Alger est une ville dangereuse et nous pensions �tre les seuls � le savoir. Nous en parlions entre nous sans jamais crier trop fort, de crainte d��tre entendus par les gens de l�-bas. Sinon qui viendra chez nous si nous hurlons � tous vents que nos quartiers sont de vrais coupe-gorges ? Nous sommes donc oblig�s de dissimuler un peu la v�rit�. Disons que nous la travestissons pour nos amis �trangers et que d'aucuns font de m�me avec leurs relations d'affaires. Allez ! Proclamons le tout net : nous faisons du mensonge pieux. Il n�y a pas que les gens d�en face qui savent mentir en se signant. C�est tout naturel chez nous puisque nous baignons dans un climat de pi�t� que nous envient nos voisins. Nous avons une vie int�rieure extr�mement riche, contrairement aux apparences et nos nombrils n'ont plus aucun secret pour nous. Pour vous donner un exemple, revenons � la veille de ce Ramadhan annonciateur d'amendements salutaires. Les journaux avaient annonc� en m�me temps l'�clipse annulaire et la disparition des lunettes sp�ciales pour observer ladite �clipse. En fait, seuls quelques importateurs malins avaient pens� � en importer, au dernier moment comme d'habitude. Pour y rem�dier, le s�millant ministre de nos Affaires religieuses nous avait recommand� de pratiquer, faute d'autres instruments, la pri�re du �Koussouf�. R�sultat : la moiti� des Alg�riens s'est enferm�e toutes portes et fen�tres closes. L'autre moiti� est all�e dans les mosqu�es pour y attendre la fin des temps. Avant que la bigoterie ne devienne un trait de caract�re national, on aurait utilis� un infime pourcentage de la rente p�troli�re pour importer des lunettes mais enfin� M�me nos voleurs qui ne craignent habituellement ni Dieu ni diable ont �t� saisis par la terreur sacr�e. Pensez ! Pas un seul petit crime ou d�lit � signaler pendant le �Koussouf�. C'�tait pourtant le moment propice mais comment voulez-vous que la guilde des voleurs et ses assassins puisse profiter de telles opportunit�s s'il lui faut une �fetwa� sur internet? O� allons-nous si nos voleurs � la tire et nos apprentis gangsters se mettent aussi � la ferveur religieuse? Je veux bien qu'ils nous terrorisent � longueur d'ann�e mais encore faudrait-il qu'ils aient le sens des opportunit�s, comme celle du �koussouf�. Un peu de professionnalisme, bon sang! Vous risquez de devenir la ris�e du gotha criminel. Il y a risque, en effet, mais pour l'heure votre bonne ville d'Alger tient la cote. Selon un bureau d'�tude britannique, la capitale serait une des villes les moins s�res du monde arabe. C'est le quotidien saoudien Al-Charq-Al-Awsat qui se d�p�che de nous l'annoncer. En fait, et pour nuancer, Alger est une des villes o� il fait le moins bon vivre. A l'oppos�, l'�tude d�signe la ville canadienne de Vancouver comme la ville id�ale, en raison de la baisse de la criminalit� et de l'absence de terrorisme. Les chercheurs britanniques ont, en effet, privil�gi� les �l�ments de la stabilit�, de la qualit� des soins, de l'environnement et de l'�ducation pour �tablir leur classement. Ce qui rend ce tableau encore plus sombre, c'est que notre belle capitale est class�e ex �quo avec Dacca et Karachi. Une consolation toutefois, ces infos ne devraient pas toucher nos touristes potentiels des Emirats. Vous savez, ceux qui viennent chasser nos pintades des champs et nos poulardes des villes. Il y a, en effet, de fortes chances pour que ces affligeantes nouvelles ne leur parviennent jamais. A en croire notre confr�re Al-Arab, les Arabes ne lisent presque pas ou tr�s peu. L'�tude cit�e en r�f�rence souligne que l'Am�ricain lit 11 livres par an en moyenne, le Britannique 7. Quant � l'Arabe, sa moyenne serait d'un quart de page. Par souci de charit� sans doute, l'�tude ne pr�cise pas s'il s'agit d'un quart de page de livre ou de journal. Ce qui n'est pas la m�me chose. Au passage, la destination de ces quintaux de livres trimbal�s par des �qamis� barbus, hors le salon du livre, reste pour moi un myst�re. Toujours selon la m�me source, les d�penses des pays arabes pour la recherche scientifique et la technologie ne d�passeraient pas un pour cent du total de leurs budgets. A titre d'exemple, le pourcentage consacr� � la d�fense dans certains Etats du Golfe avoisinerait les 55%. Comme un fait expr�s, Al-Arab publie sur la m�me page l'information suivante : l'Arabie saoudite s'appr�terait � signer prochainement un contrat de deux � trois milliards de dollars pour la modernisation de ses chasseurs britanniques �Tornado�. Dans ce cas, Al-Arab", proche de Kaddafi, ne fait pas dans la manipulation, c'est juste un choix de disposition des informations. Ce qu'a fait, en revanche, Al-Charq-Al-Awsat, il y a quelques jours, rel�ve de la manipulation pure et simple. Apr�s l'annonce de la d�cision des autorit�s de Riyadh d'emp�cher Rania Al-Baz, la t�l�speakerine saoudienne, de se rendre � Paris, le quotidien de Londres a eu l'id�e de d�mentir sans en avoir l'air. Il y a quinze jours, il a publi� une photographie de la jeune Saoudienne dans un square de Paris avec une l�gende plut�t neutre. Le journal sugg�rait � ses lecteurs que les autorit�s saoudiennes n'avaient pas bloqu� Rania puisqu'elle �tait � Paris. Or Rania avait effectivement r�ussi � se rendre � Paris mais apr�s avoir quitt� clandestinement l'Arabie saoudite pour Bahre�n, cach�e dans un camion de marchandises. C'est le magazine Elaph qui a pris le quotidien de Londres la main dans le sac et qui a r�v�l� l'imposture. Quand on saura que le fondateur de Elaph, Tahar Al-Amiri, n'est autre que l'ancien r�dacteur en chef de Al-Charq-Al-Awsat, on aura fait le tour de la question. Il reste � esp�rer que les Arabes auront lu au moins ce quart de page sinon � d�sesp�rer de la presse et de l'�dition en g�n�ral. Heureusement que Al- Charq-Al-Awsat ne se contente pas d'�tre le porte-parole des autorit�s saoudiennes. En t�moigne cette information que rapporte son correspondant au Y�men sous le titre �Gardez-vous du Y�m�nite qui je�ne au milieu de l'apr�s-midi�. Citant l'enqu�te de la sociologue Hanane Al- Hachidi, le journaliste �crit que les querelles de m�nage sont en forte hausse durant le Ramadhan. Ces querelles atteignent leur paroxysme apr�s la pri�re du Asr, en milieu de l'apr�s-midi au moment o� la faim et la soif tenaillent le plus les estomacs. Hanane Al-Hachidi affirme, sur la base de t�moignages, que c'est � ce moment de la journ�e que le Y�m�nite d�verse sa col�re sur sa femme et frappe parfois les enfants. Puis il sort de chez lui pour aller sur les march�s et les places publiques donner suite � sa col�re. Notre confr�re affirme qu'il existe d'ailleurs un proverbe local qui dit aux femmes : �Ne pol�miquez pas avec vos �poux apr�s le Asr !� Des Syriens ing�nieux ont peut-�tre trouv� la parade � la mauvaise humeur des je�neurs. Al-Hayat rapporte que des fabricants damasc�nes ont mis sur le march� une poup�e habill�e comme il faut, c'est-�-dire des orteils � l'�pi rebelle du cheveu. La principale qualit� de cette poup�e est de pratiquer la pri�re du Fedjr. Le journal ne dit pas si cette poup�e pieuse a le droit de prier par procuration. Ce serait une b�n�diction � cette heure de la journ�e. Poup�e jolie, priez pour nous ! Il faudra quand m�me penser bient�t � inventer une poup�e qui lit � notre place. Et ainsi de suite�