La grossi�ret� prononc�e par George Bush (la m. de Hezbollah) dans son apart� avec le Premier ministre britannique Tony Blair lors du dernier sommet du G 8 tenu � Saint P�tersbourg est probablement plus lourde de signification qu'elle n'y para�t � premi�re vue. Elle indique entre quelles mains irresponsables se trouve notre monde � un moment o� l'on croyait l'intelligence d�finitivement install�e au pouvoir. Quoique �clips� du premier rang de l'actualit� internationale par les boucheries isra�liennes au Liban, l'Irak est certainement le pays qui subit le plus directement ses exc�s et il ne doit en attendre aucun bien. Le sort qu'il lui r�serve invite tous les d�cideurs arabes � plus d'engagement et d'initiative dans la d�fense des destin�es de leurs peuples. C'est du moins ce qu'inspirent fortement les derni�res r�v�lations de l'ambassadeur britannique en Irak depuis juin 2005, William Patey. Dans un t�l�gramme confidentiel au Foreign Office avant son d�part de Baghdad et rendu public par la BBC la fin de la semaine �coul�e, il pronostique : �Une guerre civile de faible intensit�, et une division de fait de l'Irak, est plus probable � ce stade qu'une transition r�ussie et substantielle vers une d�mocratie stable.� �On peut mettre en doute l'espoir du pr�sident Bush de voir �tablir en Irak un gouvernement capable de fonctionner et de se d�fendre�, poursuit M. Patey. Pour l'heure, et pour les �cinq � dix prochaines ann�es�, ce pays ne peut esp�rer, aux yeux du diplomate britannique, qu'une situation �difficile et en d�sordre�. M. Patey ne voit d'autre alternative que la division du pays en plusieurs entit�s avec, au nord, un territoire contr�l� par les Kurdes, au sud et au centre, dans les r�gions riches en r�serves p�troli�res, une domination chiite, et dans un triangle entourant Baghdad un fief sunnite. Son appr�ciation critique de l'avenir de l'Irak semble avoir �t� synchronis�e avec le chef du Commandement central am�ricain (Centcom) qui supervise les op�rations am�ricaines en Irak, le g�n�ral John Abizaid, et qui a, lui aussi, mis en garde, jeudi, devant la commission des arm�es du S�nat, contre un risque de guerre civile en Irak �si la violence interconfessionnelle � ne s'arr�tait pas. Le g�n�ral Peter Pace, qui commande l'�tat-major combin�, s'adressant �galement au S�nat, a tenu des propos d'une m�me tonalit� : "La situation peut se transformer en guerre civile". L'ancien ambassadeur am�ricain Peter Galbraith, qui conseille aujourd'hui le pr�sident du Kurdistan autonome Massoud Barzani, n'exclut pas lui aussi un �clatement de l'Irak. L'Am�rique semble plus pr�occup�e � assurer la s�curit� de ses puits de p�trole en Irak que celle des populations civiles et les forces suppl�tives h�tivement constitu�es, m�me fortes de quelque 275 000 hommes, ne couvrent qu'une seule des 18 provinces du pays, celle de Mouthanna, dans le sud. Sur le terrain, les Etats- Unis et l'Iran se partagent le pouvoir r�el, tandis que le gouvernement, issu d'inextricables marchandages ethniques dignes du Moyen-Age, semble inapte � assurer sa propre s�curit�. Le New York Times publiait le 25 novembre 2003 un �ditorial titr� "The Three-State Solution," et sign� Leslie H. Gelb, �minence grise du c�l�bre Council of Foreign Affairs (il en est encore le pr�sident �m�rite), un groupe de r�flexion regroupant la CIA, le d�partement d'Etat Affaires �trang�res et la cr�me des multinationales am�ricaines. Gelb envisage � son tour de remplacer l'Irak, �Etat artificiel�, par trois petits Etats : �kurde au nord, sunnite au centre et chiite au sud�, suivant un plan consistant � �placer le maximum d'argent et de troupes chez les Kurdes et les chiites. Les USA pourraient retirer la plupart de leurs forces du triangle sunnite au nord et � l'ouest de Baghdad. Les trouble-f�tes sunnites, priv�s du p�trole et de revenus, devraient restreindre leurs ambitions ou en subir les cons�quences �. Il conclut : �Pendant des d�cennies, les Etats- Unis ont d�fendu un Etat irakien unifi�, pourtant artificiel. Washington devrait �tre tr�s r�aliste, et impitoyable, pour orchestrer cette dissolution. Mais un tel cours est maniable, m�me n�cessaire, parce qu'il nous permettrait de r�tablir l'Irak futur dans son pass� reni� mais naturel.� Pour y parvenir, la fin justifie les moyens. M. Gelb ne pr�conise pas forc�ment la puissance militaire seule. Vendredi 28 juillet dernier, il �crivait dans le Wall Street Journal : �M. Bush a besoin d'un plan pour reconstituer la puissance am�ricaine au Moyen- Orient. Il peut employer la crise actuelle au Liban et la guerre continue en Irak pour convaincre les Am�ricains que la sagesse et la n�cessit� lui dictent pour l'heure d'�tre en pourparlers avec des adversaires et des ennemis, dans une d�marche exploitant notre puissance et leurs faiblesses.� Diviser l'Irak est aussi un vieux r�ve isra�lien. En 1982, d�j�, Oded Yinon, un responsable des Affaires �trang�res, �crivait : �Dissoudre l'Irak est encore plus important pour nous que la Syrie. A court terme, c'est la puissance irakienne qui constitue la plus grande menace pour Isra�l. Une guerre Iran-Irak d�chirera l'Irak et provoquera sa chute. Toute esp�ce de conflit inter-arabe nous aidera et acc�l�rer l'objectif de briser l'Irak en divers morceaux.� Il faut dire que l'�lite ba�thiste n'a pas fait preuve de suffisamment de lucidit� pour d�jouer ce plan et s'est engag�e dans une aventure agressive, meurtri�re et injuste contre la r�volution islamique en Iran. Une aventure qui a priv� le peuple irakien de sa souverainet�, de son unit� et du contr�le de ses richesses. Une sorte de th�orie des �Etats purs� ou �naturels� s'est progressivement mise en place, avec pour fer de lance cette branche sectaire du nationalisme arabe, le b�ath panarabe, arrogant et raciste, qui pour n'avoir pas saisi toute la complexit� de la d�marche a �t� le premier � �tre instrumentalis� avant d'�tre sacrifi� � son tour. Dans cette th�orie, un pr�c�dent plein d'enseignements inspire les acteurs : la Yougoslavie, coupable d'avoir �t� constitu�e de �groupes ethniquement tr�s disparates �, aux yeux de Gelb. Pour l'Am�rique, la puret� des Etats se mesure naturellement � l'aune de ses seuls int�r�ts strat�giques et de son souci de vaincre les r�sistances l� o� elles peuvent contrarier ces m�mes int�r�ts. Est-ce � dire que Bush a de la suite dans les id�es ou qu'il r�ussisse � tous les coups ce qu'il entreprend ? Bush m�ne une politique internationale sans fil conducteur, sans principes. Il peut faire semblant de combattre le nettoyage ethnique un jour et l'organiser, toute honte bue, le lendemain. Eve-Ann Prentice, journaliste du Guardian et du Times, sp�cialiste des Balkans, pensait servir la manifestation de la v�rit� sur les d�chirements interethniques qui ont suivi la mort de Tito en apportant le t�moignage suivant : "En novembre 94, je me trouvais avec un coll�gue du Spiegel, dans l'antichambre du bureau du pr�sident de Bosnie, Izetbegovic. Nous avons vu Ossama Ben Laden escort� entrer dans le bureau d'Izetbegovic" (le leader bosniaque). Le juge Robinson du tribunal de La Haye pour l'ex- Yougoslavie a imm�diatement coup� son t�moignage, le d�clarant "irrecevable". La folle th�orie des Etats �purs� ou �naturels � d�passe de loin l'Irak ou la Yougoslavie. Nombre d'Etats de la plan�te � les Etats-Unis en premier � sont multinationaux ou multicommunautaires et leurs citoyens vivent cette diversit� comme une source d'enrichissement de par le brassage des cultures. Mais ce qui est bon pour l'Am�rique ne l'est pas pour les autres.