La hausse des prix du p�trole et des mati�res premi�res a pour premi�re et heureuse incidence de soustraire nombre de pays dans le besoin de liquidit�s des fourches caudines du Fonds mon�taire internationale, pour reprendre une expression consacr�e. Tous se pr�cipitent aujourd�hui � le rembourser pour se lib�rer des rigueurs, notamment sociales et id�ologiques, de ses conditionnalit�s. Et tous contestent sa �l�gitimit� et ses m�canismes d�assistance. Le prix Nobel de l��conomie pour l�ann�e 2001, l�Am�ricain Joseph Stiglitz, que nous avons plus d�une fois �voqu� dans cette chronique, vient de publier une derni�re contribution dans le Taipei Times du 19 mai 2006, sous le titre �Que va donc faire le FMI � propos des Etats- Unis ?� L�auteur commente la d�cision prise au printemps dernier accordant un nouveau mandat de �surveillance� des d�s�quilibres commerciaux qui contribuent de mani�re significative � l�instabilit� globale. �La nouvelle mission est d�une importance cruciale, tant pour la sant� de l��conomie mondiale que pour la l�gitimit� du FMI. Mais le Fonds est-il � la hauteur de la t�che?�, s�interroge fort pertinemment Stiglitz. L�honorable institution issue des accords de Bretton-Woods doit donc faire face � cette premi�re �vidence porteuse de gros enjeux tant sur la stabilit� et les march�s financiers internationaux que sur la confiance que les autres pays peuvent avoir en des Etats-Unis de plus en plus endett�s et vivant ouvertement aux d�pens des autres : �Il y a quelque chose d��trange dans un syst�me financier o� le pays le plus riche au monde, les Etats-Unis, emprunte plus de 2 milliards de dollars par jour � des pays plus pauvres � m�me s�il lui fait la le�on sur les principes de la bonne gouvernance et sur la responsabilit� fiscale.� �Si l�on consid�re les d�s�quilibres commerciaux multilat�raux, les Etats-Unis surpassent tout le monde. L�an dernier, le d�ficit commercial am�ricain �tait de 805 milliards de dollars, tandis que la somme des exc�dents de l�Europe, du Japon et de la Chine n��tait que de 325 milliards de dollars. Si l�on veut se concentrer sur les d�s�quilibres commerciaux, il faut donc cibler le d�s�quilibre global majeur : celui des �tats-Unis.� Pour le Nobel, �si l�analyse des d�s�quilibres globaux par le FMI n�est pas pond�r�e, si elle n�identifie pas les Etats-Unis comme le principal coupable, et si elle ne focalise pas sur la n�cessit� pour eux de r�duire leur d�ficit fiscal � par des imp�ts plus �lev�s ou par des d�penses militaires moins �lev�es � la pertinence du Fonds au XXIe si�cle va in�vitablement d�cliner�. �Pour r�sumer, les Etats-Unis sont responsables � la fois des d�s�quilibres commerciaux et des politiques qui pourraient rapidement �tre adopt�es pour les traiter. La r�ponse que donnera le FMI � sa nouvelle mission d�estimation des d�s�quilibres globaux sera donc un test pour sa l�gitimit� politique bien meurtrie. Lors de sa r�union de printemps, le Fonds n�a pas r�ussi � s�engager dans le choix d�un chef sur la base du m�rite, ind�pendamment de la nationalit�, et il n�a pas fait en sorte que les droits de vote soient attribu�s sur une base l�gitime plus limit�e. Beaucoup de pays �mergents, par exemple, sont toujours sous-repr�sent�s. � Or, que peut faire un chien face � son ma�tre ? R�cemment, le Tr�sor am�ricain s'�tait montr� particuli�rement agac� des commentaires de l'�conomiste en chef du Fonds mon�taire international, Raghuram Rajan, sur l'absence de couverture sociale pour plus de 40 millions d'Am�ricains. "Cela fait longtemps que le FMI nous examine de pr�s. Il ne m�che pas ses mots et ne perd jamais de temps pour faire des commentaires sur les Etats-Unis. Il semble, d'apr�s ce que j'ai lu, qu'il s'est de nouveau int�ress� � des sujets qui ne sont pas vraiment de son ressort", avait d�clar� Timothy Adams, le secr�taire adjoint au Tr�sor am�ricain charg� des affaires internationales. L'�conomiste du FMI avait qualifi� les objectifs de r�duction du d�ficit budg�taire de l'administration r�publicaine de "trop optimistes et pas assez ambitieux" malgr� l'absence de couverture m�dicale pour une partie de la population, dont 8 millions d'enfants. Comme une exception qui confirme la r�gle, la critique ne fait qu�occulter la mainmise indiscutable de Washington sur le FMI. Deux grandes questions vont donc d�cider de l�avenir du FMI : les nouvelles missions, plus nobles, qu�il devra s�octroyer � la faveur d�une croissance �conomique qui a rendu moins d�pendants les �pays interm�diaires � ou �mergents, d�une part, et le r�examen de ses m�canismes de d�cision. La r�forme des m�canismes de d�cision du Fonds mon�taire international (FMI) �tait justement � l�ordre du jour de l'assembl�e annuelle de Singapour le 17 septembre dernier. Rodrigo de Rato, le directeur g�n�ral du Fonds, qui a pris les r�nes de l'institution multilat�rale en 2004, en a re�u mandat de son comit� mon�taire et financier, r�uni samedi 22 avril � Washington. La premi�re r�forme devrait permettre d'accorder une place plus convenable au sein du FMI � quatre pays : la Chine, la Cor�e du Sud, le Mexique et la Turquie. Il s�agit d�une redistribution des cartes que la mondialisation a rendue incontournable. Pour preuve, dans la r�partition actuelle des voix et des responsabilit�s entre les 184 Etats membres, l'Inde y p�se moins que les Pays-Bas. En termes de droits de vote, actuellement, la Chine dispose de 3 %, autant que les Pays-Bas, devant l'Inde qui plafonne � 2 %. Pour rappel, des membres fondateurs, comme les Etats-Unis (17,6 % des quotes-parts) ou la France (5,1 %), n'entendent pas c�der de leur pouvoir. L'Allemagne, l'Inde ou le Br�sil r�clament, eux, une am�lioration de leur position. Concr�tement, les droits de vote reconnus � chaque Etat membre se traduisent par des si�ges au conseil d'administration du FMI, l'organe charg� de la gestion quotidienne de l'institution. Ce conseil est aujourd'hui constitu� de 24 si�ges ou circonscriptions. Les Etats-Unis y occupent un si�ge � eux seuls, comme le Japon, l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, la Chine, l'Arabie saoudite et la Russie. Restent donc 16 fauteuils pour repr�senter... 176 pays. Deux seulement vont � l'Afrique noire alors que les 25 pays de l'Union europ�enne (UE) sont pr�sents dans 10 circonscriptions. L�anachronisme des droits de vote est, pourrait-on dire, cong�nital. Chaque Etat membre de ce qui, initialement, devait s�apparenter � une coop�rative dispose de 250 droits de vote de base auxquels s'ajoutent des droits suppl�mentaires �valu�s en fonction du pourcentage que d�tient chaque pays dans le capital du FMI. C'est la quote-part. Elle est calcul�e en fonction de multiples param�tres th�oriques comprenant le produit int�rieur brut (PIB), le montant des r�serves de changes, l'importance des �changes commerciaux, le degr� d'ouverture de l'�conomie, la volatilit� des flux de capitaux... Dans les faits sa valeur r�elle ne concorde pas avec les param�tres th�oriques atteints par nombre d�Etats membres comme l�Allemagne, le Br�sil, l�Inde, la Cor�e du Sud, la Chine, le Mexique ou la Turquie. D�ailleurs, ce n�est pas au FMI que le client est roi. Bien au contraire. Comme le faisait remarquer Abdoulaye Diop, ministre s�n�galais des Finances : "C'est nous qui utilisons le plus le FMI" et � 45 pays "nous ne pesons que 5 % des voix". Actuellement, 45 pays de l'Afrique sub-saharienne b�n�ficient d�un programme de cr�dit avec le FMI. Les pays africains ont, par ailleurs, profit� du d�bat sur les r�formes pour r�clamer une plus grande repr�sentation dans les instances dirigeantes du Fonds dont ils restent absents n'ayant aucun poste de directeur g�n�ral adjoint. La t�che du directeur g�n�ral sera d'autant moins ais�e que, paradoxalement, la bonne sant� de l'�conomie ass�che les recettes du FMI et d�value sa fonction officielle de "gendarme" des �quilibres financiers de ses membres que lui conf�re l�article IV de ses statuts imposant, tr�s diplomatiquement, un devoir de surveillance qui, dans les faits, se transforme en feuille de route id�ologique n�o-lib�rale unilat�ralement �dict�e par des experts issus du m�me moule. Le hasard fait bien les choses. Une sorte de retour � l��conomie r�elle a dop� les rythmes acc�l�r�s de croissance des pays �mergents qui ont commenc� � rembourser par anticipation les dettes contract�es aupr�s du FMI afin d��chapper � ses conditionnalit�s. C�est le cas du Br�sil qui a anticip� la liquidation de sa dette (15,5 milliards de dollars, soit 12,5 milliards d'euros), suivi par l'Argentine (9,6 milliards). Notre pays entre bien dans cette cat�gorie. Comme le budget de fonctionnement du FMI est assis sur les recettes de ces pr�ts, cette diminution se traduira par un manque � gagner pr�visible de 600 millions de dollars dans les trois prochaines ann�es, ce qui � � terme � augure d'un budget d�ficitaire. M. de Rato doit donc pr�senter des �conomies budg�taires et trouver des recettes plus s�res. Il se propose de puiser dans les r�serves de 9 milliards de dollars du Fonds et de les r�investir pour en tirer des revenus. Le plan Rato d'adaptation des structures et du mode de fonctionnement, discut� � Washington lors des r�unions de printemps du Fonds et de la Banque mondiale �pouse la mondialisation, l'interp�n�tration croissante des �conomies, l'�mergence de nouveaux g�ants �conomiques n�cessitent plus que jamais une autre gouvernance du FMI. Il porte sur la mise � jour des missions de surveillance du Fonds �voqu�e plus haut. La crise de l�gitimit� du FMI tient � sa gestion, pour le moins contest�e dans les pays asiatiques, de la crise financi�re qui les a frapp�s en 1997. La potion qu'il leur a alors administr�e a traumatis� les populations et, sans doute aussi, les gouvernements. Ne voulant pas revivre un tel cauchemar, les pays d'Asie ont cherch� � s'�manciper. D'abord en constituant d'�normes r�serves de changes, v�ritable matelas de s�curit� en cas de nouvelle crise. Leurs banques centrales respectives ont aussi conclu, entre elles, des accords de coop�ration. Il fut m�me question, temporairement, de cr�er un FMI purement asiatique. M. Rodrigo Rato a aussi raison de soutenir que �le temps est loin o� les ministres des Finances du G7 pouvaient s'asseoir dans une chambre d'h�tel et prendre des d�cisions sur les taux de change�. Il ne lui suffit pas de leur substituer l�institution qu�il dirige avec tant de brio et de lucidit�. Il lui reste � lui restaurer une virginit� perdue.