Un peu partout dans le monde, on ne parle que de r�forme de la S�curit� sociale, sans pour autant aller jusqu�� sacrifier les principes qui sont les fondements de cet acquis historique des salari�s. Les politiques ultralib�rales visant � revoir � la baisse la S�curit� sociale pour permettre � des �assureurs priv�s� de faire plus de profits, ont �chou�. Un autre d�bat vient de s�ouvrir en France : qu�en est-il du devenir des cotisations patronales ? A titre d�exemple, la r�forme de l'assiette des cotisations patronales � la valeur ajout�e serait assum�e par les salari�s dont le salaire net diminuerait mais aurait aussi un effet n�gatif sur la comp�titivit�. Christophe Ramaux, ma�tre de conf�rences en �conomie � l�universit� Paris I, vient de publier une analyse extr�mement int�ressante � ce sujet. Les performances �conomiques am�ricaines en t�moignent : les politiques keyn�siennes ne sont peut-�tre pas aussi d�pass�es qu'on le soutient en Europe. Mais il est une autre le�on am�ricaine : pour la sant� ou la retraite, le priv� n'est pas plus efficace que le public. Il est plus co�teux : 10 % du PIB en France pour la sant�, 15 % aux Etats-Unis pour des r�sultats moindres. Les frais de gestion des assurances priv�es expliquent une part de ce surco�t. Elles r�mun�rent des milliers d'actuaires pour, concurrence oblige, �valuer les risques au plus pr�s et en d�duire des cotisations. Celles-ci, soit dit en passant, sont obligatoires, une fois le contrat sign�, mais n�entrent pas dans le calcul des �pr�l�vements obligatoires� (d'o� leur faiblesse outre- Atlantique) puisqu'elles sont priv�es. Le priv� g�n�re d'autres biais. Il alimente la financiarisation, sa logique de court terme et cr�e de l'incertitude sur la p�rennit� des droits : les entreprises � main-d'�uvre vieillissante ou en retraite, voyant leurs comptes �plomb�s� par leurs engagements, se placent en faillite �restreinte� en laissant � l'Etat le soin de prendre le relais. La S�curit� sociale telle qu'elle existe en France n'est pas sans d�fauts. Evoquons cependant quelques qualit�s qui donnent une boussole pour les surmonter et s'y retrouver dans le d�bat relanc� par Jacques Chirac sur l'�largissement de l'assiette des cotisations patronales. Le financement par r�partition repose sur un principe simple : chaque mois, une part de la richesse produite est pr�lev�e pour �tre imm�diatement r�partie (sans passage par la capitalisation) sous forme de prestations sociales. Que celles-ci soient appel�es � cro�tre n'est pas en soi un probl�me. Pourquoi les d�penses d'automobile seraient-elles �bonnes pour l'�conomie� et non celles de sant� ? On le con�oit pour le Medef (patronat fran�ais) : dans un cas, la d�pense valorise un capital, dans l'autre, elle lui �chappe largement et le met � �contribution�. Les cotisations sont du salaire socialis� Les mots sont d�cid�ment importants : � l'encontre des lib�raux qui parlent de �charges sociales� pour mieux les all�ger, on peut soutenir que les cotisations sont du salaire socialis� qui, on l'oublie trop souvent, repr�sentent plus de 35 % du revenu des m�nages. La s�paration entre cotisations salari�s et employeur est, au fond, une �fiction� puisque dans les deux cas c'est bien du salaire qui appara�t dans les comptes des entreprises. Un salaire qui, � l'instar du �ne� per�u par les salari�s, vient r�duire la part des profits. Cette fiction op�re n�anmoins en termes de repr�sentation. C'est une premi�re limite : elle accr�dite l'id�e que le capital �produit de la richesse� et �finance la S�cu� au m�me titre que le travail. Il est d'autres limites. La logique assurantielle laisse entendre que les prestations re�ues sont la contrepartie des cotisations vers�es par chacun. Une nouvelle fiction puisque ce sont les cotisations courantes, et non les cotisations pass�es des retrait�s ou des malades qui financent leurs prestations. Mais une fiction qui �op�re� � nouveau. D'un c�t�, elle assoit la l�gitimit� du syst�me, ce qui n'est �videmment pas rien (chacun a le sentiment de cotiser �pour soi�). De l'autre, elle rabat la S�curit� sociale sur l'assurance. Les cotisations dites �non contributives� pour la sant� et la famille (qui ne concernent pas que les salari�s) seraient ainsi ill�gitimes. D'o� la cr�ation de la CSG (cotisation sociale g�n�ralis�e). Le financement par l'imp�t, les pays nordiques le prouvent, n'est pas n�cessairement synonyme de couverture minimale, r�serv�e aux pauvres, les autres devant se tourner vers le priv�. Ceci �tant, le basculement vers la CSG n'est pas neutre. Auparavant, les cotisations employeurs et salari�s formaient respectivement deux tiers et un tiers des ressources. L'introduction de la CSG, � la place de cotisations salari�es, s'est initialement traduite par un l�ger gain de pouvoir d'achat. Elle porte en effet sur les salaires (75 % des recettes), mais aussi sur les retraites et allocations ch�mage (18 %) et, c'est l'argument de justice sociale, sur certains revenus du capital (7 %). Mais, et l'on retrouve le poids des repr�sentations, la CSG inscrit dans les t�tes que la sant� ou la famille doivent dor�navant �tres financ�es par son biais et non par une hausse de la cotisation patronale. L'enjeu n'est pas mince : alors que cette derni�re augmente la masse salariale (et r�duit les profits), la CSG la laisse inchang�e (en r�duisant les salaires nets). Dit autrement : d'un tiers (sur le salaire net)/deux tiers (sur les profits), on passe � 93 %/7 % (la contribution des revenus du capital). Pi�tre justice sociale. La part des cotisations patronales dans le financement des d�penses globales de protection sociale est pass�e de 46,1 % en 1974 � 37,1 % en 2004. L'�largissement de l'assiette des cotisations patronales � la valeur ajout�e est-elle une solution ? Sur le papier, la r�ponse est positive. Id�alement, le syst�me qui serait conforme � l'essence de la r�partition est, en effet, le suivant : une fusion des cotisations salari�s et employeurs avec une assiette valeur ajout�e. A l'inverse de l'actuelle usine � gaz, ce syst�me serait simple et lisible. Le syst�me de retraite par r�partition demeure la bonne solution Il montrerait que sur la valeur ajout�e du priv� mais aussi du public (car le public � de m�me que le secteur associatif � cr�e de la richesse : c'est le PIB non-marchand), une fraction paye le salaire net, une autre les prestations sociales, tandis que les profits restants sont soit r�investis soit distribu�s sous forme de dividendes aux propri�taires du capital. Quatre parts donc, toute hausse de l'une devant se faire au d�triment des autres. Le g�teau n'est, certes, pas fixe. Il augmente avec la croissance. On peut ainsi d�montrer que le syst�me par r�partition, sans m�me r�duire la part des profits, est � m�me d'affronter le choc d�mographique r�guli�rement agit� pour ajouter un �pilier� priv�. On compte aujourd'hui 4 retrait�s pour 10 actifs. Pour une masse salariale de 100, chacun re�oit donc 7 en moyenne (100/14). En tablant sur une croissance molle de 1,8 % du PIB par an, cette masse double en quarante ans. On comptera alors 8 retrait�s pour 10 actifs. Une moyenne de 11 par t�te donc (200/18). Bref, il est possible de �financer� les retraites en augmentant le pouvoir d'achat des salari�s et des retrait�s de 50 % au cours des quarante prochaines ann�es... sans m�me toucher � la part des profits ! Faut-il laisser celle-ci inchang�e ? On peut le contester : au cours des vingt derni�res ann�es la part des salaires (nets et socialis�s) a baiss� de 8 points dans la valeur ajout�e. Celle des profits r�investis n'a pas augment�. Les profits n'ont fait ni les investissements de demain, ni les emplois d'apr�s-demain. Ils ont, pour l'essentiel, augment� les dividendes vers�s aux actionnaires (126 milliards d'euros en 2004 contre 49 milliards en 1994 !). C'est � cette aune que l'on doit appr�cier la r�forme de l'assiette des cotisations patronales � la valeur ajout�e. Et c'est l� que le b�t blesse. Le principal effet de cette r�forme sera de transf�rer jusqu'� 30 milliards d'euros des entreprises de main-d��uvre vers les firmes capitalistiques, sans aucune rentr�e suppl�mentaire pour la S�cu. Est-ce judicieux ? Vu les sommes en jeu, le d�bat ne portera � et ne porte d�j� � que sur cette question ! Exit donc l'id�e de r�duire la part des profits pour financer la S�cu. Les entreprises capitalistiques auront beau jeu de dire : vous ne voulez pas qu'on paie deux fois ; tandis que celles de main-d��uvre clameront qu'on ne peut leur reprendre d'une main ce qu'on vient de leur offrir ! Si hausse des besoins de financement il y a, ce qu'on peut souhaiter (la d�pense sant� est un signe de richesse sociale, ce qui n'emp�che pas de pointer de biens r�els gaspillages notamment du c�t� de l'offre de m�decine... lib�rale), elle sera donc assum�e par les salari�s (via une nouvelle baisse de la part des salaires nets). La r�forme envisag�e est avant tout justifi�e au nom de l'emploi que la cotisation actuelle �p�naliserait� puisqu'elle d�pend du salaire. En termes de repr�sentation, � nouveau, les lib�raux peuvent se r�jouir : des syndicalistes et certains �conomistes critiques reconnaissent enfin que le co�t du travail est un frein � l'emploi ! Ces derniers pourront-ils continuer � d�noncer les diverses exon�rations de �charges� (pr�s de 20 milliards d'euros en 2005) qui se perdent, pour l'essentiel, dans des effets d'aubaine et b�n�ficient d'abord, elles aussi, aux entreprises de main-d��uvre ? La pente argumentative est raide. En termes d'effets sur l'emploi, on peut surtout craindre un effet n�gatif sur la comp�titivit�, les entreprises qui exportent �tant plus capitalistiques que les autres. La France a-t-elle int�r�t � d�courager l'investissement et, partant, la comp�titivit� hors co�t ? Les entreprises capitalistiques n'ont pas un taux de marge qualitativement sup�rieur qui justifierait le transfert envisag�. Faut-il donc se contenter d'augmenter les cotisations patronales existantes ? On peut aussi le contester. Un autre probl�me se pose en effet : le mode de calcul actuel donne un bonus aux entreprises les plus r�trogrades en mati�re salariale. Celles qui augmentent les salaires nets payent un suppl�ment de cotisation que les autres ne payent pas. Un �largissement de l'assiette aux seuls �profits financiers� non r�investis permettrait de contrecarrer cet effet pervers. Il serait un levier pour faire passer un message �audible� : consacrer demain une plus large part du �g�teau� pour la S�cu est � la fois n�cessaire et possible, en revenant sur l'explosion des profits financiers.