Encore une fois, nous nous d�sint�ressons volontairement des sombres histoires d'appareils du microcosme alg�rois parce qu'elles ne sont pas porteuses de d�bats instructifs et constructifs. Juste un mot pour rassurer ceux parmi nos amis qui nous reprochent de nous �loigner des �pr�occupations nationales�, si tant est que l'on puisse r�duire les ambitions d'une aussi grande nation � l'activit� de quelques carri�ristes de la pr�dation. A ce propos, on paraphrasera avec bonheur Bernard Shaw pour dire, patriote mais antichauvin : �Un peuple bien portant ne sent pas plus sa nationalit� qu'un organisme bien portant ne sent son squelette.� Notre intime conviction aujourd'hui est qu'� l'exception des revendications l�gitimes port�es par les syndicats autonomes de tous les cycles d'enseignement (moyen, secondaire et sup�rieur), tout le reste nous semble relever de la basse manipulation et de vaines tentatives de m�diocre th��tralisation d'une com�die politicienne dont toutes les partitions sont soigneusement r�gl�es d'avance par les m�mes marionnettistes. Donc basta. Le fait �conomique majeur de la semaine s'est produit en Europe, plus pr�cis�ment � Bruxelles, et non � Hydra. Le g�ant am�ricain Microsoft y a d�pos� mercredi dernier dans l'apr�s-midi, quelques heures avant la fin de l'ultimatum du 15 f�vrier impos� par la Commission europ�enne, une �r�ponse formelle� de 75 pages dans le but de satisfaire � ses exigences. L'histoire de ce bras de fer entre Microsoft de Bill Gates et la Commission europ�enne, et notamment sa commissaire, hollandaise, � la concurrence Neelie Kroes, est int�ressante � plus d'un titre. Elle en dit long sur un d�bat d'�cole portant sur la difficult� � assurer une concurrence �pure et parfaite� au stade monopoliste du capitalisme. On peut au passage y voir aussi une parfaite expression de l'opposition classique entre capitalisme anglosaxon et capitalisme rh�nan. De m�me que ce conflit m�rite enfin d'�tre par rapport � un autre enjeu �conomique : la protection des espaces d'innovation et de cr�ation et, au-del�, des int�r�ts du consommateur. D'abord, les faits. La Commission europ�enne veille � l'application des r�gles de concurrence communautaires sur les ententes et abus de monopole dans l'ensemble de l'UE lorsque le commerce entre Etats membres et la concurrence s'en trouvent affect�. Ce faisant, elle donne corps aux r�gles de concurrence consacr�es par le trait� instituant la Communaut� europ�enne (article 82). A cette fin, elle a le pouvoir d'imposer aux entreprises des changements de comportement, de m�me qu'elle peut infliger des amendes pour infraction aux r�gles sur les ententes et abus de position dominante, dont le montant peut atteindre 10 % du chiffre d'affaires annuel r�alis� par les entreprises concern�es au niveau mondial. Les d�cisions de la Commission sont susceptibles de recours devant le Tribunal de premi�re instance � Luxembourg. En mars 2004, apr�s cinq ans d'enqu�te portant sur le comportement commercial de l'�diteur am�ricain Microsoft bas� � Redmond, l'autorit� europ�enne le condamne � une amende record de 497,2 millions d'euros, assortie de mesures correctives, pour abus de position dominante. L'amende r�clam�e repr�sente un peu moins de 2% du chiffre d'affaires annuel de Microsoft au 30 juin 2003. Autant dire, une goutte d'eau dans l'oc�an pour un empire qui comptabilise plus de 52 milliards de dollars de tr�sorerie dans ses caisses. Elle constitue n�anmoins un record du genre, car la derni�re p�nalit� inflig�e par Bruxelles pour �abus de position dominante� n'avait �t� que de 75 millions d'euros. C'�tait en 1991 contre le fabricant d'emballage Tetra Pack. Les griefs de la Commission n'�manent pas d'une plainte quelconque, mais d'une autosaisie que lui a inspir�e, en d�cembre 1998, une autre entreprise am�ricaine Sun Microsystems. Cette derni�re s'est plainte du refus de Microsoft de lui communiquer les informations sur les interfaces dont elle avait besoin pour concevoir des produits capables de dialoguer correctement avec Windows, et d�s lors �tre � m�me d'opposer une concurrence � armes �gales sur le march� des syst�mes d'exploitation pour serveurs de groupe de travail. L'enqu�te de la Commission a r�v�l� que Sun n'�tait pas la seule entreprise � laquelle ces informations avaient �t� refus�es et que ces refus de divulguer des informations n�cessaires � l'interop�rabilit� s'inscrivaient dans une strat�gie monopolistique plus large, con�ue pour �vincer les concurrents du march�. La plupart des clients interrog�s par la Commission avaient, � l'�poque, confirm� que l'avantage en termes d'interop�rabilit� avec Windows que Microsoft assure � ses propres produits en refusant ces informations � ses concurrents orientait leur choix vers les produits pour serveurs de cette entreprise. Les r�sultats d'enqu�tes communiqu�s par Microsoft ont confirm� l'existence d'un lien de causalit� entre l'avantage que l'entreprise se r�servait sur le plan de l'interop�rabilit� et la progression de ses parts de march�. Ce faisant, la Commission corrobore les conclusions du c�l�bre �conomiste am�ricain, prix Nobel d'�conomie en 2001, Joseph Stieglietz, qui avait pertinemment relev� dans les ann�es quatre-vingt dix comment Microsoft avait gr�ce aux travers de la �concurrence imparfaite� et de �l'information incompl�te� �vinc� Netscape, un concurrent innovant et audacieux. La m�thode est toujours la m�thode : un syst�me d'exploitation qui n'autorise pas les logiciels les plus brillants � fonctionner. Pour mesurer la hauteur du mur ainsi oppos� aux �diteurs de logiciels, il suffit de savoir que les syst�mes d'exploitation de Microsoft �quipent aujourd'hui plus de 95% des PC � l'�chelle mondiale. Edifi�e par ses premi�res constatations, la Commission a, �galement de sa propre initiative, �tendu son enqu�te aux effets des �ventes li�es� du lecteur WMP de Microsoft avec le syst�me d'exploitation pour PC Windows 2000. Cette partie de l'enqu�te a d�bouch� sur la conclusion que l'omnipr�sence dont b�n�ficiait imm�diatement le lecteur WMP du fait de sa vente li�e avec le syst�me d'exploitation pour PC Windows r�duisait artificiellement les incitations des cr�ateurs de contenus musicaux, cin�matographiques et autres soci�t�s multim�dias, ainsi que celles des concepteurs de logiciels et des fournisseurs de contenus, � concevoir des produits pour les lecteurs multim�dias concurrents. Un lecteur multim�dia est, rappelons-le, un produit logiciel capable de lire des contenus audio et vid�o sur l'internet. Les positions dominantes acquises sur le cr�neau du lecteur WMP et des technologies Windows Mediane ne sont donc pas sans cons�quence sur les autres produits, puisqu'elles assurent � Microsoft le contr�le des march�s connexes du secteur des m�dias num�riques, comme ceux des techniques de codage, des logiciels de diffusion de contenus musicaux sur l'internet, de la gestion des droits num�riques (DRM), etc. Ce cas d'�cole lui sert quelque part d'illustration des tendances monopolistiques et de leurs effets sur les concurrents parce que la �vente li�e� du lecteur multim�dia a pour effet d'emp�cher les concurrents d'arriver sur le march� et, par cons�quent, de d�courager l'innovation, d'une part, et de r�duire le choix offert au consommateur en d�savantageant les produits concurrents, pour des raisons autres que leur prix ou leur qualit�, d'autre part. �Microsoft a abus� de son pouvoir de march� en limitant, de propos d�lib�r�, l'interop�rabilit� entre les PC Windows et les serveurs de groupe de travail de ses concurrents, et en liant la vente de son lecteur Windows Media (WMP) avec Windows, son syst�me d'exploitation pr�sent sur la quasi-totalit� des PC dans le monde�, avait �galement soutenu Mario Monti, le mandataire charg� par Bruxelles de v�rifier l'application des sanctions. Avec Neil Barrett, l'expert en informatique charg� de conseiller la Commission, il est aujourd'hui l'homme le plus populaire du monde de la communication. Ces deux griefs, dont le dernier semble accessoire ou illustratif, ont fond� la d�cision de la Commission europ�enne du 24 mars 2004 infligeant l'amende qu'on conna�t � Microsoft, tout en le contraignant : primo, � distribuer dans l'espace �conomique europ�en une version de Windows sans Media Player ; secundo, � fournir, dans les 120 jours qui suivent, des interfaces plus explicites pour faciliter l'interop�rabilit� dans les serveurs. En juin 2005, Microsoft sort une version de Windows qui, � ses yeux, correspond aux attentes de la Commission : une version all�g�e de M�dia Player, la �Reduced Media Edition�. Cette concession permet au g�ant am�ricain d'�chapper � des amendes suppl�mentaires mais elle ne satisfait pas � toutes les exigences premi�res de la d�cision de mars 2004. Aussi, lass�e de tergiverser, Neelie Kroes, la commissaire � la Concurrence, d�cide de frapper fort � la veille de No�l, le 21 d�cembre 2005. Elle fait revenir � la charge M. Monti pour lui faire dire que cette �documentation est incompl�te et/ou inad�quate�. La Commission demande alors � Microsoft de r�pondre � ses accusations au plus tard le 25 janvier. Bruxelles se montre encore plus conciliant en accordant, � l'expiration de ce dernier d�lai, c'est-�-dire mardi 24 janvier, une nouvelle �ch�ance de 3 semaines � jusqu'au 15 f�vrier courant � pour se conformer une fois pour toutes � ses exigences, avant d'imposer au groupe am�ricain l'amende de deux millions d'euros par jour. A la faveur de ce sursis, Microsoft essaie de cr�er la surprise en annon�ant fin janvier qu'il allait communiquer aux �diteurs de logiciels certaines parties du saint des saints code-source de son syst�me d'exploitation phare, Windows XP. Des centaines d'employ�s de Microsoft et de contractuels travaillent pendant plus de 30.000 heures pour cr�er plus de 12.000 pages de documentation technique rendue disponible pour les d�veloppeurs afin qu'ils aient acc�s, sous licence, aux protocoles de communication. Outre la documentation, l'�diteur pousse sa g�n�rosit� jusqu'� proposer 500 heures d'aide technique par t�l�phone pour r�pondre aux probl�mes d'utilisation pratique. Une largesse qui fait dire au conseiller juridique de la compagnie, Horacio Gutierrez : �C'est comme si on leur fournissait l'avion mont�, le plan de l'appareil et des le�ons de pilotage.� Ces �facilit�s� n'assurent cependant pas que c'est l'ensemble du code des syst�mes d'exploitation qui sera ouvert mais seulement les parties de code rattach�es aux protocoles de communication en question, pr�cise Microsoft. Il est notamment interdit de copier le code-source ou de le publier. S'ensuivit un d�bat technique sur les moyens de parvenir � l'interop�rabilit� des produits : le code-source ou les interfaces ? Microsoft soutient aller �bien au-del� des exigences de la Commission europ�enne� en rendant accessible ce qu'il pense �tre plus que le secret de fabrication d'un logiciel, �l'ADN du syst�me d'exploitation Windows, la documentation ultime� : en l'occurrence le code-source. Il s'agit du code rattach� aux protocoles de communication de Windows Serveur et Desktop, que l'�diteur fournit sous licence aux d�veloppeurs. La Commission n'est pas pour autant convaincue et l'annonce de Microsoft n'a pas l'effet escompt�, l'intraitable Neelie Kroes avertissant que �le code-source n'est pas la documentation ultime par rapport � quoi que soit, et c'est exactement pourquoi on demande aux d�veloppeurs de fournir une documentation d�taill�e pour accompagner ce code-source�. La Commission europ�enne persiste donc � croire que la fourniture du code-source de Windows ne permettra pas aux d�veloppeurs d'am�liorer l'interop�rabilit� de leurs logiciels avec ceux de Microsoft. D'autant plus que, pr�cisent les professionnels, le codes-ource �tant prot�g� par des droits d'auteur, les programmeurs qui en auront pris connaissance ne pourront pas le r�utiliser dans leurs logiciels libres sous peine d'�tre poursuivis par Microsoft pour violation de droits d'auteur. Manque alors l'essentiel : la documentation pour accompagner ce code. �La divulgation (que r�clame la Commission), pr�cise encore Neelie Kroes, ne concerne que la documentation sur les interfaces, et non le code-source Windows, qui n'est pas n�cessaire au d�veloppement de produits interop�rables�, estimant ainsi que les interfaces ne constituent pas l'ensemble du code-source Windows qui n'est pas n�cessaire au d�veloppement de produits interop�rables. Les interfaces sont, pour m�moire, les points d'acc�s au code-source gr�ce auxquels les produits peuvent ainsi dialoguer entre eux. Prochain rendez-vous : du 24 au 28 avril prochain devant le tribunal de premi�re instance de la Cour europ�enne de justice pour l'examen sur le fond des deux proc�dures d'appel intent�es par Microsoft pour faire annuler la sanction tant sur le plan p�cuniaire (497 millions d'euros d'amende) qu'en ce qui concerne les �mesures correctives� attendues de lui (divulgation des protocoles de communications et fourniture d'un OS sans Windows Media Player). D'ici l�, Microsoft n'aura pas � d�bourser un cent ; les r�gles de proc�dure ne contraignant une soci�t� p�nalis�e qu'� l'apport d'une �caution bancaire� en attendant une injonction judiciaire.