parce qu�il ne s�actualise qu�� travers la suspicion recuite. Le sentier le plus battu qui soit et la plus grande soupi�re du ressentiment inutile. Que l�auteur de l�Homme r�volt� ait eu de son vivant des probl�mes moraux qu�il n�a jamais su trancher le condamne-t-il pour autant aupr�s des lecteurs alg�riens ? M�me si l�on s�en tient au strict fait que l�initiative de la caravane Camus ait associ� l�Alg�rie, sa terre natale, � la France, sa patrie �lective, pourquoi devrions-nous y d�celer forc�ment quelques nostalgies malsaines ? Pour r�pondre � cette derni�re question, il existe certainement un discours tout fait : celui de la lucidit� intellectuelle capable de d�passer les amours-propres �troits. Sauf que, nous dira-t-on, cette attitude souhait�e n�est jamais r�ciproque. Pis, chacun l�emploie contre l�autre. Voil� pourquoi les p�titionnaires d�Alger ont toutes les raisons de ne pas croire en la sinc�rit� apolitique de cet �cum�nisme camusien. Du coup, leurs reproches rejoignent les griefs du politiquement patriotique de nos �lites dirigeantes. Dans ce contexte tendu entre Paris et Alger, feuilleter le grand livre de deux m�moires tourment�es n�est-il pas devenu le paravent derri�re lequel chacune se retranche ? Pour ce qui nous concerne, pourquoi faut-il chaque fois s��mouvoir quand une certaine France revisite d�une mani�re oblique quelques si�cles de son pass� imp�rial ? Autrement dit, est-il toujours n�cessaire d�exprimer du d�pit face � une infamie historique dont elle s�efforce d�att�nuer les aspects sanglants en pr�sentant le tout sous les traits d�une grande �uvre dans le but de s�exon�rer moralement ? A priori, il n�y a pas lieu de s�en offusquer � r�p�tition tant qu�elle campe dans de d�risoires vanit�s face aux solides certitudes de l�Histoire. Autant dire que la France officielle, celle qui substitue la man�uvre politicienne � la v�rit� historique, discr�dite dans la foul�e toutes les lumi�res de son g�nie intellectuel. L�insoutenable travestissement auquel elle continue � se pr�ter oblit�re, par la d�fiance et le soup�on, la moindre passerelle humaine que nous poss�dons en partage. Le cas de Camus est pr�cis�ment embl�matique de la raideur d�ici face � la morgue sermonneuse de l�-bas. L�Alg�rie et la France, �ces ennemis compl�mentaires �, selon la formule lumineuse de Germaine Tillon, ont-elles le droit de rajouter et de surench�rir sur un th�me qui n�appartient d�sormais qu�aux historiens ? Les �chers professeurs� de France le savent, et les plus probes d�entre eux reconnaissent, sans pr�caution dans la formulation, que la colonisation ne fut � aucun moment vertueuse. En juillet 1962, ce pays n�a-t-il pas �t� d�livr� et rendu � ses autochtones sous la forme d�un vaste cimeti�re ? C�est cet holocauste, ni� par l�ex-Empire, qui fut l�acte fondateur de cette nation et nulle autre �uvre imaginaire. �Une patrie, c�est des cimeti�res et une m�moire�, disait Barr�s, or qui plus que ce pays poss�de autant de lieux de recueillement ? Qu�elle le veuille ou non, m�me la France de Camus devrait admettre, aujourd�hui, cette �vidence historique afin qu�elle puisse conduire celui-ci vers le Panth�on qu�il aura bien m�rit�. A ce moment-l� seulement, lorsque les torts seront reconnus et amend�s, le grand accoucheur de l�Etranger pourrait retrouver une place dans ce pays matriciel m�me s�il n�a pas su plaider son malheur comme on l�aurait voulu. Alors Camus cessera d��tre la victime des p�titionnaires d�ici qui ne s�autoriseront plus de jeter leur anath�me chaque fois qu�une troupe de th��tre jouera sa pi�ce intitul�e les Justes dans nos mis�rables maisons de culture. B. Hamidechi (1) � Lire l�excellent dossier sur le sujet publi� par le quotidien Libert� du jeudi 11 mars.