L'immeuble Yacoubian, le film qui met en �moi les futurs �picuriens du paradis, ne sera finalement pas interdit. Le Parlement �gyptien, une fois n'est pas coutume, n'a pas suivi les 112 p�titionnaires men�s par Mustapha Bacri, d�put� et journaliste aux heures creuses. Le film relate la vie quotidienne d'un immeuble du centre du Caire au milieu du si�cle dernier. Mustapha Bacri, appuy� par les Fr�res musulmans (1) relais naturel du mouvement nass�rien, avait demand� la constitution d'une commission d'enqu�te parlementaire. Il s'agissait, selon lui, de d�cider d'interdire le film, projet� actuellement dans les salles, apr�s avoir constat� ses atteintes � la morale islamique. Le principal reproche fait au film du jeune r�alisateur Marwan Hamed est de nuire � l'image de l'Egypte en s'attardant sur un personnage aux m�urs h�t�rodoxes. L'homosexualit� �tant, de notori�t� publique, un ph�nom�ne compl�tement �tranger aux soci�t�s musulmanes. Or, la commission, aussi d�vote que Mustapha Bacri et ses "Fr�res", en a d�cid� autrement. L'Immeuble Yacoubian poursuivra sa carri�re dans les salles. Il s'attaque � des probl�mes r�els. Les personnages qu'il d�crit sont repr�sentatifs de la soci�t� �gyptienne, a estim� la commission. La production du film avait fait valoir un argument similaire ajoutant que l'�uvre ne d�fendait pas l'homosexualit� puisque le personnage "homo" �tait tu� � la fin du film par un voleur qu'il avait lui-m�me introduit chez lui. La morale est donc sauve. Reste � dire que le r�alisateur du film, Marwan Hamed, a eu beaucoup de mal � trouver un acteur pour interpr�ter le r�le du gay Hatem. Tous les acteurs c�l�bres approch�s se sont r�cus�s, ce qui est la moindre des pr�cautions dans nos soci�t�s. La presse �gyptienne rapporte m�me que des dames autruches, choqu�es, sont sorties pendant la projection du film pour exprimer leur d�sapprobation. Quant � Ala Al-Assouani, l'auteur du roman dont le film est tir�, il est revenu longuement, la semaine derni�re dans le magazine Elaph, sur l'�uvre cin�matographique et litt�raire. Il �voque notamment les reproches qui lui ont �t� faits concernant la critique de la r�volution nass�rienne, pr�sente dans le film. "Je suis plus proche de la pens�e nass�rienne que d'aucune autre pens�e, dit-il. Cependant, Nasser a commis une seule erreur dont nous payons encore aujourd'hui le prix. Il �tait le seul leader � pouvoir conduire le monde arabe vers la d�mocratie mais il ne l'a pas fait et c'est �a son erreur. Hormis cela, c'est un r�ve, Nasser �tait un r�ve. Il est plus grand qu'un leader." Evoquant les changements intervenus dans la soci�t� �gyptienne, l'�crivain estime que "le grand probl�me, c'est la perception qu'avait l'Egypte de l'Islam et celle qu'elle en a aujourd'hui. L'influence du wahhabisme en Egypte est une catastrophe pire que celle de la d�faite de1967, dit-il. La religion, c'est la religion et la diff�rence tient entre sa lecture positive ou n�gative. Nous, en Egypte, nous avons troqu� la lecture ouverte de l'Islam contre une lecture ferm�e. "Lorsque Sadate a acc�d� au pouvoir en Egypte, les id�es de gauche �taient puissantes. Il a estim� que la pens�e wahhabite �tait le moteur id�al pour le pouvoir. C'est ainsi que pendant vint-cinq ans et plus, nous avons vu � la t�l�vision des "cheikhs" �noncer des id�e bizarres et sans aucun contenu objectif." On reparle de wahhabisme avec la Somalie o� des d�bats th�ologiques intenses agitent les "tribunaux islamiques" au pouvoir � Mogadiscio. Apr�s avoir interdit les matchs de football pendant le Mondial et prohib� les f�tes, les nouveaux ma�tres de la capitale pensent � infliger la peine de mort aux personnes qui ne font pas la pri�re. Les Somaliens vont plus loin que leurs ma�tres saoudiens: au lieu d'emmener les gens � la mosqu�e � coups de nerfs de b�uf, il faut les menacer de les tuer. Comme ils sont f�rus de technologie, ils installeront sans doute des pointeuses aux entr�es (et sorties) des mosqu�es. Ainsi, tout le monde participera � la grande messe de diabolisation des juifs et des chr�tiens qui s'organisent en riposte � la destruction du Liban par Isra�l (2). Wahhabisme encore et toujours, une nouvelle fetwa divise ces jours-ci la nomenklatura bien pensante de Ryadh : le droit l�gitime d'utiliser la magie et les djinns pour lutter contre l'ensorcellement. La trouvaille est de Cheikh El-Obeikane, membre �minent de l'autorit� religieuse officielle. Dans un article publi� la semaine derni�re par le tr�s officiel Al-Charq al-Awsat, Al-Ob�ikane d�fend le droit d'avoir recours � la magie pour d�faire un acte de m�me nature. Il s'appuie, comme tous ses confr�res, sur un Hadith authentique (toutes les causes en ont) pour justifier son propos. Commentant cette querelle de clercs, le chroniqueur du site "Middle East Transparency" ironise sur cette �ni�me fetwa, il souligne que de telles sornettes pr�teraient � rire si elles venaient d'un petit pays africain comme la Somalie. "Cependant, que cela vienne de la classe des th�ologiens d'Arabie saoudite (avec ses juges, ses tribunaux, sa police islamique, ses cheikhs sp�cialis�s et ses d�l�gations �trang�res charg�es de r�pandre la lumi�re du wahhabisme) � laquelle appartient El-Obeikane (cet ancien terroriste), voil� qui n'est pas ordinaire. Cette classe co�te au pays entre 10 et 20 milliards de dollars par an. C'est-�-dire que les frais d'entretien de la "classe religieuse wahhabite" sur une p�riode de dix ans suffiraient � rembourser la moiti� de la dette globale saoudienne. Pourquoi l'Etat saoudien ne cr�e-t-il pas un "minist�re de la magie, de la sorcellerie et de l'explication de r�ves" et ne d�signe-t-il pas El- Obeikane comme superministre ? "Une nouvelle fois, un th�ologien saoudien confirme que l'historien Bernard Lewis (3) avait raison de dire que la place du wahhabisme dans l'Islam est semblable � celle qu'occupe le Ku Klux Klan dans la chr�tient�", conclut notre confr�re. Pour votre �dification, le num�ro du suppl�ment bihebdomadaire d' Al- Khabar, "Hawadeth", dat� du 3 au 16 juillet, consacre sa "une" au monde des djinns. La journaliste qui traite du sujet commence par nous mettre en garde contre la tentation de nier l'existence des djinns en citant un verset du Coran. Ainsi t�tanis�s, nous ne pouvons que donner du cr�dit aux histoires de A�cha, Louiza et Mourad. A�cha �l�ve un enfant n� des �uvres d'un djinn. Louiza n'a pas encore atteint ce stade mais �a ne saurait tarder. Un djinn l'a enlev�e et l'a �pous�e au su de toute la ville de Boudouaou, selon notre cons�ur. Quant � Mourad, son cas est bien plus grave: sa femme le trompe avec un djinn et dans son propre lit. Alors, m�fiez-vous jeunes gens, les djinns sont parmi vous. Un conseil int�ress�: lorsque vous abordez une jolie femme, commencez par r�citer des incantations. Si la cible s'enfuit � toutes jambes, c'est qu'elle est soit une la�que inv�t�r�e, soit un djinn femelle. Dans les deux cas, vous aurez perdu l'occasion de votre vie. A. H. (1) Une pr�cision ici : les d�put�s Fr�res musulmans, parti non autoris�, n'ont pas sign� la p�tition contre le film mais le mouvement a soutenu indirectement la campagne de Mustapha Bacri sur son site Internet. 2) Au passage, j'ai appr�ci� cette d�claration d'un dirigeant palestinien qui a qualifi� la conf�rence minist�rielle du Caire de "piq�re anesth�siante". Ce qui veut dire que s'il y a un sommet, ce sera pour l'ablation d'organes essentiels. 3) L'historien anglais �tabli aux Etats-Unis est la r�f�rence du gouvernement am�ricain en mati�re d'Islam. Bernard Lewis a, notamment, invent� la formule du "choc des civilisations" par laquelle les extr�mistes des deux camps maintiennent l'ordre �tabli.