Un groupe de copains, en apparence d�tendus, discute de vacances m�rit�es que les uns et les autres allaient peut-�tre pouvoir s�offrir apr�s une ann�e laborieuse. In�vitablement, ils abordent la vie de tous les jours. �Que penses-tu de ce qui se passe ?�� �Rien ne va plus, hein ?� �Si je te disais que les carottes sont cuites et que les chances de s�en sortir sont s�rieusement entam�es, cela ne changera rien au cours des choses, alors, s�il te pla�t, pourrions-nous, pour une fois, �viter d�en parler ?� Ces propos sont tenus par des amis qui ne sont pas vraiment dans le besoin mais qui ne pourront pourtant pas se permettre les vacances dor�es que d�autres s�offrent r�guli�rement et pas forc�ment � leurs frais. Les bateaux qui partent pour la Costa del Sol ne sont pas aussi rares qu�on aurait tendance � l�imaginer. Ils appareillent bond�s, transportant une faune dont on aurait peine � croire qu�elle soit dot�e de la culture n�cessaire pour appr�cier le s�jour. Une faune d�arrivistes, de parvenus dont le tout nouveau standing exigera d�elle qu�elle ex�cute, m�me passablement, les gestes et mimiques des nantis de ce monde, histoire d�acc�der au fameux label de qualit�. Louer en groupe une maison en bord de mer, les potes en question pour lesquels les distractions que nous venons d��voquer sont inaccessibles, parce que trop on�reuses et donc pas � la port�e de tous, s�estiment heureux de pouvoir le faire. Ils n�ont pas tort de r�agir ainsi sinon que penser des autres, de ceux qui n�ont pas droit au minimum quoi qu�ils tentent pour adoucir leur quotidien ? Comme ce jeune et sympathique vendeur de fortune qui, un jour, m�a dit : �Si j�avais 1 000 DA en poche je ne serais pas l� � vous proposer de m�acheter du persil !� �Ah oui ? Et qu�est-ce que tu en aurais fait ?� �Je suis en train de mettre de l�argent de c�t� pour m�acheter un visa et partir d�ici.� Et voil�, la messe est dite. Il n�y a pas que les cadres, dont nous avions parl� dans une pr�c�dente chronique, qui quittent le pays. Il y a aussi et surtout tous ces jeunes sans perspective qui r�vent d��ldorado et qui, pour r�aliser leur d�sir d��vasion, sont pr�ts � braver tous les dangers. Il y a deux ou trois semaines environ, une agence de voyage, rompue � l�organisation de circuits touristiques � l��tranger, a transport� un groupe de vacanciers alg�riens vers un pays de la M�diterran�e. Ils �taient 50 jeunes et moins jeunes, c�libataires et couples, unis pour le meilleur et pour le pire, � vouloir, en apparence, visiter le pays dont nous ne citerons pas le nom par �gard � la compr�hension dont l�ambassade � Alger a fait montre en accordant les visas � l�agence touristique. Parce que ce qu�il ne faut pas oublier de noter, c�est que les consulats occidentaux qui acceptent encore de d�livrer des visas � des agences de voyage se comptent sur quelques doigts d�une seule main. Le voyage organis� a tourn� court. Sur les 50 touristes qui composaient le groupe, 40 en ont profit� pour s��vanouir dans la nature abandonnant derri�re eux y compris leur passeport � un accompagnateur confus mais inapte, de toute mani�re, � r�gler l�incident cr�� par les 4/5es du groupe. Il n�est pas rare que ceux qui �chouent dans leur tentative d�obtenir un visa suivant la proc�dure normale se faufilent dans des groupes de voyage pour ensuite leur fausser compagnie et il arrive m�me que parmi les pseudo-vacanciers, il y ait des couples avec enfants qui nourrissent l�espoir de tenter leur chance ailleurs. Du coup le voyage pour le deuxi�me groupe fut compromis, autrement dit, carr�ment annul�. Une amie � moi qui faisait partie de ce groupe a d� renoncer � ses vacances. Il faut dire qu�elle n�avait m�me plus envie d�y aller, tellement elle se sentait mal � l�aise et g�n�e de devoir se justifier ou convaincre quiconque que pour sa part il n��tait absolument pas question de prendre la clef des champs mais tout juste de se d�tendre, de s�accorder un peu de repos, de d�compresser pour reprendre son travail dans de meilleures conditions. Elle �tait stup�faite, en racontant sa m�saventure, de r�aliser que le pays se vidait aussi de ses petites gens. Et m�me si nous, nous n�acceptons pas non plus cette id�e, nous comprenons par contre, chaque jour un peu mieux pourquoi l�Alg�rie, qui a tous les atouts pour loger ses sans-abri, donner du travail � ses ch�meurs et de l�espoir � ceux qui ne voient pas le bout du tunnel, n�a pas le temps de s�en pr�occuper. �Ici, c�est devenu chacun pour soi�, ne cesse-t-on de vous r�p�ter. C�est peut-�tre pour des raisons comme celle-ci que l�on pr�f�re faire la plonge ailleurs que de rester en Alg�rie. Allez donc expliquer aux candidats � l�exil que c�est un tort de croire qu�une fois de l�autre c�t� tout se passera bien. Pour eux l�illusion restera intacte tant qu�ils n�auront pas de leur propre chef exp�riment� l�ailleurs. Allez donc convaincre ces jeunes qui �chappent � la vigilance des policiers et se glissent dans des conteneurs qu�ils risquent gros en voulant griller les fronti�res. Allez donc disserter avec ce psychiatre qui, parti pour un congr�s en France, a d�cid� de ne plus rentrer chez lui. Allez lui dire que si on avait eu besoin de ses services, on le lui aurait fait savoir le plus ouvertement du monde. Cela me rappelle l�histoire de cet �minent professeur en m�decine, chef de service dans l�un des plus grands h�pitaux d�Alger qui, un jour, a d�cid� de d�missionner, vendre tous ses biens, brader une splendide maison avec piscine et tout le confort dont n�oserait r�ver le commun des mortels, pour s�en aller chercher mieux ailleurs, tr�s loin du pays. Rien ! Il n�a rien obtenu et je n�ose m�me pas vous raconter la chute, la d�sillusion quand il lui a fallu revoir ses ambitions � la baisse ou le retour au bercail et l�impossibilit� de r�cup�rer le poste dont il n�avait plus voulu et qui �tait d�sormais occup� par un coll�gue. Que lui avait-on offert l�-bas o� l�on ne d�pouille des pays comme le n�tre que de ceux dont on a le plus besoin ? Rien ! �Nous choisirons les meilleurs�, a d�clar� derni�rement le ministre fran�ais de l�Int�rieur, partisan d�une s�lection rigoureuse qui participe � la protection de l�emploi au b�n�fice de ses compatriotes. Chez nous, c�est tout le contraire qui se passe. Si vous r�vez de changer les choses on vous intime d�aller vous faire voir ailleurs. Il y en a qui mangent, dorment, s�habillent, voyagent et se d�tendent aux frais du contribuable et il y en a qui se planquent dans les cales de bateaux au p�ril de leur vie avec le fervent espoir de trouver leur bonheur sous d�autres cieux, l�essentiel �tant que ce soit de l�autre c�t� de la M�diterran�e.