L'indigence du d�bat politique local, sur fond de gouvernance orient�e vers la seule r�pression des rares espaces de libert� h�rit�s des r�formes de M. Mouloud Hamrouche avec des r�serves de change ne d�passant gu�re 500 millions de dollars, a fini par couper d�finitivement notre pays de la communaut� internationale des nations civilis�es. On ne r�prime pas impun�ment ses journalistes, ses enseignants et ses �lites. Rel�gu� au rang de �sujet� insignifiant, notre pays n'a cependant pas achev� sa descente aux enfers. Faute de toucher le fond pour pouvoir remonter, il continue � creuser. En effet, en quoi l'Alg�rie a retrouv� sa place dans le concert des nations ? Si c'est le cas, de quel concert s'agit-il ? De celui des derviches tourneurs ou de celui des puissances �mergentes pleinement associ�es � la d�cision ? A Hong-Kong, l'Organisation mondiale du commerce (OMC), moteur de la lib�ralisation du commerce mondial, est parvenue � un accord, qualifi� de �minimal�, avec une nouvelle r�partition du pouvoir dans laquelle deux nouveaux acteurs, l'Inde et le Br�sil, retrouvent leur place � la table des grands. Lors de sa premi�re discussion en ligne le 21f�vrier dernier, le directeur g�n�ral de l'OMC, M. Pascal Lamy, avait pr�dit : �Si l'Union europ�enne et les Etats-Unis sont les �l�phants du commerce mondial aujourd'hui, la Chine, l'Inde, le Br�sil ou l'Afrique du Sud seront les �l�phants du XXIe si�cle.� Une d�duction logique du triomphalisme du discours officiel ressass� par les sempiternels satisfecit de l'Unique aurait certainement plac� l'Alg�rie en t�te des nouveaux �l�phants ! La r�alit� est cependant plus am�re. Les leaders du c�l�bre groupe des 20, issu de la conf�rence minist�rielle de Cancun en 2003*, en l'occurrence le Br�sil et l'Inde, ont accept� l'accord Hong-Kong, essentiellement parce que l'Union europ�enne avait pr�cis� une �ch�ance pour la suppression de ses subventions aux exportations de produits agricoles. L'int�r�t pour le Br�sil et l'Inde ne se mesure pas en termes d'impact de l'accord sur leurs �conomies, mais de poids dans la redistribution du pouvoir au sein de l'OMC. Ce faisant, ils agissaient au d�triment des pays les moins avanc�s. En prenant la t�te du G20, les deux pays int�grent la nouvelle structure de pouvoir et de prise de d�cision � l'OMC. D�sormais, avec les Etats- Unis, l'Union europ�enne et l'Australie, les deux nouveaux, font partie des �Five Interested Parties� (FIPs, ou Cinq Parties Int�ress�es). Et c'est � ce prix qu'il fut mis fin � l'impasse sur les n�gociations agricoles. Acc�dant aux pressions des grands fr�res, faisant contre mauvaise fortune bon c�ur, les pays les moins avanc�s accept�rent le �paquet du d�veloppement� consistant essentiellement en une disposition sur l'entr�e sans droits de douane ni quotas de leurs produits sur les march�s des pays d�velopp�s, ainsi que l'accord �aide contre commerce� portant essentiellement sur des pr�ts leur permettant de rendre leurs r�gulations �conomiques coh�rentes avec les r�gles de l'OMC, au prix d'un nouvel endettement. Dans la foul�e, les producteurs de coton d�Afrique de l'Ouest consentirent � sans compensation des dommages que ces subventions infligent � leurs �conomies � � un accord donnant aux Etats-Unis un d�lai suppl�mentaire d'une ann�e de plus avant d'�liminer les subventions aux exportations qu'ils auraient d� supprimer il y a un an et demi, en conformit� avec une d�cision de l'OMC. A la question: �Pensez-vous que les modalit�s sur l'agriculture tiendront compte r�ellement des demandes des pays en d�veloppement ?�, Pascal Lamy a r�pondu : �S�rement. Sinon les pays en d�veloppement ne les accepteront pas. Et la plupart de leurs pr�occupations d�fensives ont maintenant �t� prises en compte. Restent leurs pr�occupations offensives qui me paraissent plut�t en bonne voie.� O� pouvons- nous nous situer dans la nouvelle fronti�re qu'introduit l'OMC entre pr�occupations d�fensives et offensives ? L'Alg�rie a perdu son leadership et ce ne sont pas les effets de bras des tontons macoutes locaux qui vont y changer quoi que ce soit. C'est principalement au prix d'une respectabilit� associant bonne gouvernance, d�mocratie, justice et progr�s social que l'Inde et le Br�sil, les nouveaux leaders du tiers-monde, acc�d�rent au club des grands de l'OMC. Le G20, dont la mise en place faisait la fiert� des pays en d�veloppement lors de la conf�rence minist�rielle de Cancun, n'�tait donc rien d'autre qu'une rampe de lancement de l�int�gration de l'Inde et du Br�sil au sein de la structure de direction de l'OMC. Le gardien du temple imp�rialiste a fait sien le vieil adage de l'un des p�res de l'�cole marginaliste, Vilfredo Pareto, sur les �lites. En proph�tisant que l'histoire �tait �le cimeti�re des aristocraties� qui r�sistaient � l'�volution des relations de pouvoir, Pareto associait la r�ussite des �lites � la r�cup�ration des meneurs des insurrections qui veulent les chasser du pouvoir. Le g�nie consistant ici � �largir la sph�re dirigeante tout en conservant la structure du syst�me. Le coup de ma�tre est d'autant plus � saluer que le gouvernement du pr�sident Luis Inacio da Silva au Br�sil, men� par le Parti des travailleurs, et le gouvernement de coalition de l'Inde, men� par le Congr�s, sont arriv�s au pouvoir avec des programmes anti-lib�raux. Mais, une fois en place, tous deux sont devenus les stabilisateurs les plus efficaces des politiques n�olib�rales, tous deux ont re�u le soutien du Fonds mon�taire international, du lobby transnational des entreprises, et de Washington. Bien qu'elle ne compte encore que pour 1 % du commerce mondial, l'Inde est, nous l'avons dit plus haut, un interlocuteur de premier plan � l'Organisation mondiale du commerce. Longtemps leader des pays �non align�s�, elle se veut aujourd'hui chef de file des pays en voie de d�veloppement. Troisi�me puissance �conomique d'Asie, l'Inde r�ve de concurrencer directement le grand rival chinois et compte viser un taux de croissance annuel du PIB � deux chiffres de 10%, contre une moyenne de 6% � 8% par an ces derni�res ann�es. Pour y parvenir, l'Etat indien entend investir massivement dans des infrastructures. 3,5 milliards d'euros seront consacr�s � la construction de cinq usines �lectriques pour augmenter les capacit�s de 40.000 m�gawatts d'ici trois ans. Un maillage autoroutier de 1300 kilom�tres reliera les grandes villes du pays et le r�seau de chemin de fer connectant la capitale New Delhi aux quatre coins du souscontinent (1/6 de la population mondiale, dont 54 % de moins de 25 ans) sera achev� fin 2008. Des projets pour d�velopper les ports et les a�roports vont �tre �galement mis en chantier. Outre les infrastructures, le gouvernement veut doubler la part de l'Inde dans les exportations mondiales d'ici 2009, gr�ce aux secteurs du textile, de l'automobile, du cuir et des industries agroalimentaires. Son poids dans les �changes internationaux demeurant encore faible, sa croissance restera tir�e par la demande int�rieure. La capitale du high-tech, Bangalore, compte aujourd'hui plus d'ing�nieurs en informatique que la Silicon Valley am�ricaine et les entreprises indiennes sont de plus en plus pr�sentes � l'international. Diverses projections pronostiquent que, � ce rythme, l'Inde sera la troisi�me �conomie mondiale dans dix, vingt ou trente ans, derri�re les Etats- Unis et la Chine. L'int�r�t pour les anciens p�les dirigeants du capitalisme est de faire de l'Inde un contrepoids � l'�mergence de la Chine. Pour eux, Etats-Unis en t�te, le fait que l'Inde soit une d�mocratie est un atout de poids face � la Chine dont le projet de soci�t� reste tout de m�me inspir� du communisme. �Nos deux d�mocraties partagent les m�mes valeurs�, a soulign� Bush, lors de son dernier voyage � New Delhi. L'objectif est donc clair : concurrencer la Chine, aujourd'hui beaucoup plus comp�titive et plus attractive avec dix fois plus de capitaux �trangers que le pays de Ghandi. Un pari difficile au regard de nombreux obstacles : la lenteur des r�formes, l'omnipr�sence de la bureaucratie, l'hypertrophie du secteur public, et surtout la pauvret�. La croissance indienne ne cr�e pas assez d'emplois pour son milliard d'habitants et le syst�me des castes r�serve ses profits � une petite classe moyenne. Un Indien sur trois vit avec moins de un dollar par jour, selon la Banque mondiale. L'indice le plus probant de la poursuite du miracle chinois vient des investissements colossaux faits dans le capital humain. Les Chinois ont compris avant les autres que la demande d'enseignement sup�rieur transnational va se poursuivre de plus en plus fort. Cette demande g�n�re d�j� des revenus consid�rables pour les pays d'accueil : les 2 millions de personnes �tudiant hors de leurs fronti�res rapportent un peu plus de 40 milliards de dollars � leurs formateurs. Il n'est pas �tonnant de trouver la Chine (y compris Hong-Kong) en t�te des pays qui ont investi le cr�neau : elle totalise le plus grand nombre de ressortissants �tudiants � l'�tranger, lesquels repr�sentent 10 % des �tudiants �trangers dans la seule zone de l'OCDE. On ne s'�tonnera donc pas des derni�res r�v�lations de l'Organisation mondiale de la propri�t� intellectuelle (Ompi), qui centralise une partie des d�p�ts mondiaux de logos � Gen�ve : la Chine exporte ses marques. Avec 1 334 marques d�pos�es hors de son march� int�rieur, la Chine compte d�sormais pour 4% du total et augmente son score de 31,4% par rapport � 2004. Si le pays reste encore loin du n�1 mondial, l'Allemagne (17,3% du total) ou de la France (10,4%), il figure au premier rang des pays en d�veloppement, et surclasse m�me la Cor�e (148 d�p�ts de marques). Les chiffres publi�s par l'Ompi donnent un bon indicateur du commerce international � l'aune des logos. Cette irruption sur la plan�te logo traduit bien l'ambition du pays d�cid� � ne plus �tre seulement �l'atelier de montage du monde�. Le rachat, depuis 2004, de la division PC d'IBM par Lenovo (qui distribue �galement depuis peu du mat�riel informatique sous sa propre marque) ou encore celui de la division t�l�viseurs de Thomson par le g�ant de l'�lectronique TCL soulignent bien la strat�gie d'internationalisation des firmes chinoises, qui affichent leur volont� de promouvoir leur propre technologie sous leur propre banni�re. �Sur un march� mondial extr�mement concurrentiel, (...) la marque constitue l'un des actifs les plus importants d'une entreprise, si ce n'est le plus important�, a estim� le directeur g�n�ral de l'Ompi, Kamil Idris. S'il nous �tait donn� de styliser la marque nationale la mieux exportable elle reposerait sur l'image du passage � tabac un enseignant sous les yeux m�dus�s de ses �l�ves. On se rassurera � l'id�e qu'elle peut encore trouver preneur dans le monde. A. B . * Le Groupe des 20 comprend les pays suivants : Argentine, Bolivie, Br�sil, Chili, Chine, Colombie, Costa, Equateur, Egypte, Salvador, Guatemala, Inde, Mexique, Pakistan, Paraguay, P�rou, Philippines, Afrique du Sud, Tha�lande et Venezuela.