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L'Entretien du Mois
�Il faudrait pour le bonheur des �tats que les philosophes fussent rois et que les rois fussent philosophes� Platon �La R�publique�
Publié dans Le Soir d'Algérie le 12 - 07 - 2008


HENRI GUAINO :
�L�Union pour la M�diterran�e ne peut na�tre que d�un grand r�ve de paix et de civilisation�
Entretien avec le conseiller sp�cial du pr�sident Sarkozy,
men� par Mohamed Chafik Mesbah
�L�esprit de cette union, c�est qu�il n�y a pas, d�un c�t�, le Nord, et de l�autre, le Sud, mais qu�il y a le Nord et le Sud qui d�cident ensemble, travaillent ensemble, qui assument ensemble une part de destin�e commune...�
Bio-Express Henri Guaino
N� le 11 mars 1957 � Arles (Bouches-du- Rh�ne), Henri Guaino effectue ses �tudes primaires et secondaires dans cette ville avant de rejoindre l�Institut d��tudes politiques de Paris puis les universit�s Paris IX-Dauphine et Paris IV-Sorbonne. Dipl�m� de l�IEP de Paris (service public), il est �galement licenci� d�histoire et titulaire d�un dipl�me d��tudes approfondies de politique �conomique. Il consacre le d�but de sa carri�re � des activit�s directement li�es � la finance. �conomiste au Cr�dit Lyonnais de 1982 �1986, charg� de mission � la direction du Tr�sor et secr�taire g�n�ral adjoint du Club de Paris de 1987 � 1988, il est, de 1988 � 1990, responsable de recherche finances au groupe Louis Dreyfus puis responsable des activit�s banque d�affaires et gestion des participations � la Mutuelle artisanale de France (MAAR). Il entame, ensuite, une deuxi�me carri�re qui le rapproche plus de la politique en qualit� de charg� de mission aupr�s de Philippe Seguin, pr�sident de l�Assembl�e nationale (1993) puis de Charles Pasqua, ministre d�Etat, ministre de l�Int�rieur et de l�Am�nagement du territoire (1994-1995). Lors de la campagne pour la pr�sidentielle de 1994, il est, avec, notamment, Olivier Todd, le pourfendeur de la �fracture sociale�, formule qui a fait la fortune �lectorale du pr�sident Jacques Chirac. De 1994 � 1998, il est commissaire g�n�ral au Plan, ce qui correspondait, en effet, � sa formation et � sa vocation. Mais son ind�pendance d�esprit lui vaut d��tre limog�, cependant, par le Premier ministre Lionel Jospin qui lui reproche un rapport sur le ch�mage qui d�roge � la position du gouvernement. Apr�s son �viction du Commissariat au plan, Henri Guaino est contraint de recourir � des exp�dients. A l�initiative de Charles Pasqua, il est en charge, de 1999 � 2000, de l��laboration d�une charte d�am�nagement et de d�veloppement du territoire des Hauts-de-Seine, puis il est, de 2002 � 2004, conseiller scientifique de l�Agence pour la diffusion de l�information technologique (ADIT) et de 2003 � 2008, administrateur de l�Agence pour l�environnement et la ma�trise de l��nergie (ADEME). Homme d�id�es, Henri Guaino fait face aux contrari�t�s du destin et maintient � flots, � toute �preuve, son potentiel de r�flexion en pr�servant, en particulier, ses rapports continus avec l�universit� et la presse.
Charg� de cours de 1984 � 1987 � l�Ecole sup�rieure de commerce de Paris (ESCP) et � l�Ecole normale sup�rieure de Saint-Cloud, il est ma�tre de conf�rences � l�IEP de Paris de 1988 � 2003. Dans le m�me temps, de 2000 � 2007, il collabore par des chroniques souvent percutantes aux journaux fran�ais Les Echoset La Croix. Son v�ritable mentor, Philippe Seguin, pr�sident de la Cour des comptes, lui offre un poste d�attente, en septembre 2006, avec le titre de conseiller-ma�tre � la Cour des comptes, un poste d�attente qui �tait le bienvenu. Apr�s avoir contribu� � la campagne �lectorale de Nicolas Sarkozy, il rejoint l�Elys�e, en mai 2007, pour occuper le poste tr�s convoit� de conseiller sp�cial du pr�sident de la R�publique fran�aise. Connu pour son temp�rament ombrageux, Henri Guaino, qui a vot� non au Trait� de Maastricht et � la Constitution europ�enne, entretient des convictions forg�es qui le situent aux antipodes des usages du microsome parisien. C�est en ce sens qu�il est, propablement, la personnalit� fran�aise la plus impr�gn�e du projet �Union pour la M�diterran�e�. Autrement, il aime cultiver sa singularit� comme il s�y livre dans les ouvrages qu�il a publi�s : L��trange renoncement (1988) , La France est-elle soluble dans l�Europe ? (en collaboration avec Daniel Cohn-Bendit, 1999) et La sottise des modernes (2002). Henri Guaino est mari� et p�re de trois enfants.
Paris, rejoignant, ce mercredi 2 juillet 2008, le palais de l�Elys�e pour rencontrer Henri Guaino, le conseiller sp�cial du pr�sident de la R�publique fran�aise, je m�attendais, en toute honn�tet�, � y trouver un faste ostentatoire � travers les lieux visit�s et les objets expos�s ainsi qu�un c�r�monial protocolaire des plus guind�s. Arriv� t�t au rendez-vous, je fus convi� � patienter dans un hall utilis�, en effet, comme salle d�attente et attenant � presque tous les bureaux de l�Elys�e. C�est avec �tonnement, que je vis passer, puis m�me, pour certains, s�asseoir et lire leurs notes � mes c�t�s comme Claude Gu�ant, le secr�taire g�n�ral de la Pr�sidence, Jean-David Levitte, le conseiller diplomatique de M. Sarkozy, Eric Woerstc le ministre du Budget, et Mme Nadine Morano, cette toute nouvelle ministre cens�e marquer l�irruption de la province fran�aise dans le microcosme parisien. Faut-il s��tonner qu�elle fut la seule � ne pas me saluer, les autres occupants et visiteurs du palais pr�sidentiel, n�ayant pas manqu�, malgr� leur notori�t�, de le faire tr�s courtoisement ? Humilit� ou simple courtoisie ? J�allais, probablement, d��tonnement en �tonnement, puisque mon �il exerc� me conduisit, rapidement, � relever la sobri�t� des lieux, les peintures d�fra�chies, les d�corations discr�tes et les huissiers, somme toute, des plus naturels dans leur comportement. Comment ne pas c�der � la stup�faction apr�s avoir connu un certain faste au si�ge de la pr�sidence de la R�publique en mon pays ? Mais, voil� qui nous �loigne, quelque peu, de notre sujet et qui risque de me faire �tiqueter parmi les �partisans de la France�. Enfon�ons le clou, alors ! J�avoue avoir �t� conquis par le personnage d�Henri Guaino, sa rigueur intellectuelle dans la r�flexion et son application presque scolaire � l�ouvrage. J�ai pu, subreptiscement, observer les r�ponses � mon questionnaire �crites de sa main, ratur�es parfois, souvent compl�t�es hors marge. La profusion de r�f�rences historiques qu�il aime � invoquer et les citations heureuses avec lesquelles il consolide son plaidoyer indiquent la marque, incontestablement, d�une grande culture. C�est, cependant, par son caract�re tremp� que M. Henri Guaino force l�admiration. Tout comme le projet d�Union pour la M�diterran�e qu�il porte sur ses �paules, allais-je dire, j�ai �voqu� dans l�entretien l�image du rocher d�crite dans le mythe de Sisyphe, c�est avec conviction que Henri Guaino �pouse toutes ses id�es qu�il construit avec une logique implacable m�me s�il les habille d�un floril�ge de fleurs qui s�exprime, alors, sous forme de sentiments puissants et vigoureux. Beaucoup de bienpensants, dans le propre pays de Henri Guaino, lui reprochent, justement, d�habiller seulement des id�es qui, parfois, ne sont pas siennes, sans qu�il ne s�attarde, pensent-ils, sur leur substance ni sur leur pertinence. Gare � ceux qui se m�prennent sur la rigueur morale de Henri Guaino � ne d�fendre que ce en quoi il croit, voil� son cr�do � ni m�me sur sa vigilance intellectuelle, j�allais dire �pist�mologique � l�Union europ�enne a beau avoir d�vi� le projet m�diterran�en de sa vocation initiale, il est convaincu que la nature finira par r�tablir, forc�ment, le cours des choses�-L�entretien tr�s anim� et tr�s convivial qui m�a permis d�approfondir ma connaissance de cette personnalit� singuli�re en France, n�a fait que confirmer mes appr�hensions. Pour aussi fines que soient ses expressions et son style, l�homme est fait d�un bloc. J�ai eu � m�en convaincre dans l�expos� transparent et sans concessions auquel il se livre � propos de la repentance : �Oui pour reconna�tre les m�faits du colonialisme, non pour que les jeunes Fran�ais expient pour des fautes dont ils ne sont pas responsables. B�tissons ensemble l�avenir plut�t��. Pour tout ce qui concerne son itin�raire individuel et les questions de politique int�rieure fran�aise, j�ai d�couvert un Henri Guaino tr�s au fait de l��volution du monde moderne mais rest�, cependant, profond�ment, attach� � son terroir. Convaincu que la r�forme de la soci�t� fran�aise �tait un imp�ratif incontournable, il n�en refuse pas moins, obstin�ment, que cette r�forme puisse intervenir au prix du reniement de cette France profonde qu�� son insu, peut�tre, il incarne, le mieux, dans l��quipe du pr�sident Sarkozy. Sur les questions de politique �trang�re, j�ai observ�, contre toute attente, de la retenue dans les propos avec un souci p�dagogique de ne pas interf�rer, pour l�heure du moins, dans un autre domaine diplomatique que celui dont il a la charge, express�ment, �l�Union pour la M�diterran�e�. Faut-il en conclure que Henri Guaino se plie aux convenances et que Alain Jupp�, plus libre de ses mouvements, se d�marque plus � l�aise de l�inclination atlantiste qui marque les rapports de la nouvelle politique �trang�re et de d�fense fran�aise ? Tenons-en nous � �l�Union pour la M�diterran�e�. Henri Guaino semble sinc�re dans sa d�fense du projet, tout � fait impr�gn� de ses enjeux, de son champ d � amplitude historique et strat�gique ainsi que du r�le qui �choit � chacun des acteurs. Il affirme, sans formule de complaisance, que l�Alg�rie a perdu du temps et qu�elle aurait d� occuper, d�embl�e, sa place de partenaire strat�gique dans une d�marche qui, ce n�eut �t� les pr�ventions europ�ennes, aurait pu �tre l�occasion d�un vrai ressourcement gaullien� Henri Guaino n�est pas dupe des r�serves exprim�es �a et l� tant par les partenaires europ�ens que par les voisins de la rive sud de la M�diterran�e. Ce n�est s�rement pas Henri Guaino que le pr�sident Sarkozy pourrait d�p�cher comme �missaire sp�cial � Bruxelles au si�ge de l�Union europ�enne. Il pourrait bien �tre son �missaire, par contre, aupr�s des partenaires du projet m�diterran�en dans la rive sud de la M�diterran�e et il l�a �t�. Et la fracture au sud entre les r�gimes en place et les soci�t�s civiles, souvent � peine naissantes ? Autant dire o� sont la d�mocratie, les libert�s politiques et la libert� d�entreprendre ? Bien s�r, ce sont l�, assure Henri Guaino, des valeurs communes � l�humanit� enti�re. Mais tout en affirmant que c�est le d�veloppement seul qui permet la cons�cration durable de la d�mocratie, il n�est pas loin d�interpeller, au moins symboliquement, les �lites de cette rive sud de la M�diterran�e leur ass�nant que �ce n��tait pas � l�Occident d�accomplir, par procuration, les r�volutions d�mocratiques dont seraient en attente leurs peuples�. Quelle impression est rest�e � l�issue de cet entretien des plus denses et des plus vifs ? Henri Guaino est habit� par l�Union m�diterran�enne, incontestablement. Il ne d�daigne pas lorsqu�il en est pr�sent� comme l�artisan autant que le po�te. Sur le fond, encore une fois, il n�est pas niais. Il mesure la difficult� de la t�che et s�extasie que l�espace m�dit�rran�en ait pu reconqu�rir sa dimension strat�gique. Henri Guaino, qui refuse d�imaginer l��chec de cette d�marche o� il s�est totalement investi, a eu l�amabilit� de laisser la porte ouverte pour que notre entretien se prolonge apr�s la tenue du sommet du 13 juillet 2008. Pour rendre compte de son �tat d�esprit vis-�-vis du projet d�Union pour la M�diterran�e, j�avais �voqu� le mythe de Sisyphe. Avec un sens de la r�partie tout de symbole, Henri Guaino contourne l��ceuil. �Il faut imaginer Sisyphe heureux�, dit-il.
ITIN�RAIRE PERSONNEL
Mohamed Chafik Mesbah : Sans trop nous laisser fantasmer sur la question, il est permis de s�interroger si vos origines familiales, compar�es � celle du c�l�bre �crivain Albert Camus, ne vous ont pas pr�dispos�, � travers une enfance singuli�re faite de privations et de d�nuement, � un m�me destin sinon path�tique du moins contrari�. Vous acceptez cette filiation camusienne ?
Henri Guaino : J�ai beaucoup d�admiration pour Camus qui a beaucoup compt� dans ma formation intellectuelle. Mais je n�ai connu dans mon enfance ni privations ni d�nuement. Je suis n� dans un milieu modeste mais j�ai eu une enfance heureuse et je n�ai manqu� de rien, j�ai eu toute l�affection qu�un enfant peut d�sirer. Et sous le soleil, la pauvret� se vit mieux qu�ailleurs.
Ces privations d�enfance semblent vous avoir pr�dispos� � une qu�te de connaissances et de savoir d�apparence toujours inassouvie, comme si vous �tiez guid� par une volont� farouche de revanche sur le sort ?
Je n�ai jamais �t� anim� par l�esprit de revanche mais par la soif de savoir. Et je suis n� dans un milieu pour lequel l��cole constituait la seule voie de promotion sociale o� les parents �taient pr�ts � se sacrifier pour que leurs enfants r�ussissent leurs �tudes.
Est-ce que l�exp�rience accumul�e gr�ce � votre scolarit�, tous cycles confondus, vous laisse conclure que les th�ses de Pierre Bourdieu sur la reproduction sociale sont fond�es. Vous vous rappelez, en effet, que Pierre Bourdieu consid�rait que l��lite intellectuelle en France se reproduisait en vase clos�
Je crois que Pierre Bourdieu n�avait que partiellement raison. Longtemps la R�publique s�est montr�e capable d�assurer la promotion sociale par l��cole pour beaucoup d�enfants de milieux modestes. C�est lorsque l��cole de la R�publique s�est affaiblie, lorsqu�elle a renonc� � �tre une �cole exigeante qui cherchait � tirer tous les �l�ves vers le haut que la promotion sociale a r�gress� et que la reproduction sociale s�est amplifi�e. Pour ma part, je dois tout � l��cole de la R�publique.
Tr�s franchement, quel �tait, � cet �gard, votre �tat d�esprit, lorsque l�Ecole nationale d�administration vous fermait, symboliquement, ses portes, puisque vous avez �chou� � plusieurs concours d�entr�e successifs � ce haut lieu de formation de l��lite de la R�publique ?
Je n�ai eu aucun regret ni aucune amertume. Je n��tais sans doute pas fait pour le conformisme intellectuel qu�on exigeait de moi. Je me suis dit que je prouverais autrement ce que je valais. Et c�est ce que je me suis employ� � faire.
Dans le choix de vos �tudes et de votre carri�re, votre motivation profonde �tait de conqu�rir une place confortable dans les rouages de l��conomie ou de l�administration ou de laisser une empreinte sur l�histoire ?
Quand on est jeune et un peu id�aliste, on s�imagine toujours qu�on est capable de laisser une empreinte sur l�histoire. Et puis la vie vous apprend que les choses ne sont pas si simples et si j�avais voulu chercher � conqu�rir une place confortable je crois que je m�y serais pris autrement.
Quel statut revendiquez-vous dans la soci�t� fran�aise ? Administrateur, �conomiste, homme politique ou intellectuel, je veux dire intellectuel retors ?
Pourquoi retors ? En g�n�ral, je dis ce que je pense et je fais ce que je dis. Quant aux �tiquettes cela ne m�a jamais beaucoup int�ress�, j�essaie d��tre moi-m�me et d��tre utile, et c�est d�j� beaucoup.
Apr�s toutes ces contrari�t�s du destin, l�absence de gratitude du pr�sident Chirac et l�ind�licatesse du Premier ministre Jospin pour ne citer que celles-l�, vous gardez toujours de l�amertume ?
De l�amertume non, peut-�tre parfois de l�indignation ou de la col�re, mais surtout de la frustration, celle de ne pas avoir eu les moyens d�accomplir plus de choses.
Avec votre arriv�e � l�Elys�e, c�est, quasiment, la premi�re fois, que vous acc�dez � un poste qui semble vous convenir. C�est, vraiment, le bonheur parfait ?
Le bonheur parfait ? Vous connaissez le mot de De Gaulle � Malraux : �Malraux, le bonheur c�est l�id�al des imb�ciles.� Ce que je fais est passionnant et j�ai le sentiment d��tre utile, c�est tout.
L�ORGANISATION DE LA R�FLEXION STRAT�GIQUE � L��LYS�E
Nous voil�, � pr�sent, au stade de devoir d�crypter la substance r�elle de votre fonction � l�Elys�e. En quoi consiste, donc, le statut de conseiller sp�cial ?
Pr�cis�ment il est sp�cial. Depuis que Fran�ois Mitterrand a cr�� ce titre pour Jacques Attali en 1981, aucun conseiller sp�cial n�a ressembl� � un autre. Pourquoi sp�cial ? Parce qu�il n�est pas enferm� dans un domaine particulier, parce qu�il a vocation � s�int�resser � tout, � s�occuper de tout.
Excusez-moi d��tre brutal. Vous �tes un cr�ateur d�id�es � autant que possible audacieuses et pertinentes � ou tout juste un �porte- plume� du chef de l�Etat ?
Vous trouvez que j�ai une t�te de porte-plume ? La t�che que je remplis aupr�s du pr�sident de la R�publique est le fruit d�un engagement politique, moral, intellectuel, personnel.
Je reviens � la charge, votre r�le est de mettre en forme des id�es produites par ailleurs ou de produire des id�es et de les mettre en forme ?
Les deux ! Il m�arrive d�avoir des id�es, il m�arrive de trouver celles des autres intelligentes, et je me retrouve dans celles que d�fend le pr�sident de la R�publique.
Vous �tes cr�dit� d�un temp�rament difficile, tout comme, je le dis avec sympathie, Philippe Seguin qui fut votre mentor. Comment �tes-vous parvenu � �tablir l��quilibre avec toutes les fortes personnalit�s qui gravitent autour du pr�sident Sarkozy, notamment le secr�taire g�n�ral Claude Gu�ant et le conseiller diplomatique Jean-David Levitte ?
Croyez-vous que l�on peut faire de grandes choses sans de fortes personnalit�s ?
Vous pensez que le fonctionnement actuel de l�Elys�e, compar� au mode ant�rieur, sous les pr�sidents successifs de la Ve R�publique, pr�sente une originalit� r�elle ? Elle se situerait au niveau des hommes, des m�thodes ou des structures ?
Aucune pr�sidence ne ressemble � une autre. Les hommes changent, l��poque aussi, on ne peut pas gouverner aujourd�hui comme en 1958 ou comme en 1981. Et puis il y a le quinquennat qui contraint � une pr�sidence plus active parce que plus courte et co�ncidant avec les �ch�ances l�gislatives.
La pr�sidence de la R�publique fran�aise est parvenue, selon vous, � d�velopper une plus grande oreille d��coute en direction de la soci�t� fran�aise et � produire une meilleure r�flexion strat�gique ?
Le probl�me de la r�flexion strat�gique se pose � tous les Etats dans le monde globalis� d�aujourd�hui. Je crois qu�il nous manque quelque chose capable de jouer le r�le que joua au d�but des trente Glorieuses le Commissariat g�n�ral du plan que j�ai dirig� dans les derni�res ann�es de son existence. Je crois que c�est un domaine o� il nous reste de grands progr�s � faire par rapport � ce qu�ont su accomplir les g�n�rations d�apr�s-guerre.
LA PROBL�MATIQUE DE LA R�FORME DE LA SOCI�T� FRAN�AISE
Aussi �homme de l�ombre� que vous affirmez l��tre, votre parcours politique et votre itin�raire intellectuel vous ont pouss�, forc�ment, � vous ouvrir aux questions de gouvernance publique. Vos fonctions actuelles vous am�nent, cependant, � envisager ces questions sous l�angle plus sp�cifique de cette probl�matique � r�currente � de la r�forme de la soci�t� fran�aise. Cette r�forme vous para�t � ce point indispensable ?
Je ne me suis jamais d�fini comme un homme de l�ombre. Je n�aime agir qu�au grand jour. Il est vrai que la question du pilotage des r�formes est aujourd�hui centrale dans toute r�flexion sur le fonctionnement de l�Etat. Ce qui me frappe depuis longtemps c�est que la politique consacre beaucoup de temps � r�fl�chir sur les objectifs qu�elle veut atteindre mais insuffisamment � la mani�re d�y parvenir. Comment passer de la situation actuelle � celle qu�on souhaite, voil�, me semble-t-il, la grande question � laquelle la politique doit r�pondre parce que la politique doit composer avec les r�alit�s et avec les gens tels qu�ils sont, avec leurs sentiments, leurs passions, leurs croyances, leurs int�r�ts. Comment associer les citoyens � la r�forme, comment leur donner le sentiment que l�on �crit une histoire avec eux, ce sont des questions qu�on ne peut pas �luder.
Examinons, en premier lieu, les r�formes institutionnelles. En quoi sont-elles indispensables ? En quoi la Constitution de la Ve R�publique serait d�j� d�pass�e ?
La Constitution de la Ve R�publique a besoin d��tre adapt�e aux cons�quences du quinquennat et aux conditions de notre �poque. Mais elle n�est pas d�pass�e et il ne s�agit en aucun cas d�en modifier les grands �quilibres. Depuis 1958, elle a permis � la France d��tre gouvern�e, c�est un tr�sor inestimable que nous ne devons pas dilapider.
Des critiques autoris�es contestent le d�placement de pouvoir qui, en France, au d�triment des Assembl�es �lues, se dessine au profit des groupes d�experts. Ce n�est pas l�, en effet, une source de d�tournement de la souverainet� populaire ?
Le gouvernement des experts menacent toutes les d�mocraties modernes. C�est une menace qu�il faut absolument conjurer parce que la mont�e de pouvoir des experts va de pair avec l�affaiblissement de la responsabilit� politique. A qui les experts rendent-ils des comptes ? Devant qui sont-ils responsables ? Une R�publique d�experts serait une R�publique totalitaire, comme la r�publique de Platon.
Vous semblez d�velopper des th�ses �conomiques atypiques pour le microcosme parisien. Pour r�former l��conomie fran�aise, vous estimez qu�il suffit juste de s�en r�f�rer � la pharmacop�e de la commission Attali ou bien consid�rez-vous que le mal, d�ordre structurel, exige une th�rapie bien plus radicale ?
Je n�ai jamais cherch� � �tre atypique en mati�re �conomique. Simplement, il arrive que ce que l�on appelle l�orthodoxie �conomique soit contraire � tous les enseignements de la science �conomique et il n�est pas inutile de le faire observer de temps en temps. S�agissant du rapport Attali, il contient beaucoup d�id�es et beaucoup de propositions de r�formes structurelles dont certaines sont naturellement discutables. Ce qui est certain c�est qu�on ne r�soudra pas les probl�mes �conomiques et sociaux de la France sans des changements en profondeur.
Ch�mage structurel, d�ficit des d�penses sociales, manque de productivit� de l�industrie fran�aise, retard de l��conomie du savoir par rapport aux standards internationaux les plus brillants, quelle th�rapie proposez-vous ?
Pour aller � l�essentiel, la France accumule un retard d�investissement qui freine dramatiquement son potentiel de croissance. Le rem�de c�est d�investir massivement pour rattraper ce retard.
Vous comptez parmi les concepteurs du fameux mot d�ordre �r�duire la fracture sociale� qui avait marqu� la campagne �lectorale du pr�sident Chirac. Si vous semblez admettre, ainsi, que la soci�t� fran�aise est marqu�e par trop d�in�galit�s, comment agir, selon vous, pour r�sorber cette fracture sociale ? Quel est, � cet �gard, le mod�le d�organisation de soci�t� � mod�le sociald�mocrate su�dois ou mod�le ultra-lib�ral britannique � qui vous semble � m�me de garantir la justice sociale la plus parfaite ?
Il n�y a pas de justice sociale parfaite et pour moi le meilleur mod�le c�est le mod�le r�publicain au sens qu�en France on donne � ce mot. C�est ce mod�le auquel je dois tout. La fracture sociale c�est le r�sultat d�un renoncement aux principes r�publicains dans lequel l��cole jouait un r�le majeur et dans lequel l�Etat �tait une force de modernisation alors qu�aujourd�hui la bureaucratie a plut�t tendance � nourrir le conservatisme.
En quoi consiste la modernisation de la vie politique fran�aise que semble vouloir incarner le pr�sident Nicolas Sarkozy ? C�est une hyper-pr�sidentialisation du r�gime ? C�est la dilution du clivage traditionnel gauche-droite ? C�est la subordination de la d�mocratie institutionnelle � la d�mocratie repr�sentative ? Levez donc les ambigu�t�s�
La dilution du clivage droite-gauche a �t� engag�e depuis longtemps, depuis que le collectivisme a cess� d��tre une alternative. Au demeurant dans la politique fran�aise, il y a toujours eu de forts courants politiques qui aspiraient � le d�passer, rappelez-vous du g�n�ral de Gaulle : �La France ce n�est pas la droite, la France ce n�est pas la gauche, la France c�est tous les Fran�ais�. L�ouverture pratiqu�e par Nicolas Sarkozy doit �tre situ�e dans cette perspective : en finir avec le sectarisme, avec l�enfermement dans des �tiquettes partisanes qui n�ont plus beaucoup de signification, privil�gier les comp�tences et l�engagement en faveur de l�int�r�t g�n�ral. C�est depuis toujours le r�le du pr�sident de la R�publique, �lu de la nation que de s�efforcer de rassembler tous les Fran�ais et d�incarner l�unit� de la France. Nicolas Sarkozy a dit : �Je veux �tre un pr�sident qui gouverne� et Georges Pompidou avait dit exactement la m�me chose en 1969. Il n�y a pas d�hyper-pr�sidentialisation, il y a la poursuite logique d�un mouvement entam� d�s les d�buts de la Ve R�publique et que l��lection du pr�sident de la R�publique au suffrage universel a renforc�.
Vous passez pour un �souverainiste�. Quelle denr�e rare et quelle position difficile en ces moments o� la mondialisation impose ses contraintes jusqu�aux projets diplomatiques des pays membres de l�Union europ�enne ! O� se situe, pour le souverainiste que vous �tes, le point d��quilibre entre la souverainet� nationale et les imp�ratifs de solidarit� europ�enne et atlantique ?
Je ne me suis jamais d�fini comme un souverainiste, je n�aime pas ces �tiquettes qui sont des enfermements et qui dispensent de r�fl�chir de fa�on autonome. Cela dit je ne crois pas du tout que les Nations sont fatalement condamn�es par la mondialisation d�s lors qu�il existe une volont� politique de maintenir une souverainet� nationale, c�est-�- dire le droit d�un peuple � disposer de lui-m�me. Quant aux points d��quilibre entre souverainet� nationale et imp�ratifs de solidarit� europ�enne et atlantique, il est atteint quand on cesse de confondre la solidarit� avec le renoncement.
Le discours de Dakar dont la paternit� vous est attribu�e � que vous revendiquez m�me � aurait comport� des relents de racisme contre les peuples de l�Afrique noire. Juste pour l�int�r�t p�dagogique, ne croyez pas que je partage les critiques qui vous sont adress�es, je reviens � la charge : �Quelle est, au plan philosophique, votre position vis-�-vis de toutes les th�ories racistes connues ?�
Je ne revendique rien du tout, ce discours est le discours du Pr�sident donc de la France, mais je suis pr�t � en assumer chaque mot. Il n�y avait �videmment rien de raciste dans celui-ci, comme l�ont d�ailleurs reconnu des intellectuels aussi peu sarkozystes que Jean Daniel et Jacques Julliard. Et je vous rappelle que le Pr�sident sud-africain Tabo M�beki a f�licit� le pr�sident Sarkozy pour ce discours. Quant au racisme, rien n�est plus �tranger � mes convictions les plus profondes que cette id�e folle qu�il pourrait y avoir des races inf�rieures et des races sup�rieures, ni m�me qu�il y eut des races. Il n��tait d�ailleurs nulle part question de race dans le discours de Dakar.
A propos de l�exigence de repentance que mettent en avant les autorit�s officielles alg�riennes dans leurs relations avec la France, vous consid�rez cette revendication comme l�gitime ou un pr�texte pour un d�bat sans objet ?
La repentance c�est la concurrence des m�moires et des souffrances. Maintenant, il ne faut plus ressasser le pass� mais regarder vers l�avenir comme l�ont fait de Gaulle et Adenauer � propos de l�Allemagne et de la France. Imaginez De Gaulle disant aux Allemands : �Expiez d�abord, nous verrons apr�s.� Nous avons un avenir commun � b�tir avec l�Alg�rie, b�tissons-le dans une fraternit� qui nous vient de l�histoire et de la g�ographie, c�est-�-dire dans la compr�hension, le respect et la solidarit�.
Pourquoi admettre ce devoir de repentance lorsqu�il concerne le peuple juif et le rejeter d�s lors qu�il s�agit du peuple alg�rien ?
Reconna�tre que des fautes, que des crimes ont �t� commis c�est assumer l�histoire. Mais demander aux fils d�expier les fautes de leurs p�res c�est absurde et c�est compromettre l�avenir, lisez le fameux discours du g�n�ral de Gaulle � la jeunesse allemande en 1962. Je voudrais rajouter que pour ce qui me concerne ma France entre 1940 et 1944 n��tait pas � Vichy. C��tait celle des Fran�ais libres et des m�res qui cachaient des enfants juifs parmi leurs propres enfants. Mais je reconnais l��normit� du crime que constitua la solution finale qui interpelle ma conscience et la conscience universelle.
Faut-il consid�rer que la France historique est � ce point faible qu�elle ne peut solder, sereinement, son pass� colonial ?
La France regarde son pass� colonial en face. Et puisque vous parliez tout � l�heure du discours de Dakar, je crois qu�aucun Pr�sident de la R�publique fran�aise n�avait jamais �t� aussi loin dans la reconnaissance des fautes de la colonisation. Mais regarder l�histoire en face ne d�bouche pas fatalement sur la repentance. Il y a eu des fautes, il y a eu des crimes, mais il y a eu aussi des colons qui n��taient pas des exploiteurs, qui n��taient pas des criminels. Vous parliez de Camus tout � l�heure qui aimait tant l�Alg�rie. Moi je me reconnais dans Camus. Ma France c�est celle de Camus, ce n�est pas celle des exploiteurs, ce n�est pas celle des bourreaux. Permettez-moi de vous rappeler ce qu��crivait Camus : �Il est bon qu�une nation soit assez forte de tradition et d�honneur pour trouver le courage de d�noncer ses propres erreurs. Mais elle ne doit pas oublier les raisons qu�elle peut avoir encore de s�estimer elle-m�me. Il est dangereux en tout cas de lui demander de s�avouer seule coupable et de la vouer � une p�nitence perp�tuelle. Je crois en Alg�rie � une politique de r�paration, non � une politique d�expiation. C�est en fonction de l�avenir qu�il faut poser les probl�mes, sans rem�cher interminablement les fautes du pass�. Et il n�y aura pas d�avenir qui ne rende justice en m�me temps aux deux communaut�s d�Alg�rie�.
L�UNION M�DITERRAN�ENNE
Votre adh�sion au projet de l�union m�diterran�enne, affirme-t-on, serait d�ordre �motionnel alors que celle des diplomates du Quai d�Orsay serait d�essence pragmatique, ce distinguo vous agr�e ? Opposer l�un � l�autre est parfaitement idiot. On ne fait de grandes choses que par passion. L�Union pour la M�diterran�e ne peut na�tre que d�un grand r�ve de paix et de civilisation mais depuis le d�but la d�marche a toujours �t� pragmatique.
Finalement, o� se situe cette union m�diterran�enne entre construction �motionnelle et projet concret ? C�est un projet concret port� par une grande passion. Entre les desseins strat�giques invoqu�s au d�part � r�duire la fracture entre les deux rives, faire �merger un espace de cod�veloppement harmonieux, favoriser une cogestion inspir�e par un esprit de parfaite �galit� � et les projets ou m�canismes mineurs, finalement, retenus par l�Union europ�enne, ce n�est pas le sabordement, pur et simple, du projet dans sa substance ?
Dans l�esprit de l�accord franco-allemand, il s�agit bel et bien de refonder Barcelone sur le principe d�un partenariat �galitaire entre le Nord et le Sud et de mettre en �uvre des projets concrets autour desquels pourront se nouer des solidarit�s de plus en plus �troites, comme ce fut le cas en Europe avec la m�thode Monnet. D�une certaine mani�re cette refondation de Barcelone est plus ambitieuse que le projet initial, � condition que le Nord fasse r�ellement un effort sur lui-m�me pour partager le pouvoir et les responsabilit�s avec le Sud et que les pays du Sud acceptent de travailler ensemble. C�est l�-dessus que se jouera dans la dur�e le succ�s ou l��chec de cette initiative.
L�observateur avis� peut constater cette rupture qui affecte le processus de r�flexion diplomatique en France. D�un c�t�, le Quai d�Orsay, qui para�t d�pit� d�avoir �t� dessaisi de la conduite des projets diplomatiques strat�giques du pays, et, de l�autre, l�Elys�e, triomphant et imp�rial qui s�est saisi de la r�alit� de la strat�gie de l�Etat fran�ais, id�es et mise en �uvre des id�es. Cela ne risque-t-il pas de nuire � la coh�rence de la politique fran�aise � l��tranger et � son efficacit� ?
Sous la Ve R�publique c�est le pr�sident de la R�publique qui d�cide de la politique �trang�re de la France. Il ne peut y avoir qu�une seule politique �trang�re, qu�une seule diplomatie.
Vous consid�rez qu�il n�y a pas eu de pr�cipitation dans le lancement de ce projet ? Pr�cipitation, donc fatalement erreurs m�thodologiques�
Non. Quand vous voulez changer les choses � ce point, quand vous voulez rompre avec les habitudes de pens�e et les comportements du pass�, vous n�avez pas le choix, vous devez bousculer l�ordre �tabli, provoquer le d�bat d�id�es. C�est ce que la France a fait en lan�ant cette initiative. Ce faisant, elle a fait bouger les lignes et elle a permis que ce qui, il y a encore quelques mois, paraissait impossible soit aujourd�hui pr�t de se r�aliser. C�est tout ce qui compte. Serait-on parvenu � un meilleur r�sultat en s�y prenant autrement ? Nul ne peut r�pondre � cette question, ce que je sais c�est que je n�ai entendu personne proposer autre chose. Pour faire bouger les choses, il fallait prendre des risques, le pr�sident Sarkozy les a pris et il a eu raison car sinon il ne se serait rien pass� du tout.
En tous les cas, cette rupture de coh�rence se prolonge, apparemment, au-del� de cette seule ligne de fracture. L�absence de consensus interne en France autour du projet d�union m�diterran�enne, c�est la marque de l�impr�paration et de la pr�cipitation m�thodologiques ou le reflet d�un d�saccord de fond entre les diff�rentes sensibilit�s que comporte la soci�t� fran�aise ?
Il y a peut-�tre des gens en France qui n�ont pas compris que l�avenir de la France et de l�Europe se jouait d�abord au Sud mais ce n�est pas bien grave, apr�s tout la d�mocratie ce n�est pas le consensus � tout prix mais la libre confrontation des id�es. Ce qui est important c�est qu�en fin de compte, il y a une politique de la France, il y a une volont� fran�aise qui s�exprime.
Savez-vous que les opinions publiques dans les pays arabes ne sont pas loin d�embo�ter le pas au Pr�sident libyen lorsqu�il rel�ve dans la d�marche europ�enne une sorte de d�dain pour les pays de la rive sud dont le concours est, pourtant, sollicit� ?
C�est la raison pour laquelle il faut refonder Barcelone sur la base d�un partage des pouvoirs et des responsabilit�s. Si Barcelone n�a pas tenu toutes ses promesses c�est parce qu�il reposait sur un d�s�quilibre entre le Nord et le Sud et parce qu�il �tait la propri�t� de l�Europe qui au fond d�cidait de tout. Ce qu�il faut organiser c�est une copropri�t�, c�est une gouvernance r�ellement partag�e ; ce qu�il faut c�est passer d�une situation o� l�Europe aide et assiste les pays du Sud � une situation o� les pays europ�ens et les pays du Sud d�cident ensemble, travaillent ensemble. Le but c�est la coop�ration, le cod�velopepment, le coinvestissement, la cogestion et la cod�cision. C�est la raison d��tre de l�Union pour la M�diterran�e.
J�interpelle l�intellectuel en vous, pas le politique. Vous pensez que le d�veloppement des pays de la rive sud est possible en dehors de l�av�nement de la d�mocratie et la libre entreprise ?
Je crois que c�est le d�veloppement et le recul de la mis�re qui cr�eront les conditions de l�av�nement d�une d�mocratie plus vivante. Je crois que si l�on attend d�avoir partout une d�mocratie parfaite pour travailler ensemble au d�veloppement �conomique, social et humain de la M�diterran�e, il ne se passera rien avant longtemps. C�est en travaillant ensemble que les peuples apprendront � mieux se comprendre, � mieux se respecter, � s�ouvrir davantage. C�est cela le pari de l�Union pour la M�diterran�e. Je crois qu�on ne r�soudra rien si l�Europe pr�tend donner des le�ons au Sud.
Les deux chantiers majeurs qui auraient pu susciter l�adh�sion des soci�t�s de la rive sud se rapportent au partage du savoir et des connaissances et � la libre circulation des personnes. Sur ces deux questions, justement, la France, autant que l�Union europ�enne, semblent plus ferm�es que jamais�
Tout d�abord je trouve que le projet d�Union pour la M�diterran�e suscite un large �cho dans les soci�t�s civiles de la rive sud. Il est vrai qu�elle ne r�ussira que si elle devient l�affaire de tous et pas seulement celle des Etats ou des bureaucraties. Elle r�ussira si elle devient un cadre pour le partage du savoir et des connaissances, si elle contribue � r�soudre les probl�mes qui touchent les gens comme l�eau, l�alimentation, l��nergie, la s�curit� et aussi la circulation des personnes. Elle va offrir enfin un cadre pour discuter, pour g�rer ensemble entre le Nord et le Sud, les probl�mes de mobilit�, d�immigration qui n�ont pas de solution si les flux ne sont pas g�r�s en commun et si le cod�veloppement ne devient pas une r�alit�. Il faut bien comprendre que l�Union pour la M�diterran�e c�est une chance historique pour �chapper � la fermeture, au repliement sur soi.
Que reste-t-il des m�canismes institutionnels envisag�s, au d�part, pour l�union m�diterran�enne ? La Commission de l�Union europ�enne qui a repris en main les r�nes du projet refuse une existence propre � cette union�
Nous verrons bien ce qui sortira du sommet du 13 juillet. Mais l�id�e d�une union de projets � g�om�trie variable est bien accept�e par tout le monde et le principe d�une copr�sidence entre un pays du Nord et un pays du Sud ainsi que d�un secr�tariat permanent compos� � parit� de fonctionnaires du Nord et du Sud pour incarner une gouvernance partag�e sont sur la table.
Les opinions publiques de la rive sud de la M�diterran�e consid�rent, volontiers, que l�un des objectifs majeurs du projet actuel c�est en r�alit� l�ambition � peine cach�e de consacrer la pr�sence d�Isra�l parmi ses voisins arabes. Les r�gimes en place sur cette rive sud, quand bien m�me ils seraient dispos�s � accepter la pr�sence par effraction d�Isra�l parmi eux, craignent beaucoup leurs opinions publiques. Si l�on note qu�aucun pr�alable n�est exig� d�Isra�l, n�est-il pas juste de consid�rer que c�est l� une bien mauvaise mani�re d�aborder le conflit du Proche-Orient ?
Personne ne sera pr�sent par effraction. Tous ceux qui ont accept� l�invitation de la France savent que tous les pays de la M�diterran�e ont �t� sans exception invit�s. A qui un tel sommet rend-il le plus service ? A Isra�l ? A la Syrie ? Aux Palestiniens ? Au Liban ? Ou bien � tous ceux qui veulent cr�er les conditions du dialogue et les conditions de la paix, � tous ceux qui pensent qu�il y a en M�diterran�e des probl�mes vitaux qui ne peuvent �tre r�solus qu�en travaillant ensemble, � tous ceux qui sont convaincus qu�au-del� des conflits d�aujourd�hui nous avons tous une responsabilit� collective envers les g�n�rations futures ? Il faut regarder le sommet du 13 juillet tel qu�il s�annonce, comme une grande victoire symbolique non d�un camp par rapport � un autre mais de l�esprit de tol�rance et de dialogue. Et je suis convaincu qu�� terme cela facilitera la r�solution des conflits.
Certes, cela n�est pas, forc�ment, de la faute du partenaire europ�en. Mais comment, cependant, concevoir qu�un projet de cette dimension puisse tenir sur ses pieds lorsque d�un c�t�, avec l�Union europ�enne, vous avez une position homog�ne et solidaire et, de l�autre, avec la rive sud de la M�diterran�e, vous avez des partenaires qui se pr�sentent en rangs dispers�s ?
C�est ce que l�initiative de l�Union pour la M�diterran�e veut essayer de r�soudre � travers les id�es de copropri�t� et de gouvernance partag�e. L�esprit de cette union c�est qu�il n�y a pas d�un c�t� le Nord et de l�autre le Sud mais qu�il y a le Nord et le Sud qui d�cident ensemble, travaillent ensemble, qui assument ensemble une part de destin�e commune.
Et si ce projet d�union m�diterran�enne refl�tait, tout simplement, une division des t�ches et des r�les entre l�Union europ�enne et l�Alliance atlantique ?
Comme leur nom l�indique l�alliance atlantique est atlantique, l�union m�diterran�enne est m�diterran�enne�.
Que r�pondez-vous � ceux qui consid�rent que la France est, en partie, responsable du retard dans le processus d�unit� du Maghreb. Pourquoi ? Parce qu�elle se serait, rang�e, de mani�re ostensible, sur les th�ses marocaines dans le conflit du Sahara occidental�
Les peuples du Maghreb sont ma�tres de leur destin et c�est � eux de r�soudre les conflits qui les opposent. La France quant � elle souhaite ardemment qu�ils s�unissent le plus possible pour relever les d�fis auxquels ils sont confront�s.
Vous consid�rez l�gitime de financer, par des fonds pr�lev�s des pays du Golfe arabe, les maigres chantiers de coop�ration s�lectionn�s pour ce projet m�diterran�en ? Pourquoi ne serait-ce pas des fonds europ�ens qui s�investiraient en lieu et place des fonds des monarchies p�troli�res ?
Les chantiers s�lectionn�s pour le 13 juillet concernent la d�pollution de la M�diterran�e, l�eau, l��nergie, la protection civile, la s�curit� alimentaire, le transport maritime, qui peut pr�tendre que ce sont l� des petites ambitions ? Et le 13 juillet n��puise pas le sujet. Le 13 juillet c�est un commencement, il y a beaucoup d�autres projets en gestation dont l�Union pour la M�diterran�e favorisera la mise en �uvre en respectant le principe selon lequel ceux qui veulent avancer ne pourront en �tre emp�ch�s par personne et qu�� l�inverse nul ne sera contraint de participer � des projets qu�il r�cuse. Le but c�est qu�il y ait tr�s rapidement le plus de projets possibles, dans le plus de domaines possibles, c�est une tr�s grande ambition. La caricaturer n�est pas un service � rendre aux peuples de la M�diterran�e. Quant aux fonds qui seront mobilis�s pour la r�alisation de tous ces projets, nous irons les chercher partout o� ils se trouvent, partout o� des investisseurs sont pr�ts � investir pour la M�diterran�e. Il ne s�agit pas de pr�lever, il s�agit d�inciter, de convaincre, de mobiliser tous les moyens, toutes les �nergies, toutes les imaginations. Il s�agit de sortir de la logique d�assistance et de la logique bureaucratique. La logique bureaucratique c�est celle qui conditionne les projets aux ressources dont on dispose, la logique qui doit pr�valoir dans l�Union pour la M�diterran�e c�est la logique de la vie normale, celle o� l�on �labore les meilleurs projets possibles et o� ensuite on va chercher par tous les moyens � mobiliser des ressources pour les r�aliser. Si l�argent vient du secteur public, tant mieux, s�il vient du secteur priv�, tant mieux, s�il vient de l�Europe, tant mieux, s�il vient des pays du Golfe, tant mieux pourvu qu�il vienne.
C�est une �vidence que le projet d�union m�diterran�enne �tait destin� � tarir les sources d�ins�curit� lesquelles sont, essentiellement, d�origine interne et d�ordre soci�tal. Vous ne pensez pas que cette vision, tout � fait pertinente de la probl�matique du d�veloppement, est absente du projet r�vis� par l�Union europ�enne ? Le projet actuel ne consid�re-t-il pas la rive sud comme un simple �pare-choc� face aux ph�nom�nes du terrorisme et de l��migration clandestine ?
Non. L�Union pour la M�diterran�e sera ce que nous d�ciderons d�en faire ensemble. A chacun de prendre ses responsabilit�s, � chacun de s�engager pour faire en sorte que l�ambition originelle soit pr�serv�e.
Finalement, quelle avanc�e repr�sente le projet actuel par rapport au processus de Barcelone ? Persistance de conflits p�riph�riques latents ou gel�s, in�galit�s croissantes entre les deux rives, renforcement de l�autoritarisme sur la rive sud avec renforcement du potentiel de r�volte chez les populations, vous croyez que c�est avec la coop�ration entre les protections civiles que ces d�fis pourraient �tre abord�s ?
La s�curit� civile est aussi un d�fi important, � moins que vous ne consid�riez qu�essayer de r�pondre ensemble aux grandes catastrophes naturelles est un probl�me secondaire. Mais encore une fois, l�Union pour la M�diterran�e a vocation � s�engager sur tous les fronts, je ne crois pas que l�eau, l��nergie ou l�alimentation soient de petits probl�mes. Mais je crois qu�avec l�Union pour la M�diterran�e nous pourrons traiter bien d�autres sujets comme l��ducation, la sant�, la recherche, les in�galit�s�
Comment expliquer, � propos, cette absence chronique de synergie active entre �lites des rives nord et sud de la M�diterran�e dans le processus de r�flexion qui s�est engag� ou qui doit s�engager autour de la pertinence de cet espace m�diterran�en ?
Mais il y a une synergie active entre les �lites des deux rives sur l�organisation de l�espace m�diterran�en ! Personne n�a �t� tenu � l��cart. Il y a eu des colloques, des forums, des r�unions, des �changes entre les �lites du Nord et Sud. Il y a eu des propositions, des id�es, des projets qui sont venus de partout pour enrichir l�Union pour la M�diterran�e avant et apr�s le 13 juillet. Quand toutes les acad�mies des pays de la M�diterran�e se r�unissent � Paris pour discuter de l�organisation d�un espace scientifique m�diterran�en, c�est bien le t�moignage que toutes les �lites m�diterran�ennes se sentent concern�es et sont d�cid�es � s�engager.
Cela vous indispose que d�aucuns pensent que le projet d�union m�diterran�enne est per�u, en r�alit�, par le pr�sident Sarkozy comme un gadget, pas comme un projet d�int�r�t strat�gique ?
Il y a toujours des esprits chagrins, il y a toujours de gens qui sont sceptiques sur tout, il y a toujours des gens qui sont contents quand tout �choue. Au fond ce n�est pas bien grave, le pr�sident Sarkozy a voulu l�Union pour la M�diterran�e, elle va na�tre et c�est tout ce qui m�importe.
DIGRESSIONS
Comment, donc, Henri Guaino, l�intellectuel atypique et Henri Guaino, le conseiller sp�cial du pr�sident de la R�publique, arrivent-ils � concilier, dans la vie de tous les jours, leur comportement ?
Je n�ai jamais souffert d�un d�doublement de la personnalit�.
Quelles sont vos lectures pr�f�r�es ?
Je lis tout.
Et vos personnages historiques pr�f�r�s ?
Ceux qui ont �t� port�s par un grand r�ve de civilisation comme Alexandre, Marc Aur�le, Napol�on ou De Gaulle.
Tenons-en nous � la France. Si vous aviez d�un c�t�, Napol�on et De Gaulle, et de l�autre, Danton et Saint Just, quel est le bin�me dont vous vous sentiriez le plus proche ?
Napol�on et De Gaulle. Que serait devenue la R�publique dont avaient r�v� Danton et Saint Just sans Napol�on pour sauver l�h�ritage de la R�volution ou sans De Gaulle pour sauver deux fois la R�publique ?
Vous partagez avec Philippe Seguin une sensibilit� aux questions sociales. Quelle est la th�orie �conomique qui, selon vous, a le plus profit� au d�veloppement du genre humain ? Quel est le mod�le de r�ussite �conomique dans le monde qui, toujours au regard de votre fibre sociale, suscite votre admiration ?
La France des trente Glorieuses. Celle qui est n�e du programme du Conseil national de la R�sistance et de la R�publique gaullienne. Mais depuis le monde a chang�, tout est � r�inventer. Ce qui me para�t �vident, c�est que le march� n�a pas toujours raison.
Supposons que le sommet du 13 juillet 2008 sur �l�Union pour la M�diterran�e� d�bouche sur un �chec et que le pr�sident Sarkozy d�cide de vous lib�rer de vos fonctions � l�Elys�e. Psychologiquement, cette �ventualit� ne vous inqui�te pas ?
Je n�ai jamais eu pour id�al de vie d��tre conseiller � l�Elys�e.
Lib�r� de vos charges actuelles, quelle serait votre vie apr�s la vie � l�Elys�e ?
Ce que je fais aujourd�hui est passionnant, mais j�ai eu une vie avant l�Elys�e et j�en aurai une autre apr�s.
Au d�but de cet entretien, nous avions �voqu� Albert Camus dont l��uvre toute enti�re porte l�empreinte de l�Alg�rie, sa muse nourrici�re. Beaucoup de ceux qui vous connaissent pr�disent que vous resterez, malgr� tout, attach� � cet id�al m�diterran�en � m�me contrari� � et que vous continuerez de le porter � la mani�re du rocher du mythe de Sisyphe. Renouer avec le bonheur camusien en vous plongeant dans les splendeurs de Tipasa, cela ne vous tente pas ?
Il faut imaginer Sisyphe heureux�


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