Le FMI est en crise. Son tableau clinique ressemble parfois à celui des pays déstructurés qu'il soignait à la médication de cheval. Il est obligé de se réformer pour retrouver quelque crédit dans le monde. Ici, une évocation des limites d'un vrai changement au FMI. Si le Fonds monétaire international était en 2006 une société par actions cotée en bourse, elle serait opérable. » Cette boutade d'un financier international rend bien compte du retournement de situation en dix ans au détriment de cette institution multilatérale de l'après-guerre réunie la semaine dernière à Singapour pour son assemblée annuelle. C'est — pour faire dans le symbole — sur la terre asiatique, théâtre de son plus retentissant revers, qu'est revenu le FMI pour esquisser sa réforme, neuf ans après la crise de 1997 qui a dévasté les économies de la région, crise qu'il n'a pas vu venir et qu'il a probablement aggravée par « ses médications sur mesure ». Quel est le tableau ? Le FMI a beaucoup perdu de son autorité depuis cette date. Sa politique de « gendarme » des équilibres financiers mondiaux, en fait de garant des remboursements des prêts du système bancaire occidental aux pays émergents et pauvres, a provoqué un brutal retour de manivelle à la fin des années 1990. D'éminents économistes, dont certains peu réputés de méfiance à l'égard du libéralisme économique comme Paul Krugman ou Jeffrey Sachs, ont tiré un solde négatif des programmes d'ajustement structurel : « Plus de mal que de bien. » Molesté par la montée altermondialiste, contesté dans son propre camp, le FMI a perdu de son crédit avant de perdre de ses moyens d'intervention. En effet, l'amélioration de la conjoncture économique mondiale depuis quatre ans a provoqué une vague de remboursements par anticipation de pays émergents comme le Brésil ou l'Argentine, endettés auprès du FMI. Conséquence, les revenus des intérêts attendus ont été amputés de 472 millions d'euros en trois ans. En 2006, le niveau des prêts engagés par le FMI était de 28 milliards d'euros. Un nouveau partage des droits de vote, mais encore ? Le plus bas depuis 30 ans. L'organisation, dirigée par l'Espagnol Rodrigo Rato, a même songé à vendre une partie de ses 3200 t d'or. Un peu comme l'Algérie en 1992 lorsqu'elle voulait encore échapper aux conditionnalités du fonds. Le FMI sur la paille ! Voilà une revanche du sort qui peut réconforter dans les chaumières à Buenos Aires ou à Alger. Certes 75 pays de par le monde sont encore débiteurs du FMI, mais la liste de ses gros emprunteurs s'est restreinte à grande allure et seule la Turquie demeure « un client significatif » du FMI. « Se libérer de la tutelle du FMI » a été un mot d'ordre unanimement suivi par tous les Etats qui grâce à la hausse des prix des matières premières qu'ils produisent ou au décollage de leurs exportations pouvaient se le permettre. Le FMI mal au point et bon pour une OPA ? Certes, mais qui voudrait s'offrir le FMI s'il est devenu si peu crédible et si peu sollicité ? La réforme du FMI qui a été approuvée à Singapour vise d'abord à réduire le fossé qui le sépare de la « réalité économique du monde » et qui fait qu'il apparaît comme un instrument entre les mains des pays occidentaux, les Etats-Unis en tête. La répartition des droits de vote n'a pas été modifiée depuis la création du FMI… en 1945. Ainsi la Belgique y compte plus de droits que l'Inde et la Hollande presque autant que la Chine dont le PIB a augmenté de 80% sur les six dernières années seulement. Le principe d'une nouvelle répartition des droits de vote proportionnelle au poids économique des 184 Etats membres est donc retenu. Sa mise en œuvre devrait bénéficier aux pays émergents, mais selon des modalités et un calendrier qui restent à négocier. La Chine, le Mexique, la Turquie et la Corée du Sud devraient être les premiers bénéficiaires des corrections des sous-représentativités dans le partage du pouvoir à Washington. Au détriment de qui ? Les pays ne se bousculent pas qui prennent exemple sur l'Allemagne, acceptant une réduction symbolique de ses droits de vote. Ce sont les pays les plus pauvres qui verraient leurs droits au chapitre, déjà insignifiants, s'effacer. Or la nouvelle conjoncture mondiale oriente objectivement le FMI vers « l'assistance au développement » dans ce qu'il a de plus proche de la lutte contre la pauvreté dans les pays abandonnés de la mondialisation. Cette spécialisation soutenue par de nombreux points de vue — en attendant que d'inévitables nouvelles crises financières dans des pays plus nantis relance le FMI dans le rôle qu'il affectionne de pompier de la finance mondiale — pose le problème essentiel des conditionnalités des prêts du FMI à ses Etats membres. Les débats de l'assemblée générale de Singapour n'ont fait que peu d'écho à cet autre volet de la réforme réclamée par de très nombreuses ONG dans le monde. Le « rachat moral » du FMI passe par là. « Un changement dans le partage du pouvoir de décision dans le FMI mettra beaucoup de temps pour produire des effets sur les choix de politique économique par simple réduction de l'influence libre-échangiste occidentale. Ce qu'il faut, c'est une réorientation tout de suite », estime un animateur espagnol de la mobilisation altermondialiste pour la réforme du FMI. 67 conditionnalités pour un prêt pour pays pauvre ! Cette réorientation du rôle du FMI — qui cesserait d'être le bélier qui ouvre une voie royale aux capitaux et aux marchandises des plus riches — est loin d'être acquise. Le réseau européen d'ONG sur la dette et le développement, Eurodad, basé à Bruxelles, a montré combien le nombre de conditionnalités exigées en contrepartie des financements des institutions de Bretton Woods dans 20 pays du Sud, est excessivement élevé et en constante augmentation. En moyenne, pour un programme de la Banque mondiale, ces pays doivent satisfaire à 67 conditions. Le noyau dur de ces conditionnalités est toujours idéologiquement orienté vers un surplus de marché même lorsque les conditions locales ne s'y prêtent pas du tout, comme l'a magistralement démontré Joseph Stigliz, prix Nobel d'économie et ancien économiste en chef de la Banque mondiale. Dans un pays tel que le Bangladesh, par exemple, où la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, un tiers des conditions attachées à son second crédit d'appui au développement de 2005 concernait des privatisations (telles que les télécommunications, l'électricité, les banques...). Si les pays émergents réclament plus de pouvoir dans le FMI comme condition de son redéploiement, les ONG altermondialistes exigent en plus l'enterrement définitif de sa dérive ultralibérale des années 1990. L'une des réformes du FMI, pour Eurodad serait qu'il arrête « immédiatement d'imposer des conditionnalités en matière de privatisation et de libéralisation commerciale, quand bien même celles-ci figureraient dans les propres stratégies de réduction de la pauvreté du pays ». Le Français Michel Camdessus qui a dirigé le FMI lors de sa « glorieuse » période interventionniste dans les affaires domestiques des pays en « banqueroute » ne voit pas que du mal dans les conditionnalités draconiennes de marché qui ont accompagné les plans d'ajustement structurel. « Les remboursements anticipés au FMI sont le signe du succès. Si le pays que vous cherchez à redresser parvient à honorer ses prêts avant l'heure, c'est que vous avez fait votre travail mieux que bien », a-t-il déclaré au magazine « l'Expansion ». Et pourtant Michel Camdessus fait partie des repentis moraux des années arrogantes du FMI.