Il ne faut pas donner aux �v�nements du Liban plus de sens qu'ils n'en ont. Ce pays n'�chappe pas fondamentalement au reste du monde arabe en mati�re de d�mocratie, de r�sistance ou de bonne gouvernance. A contrario, l'Etat th�ocratique d'Isra�l n'est pas non plus ce petit David �pris de valeurs humaines que des voisins sataniques guettent dans l'espoir inalt�rable de le d�molir. D'abord, les deux fronts ne sont pas aussi herm�tiques qu'il n'y para�t. Pendant la guerre de 1975-1990, les communaut�s libanaises se sont violemment disput� leurs p�riodes de gloire dans leur qu�te militaire du pouvoir : les chr�tiens en se rapprochant d'Isra�l, les sunnites et les druzes en d�fendant la cause palestinienne. L'influence politique du Hezbollah provient des 1,2 million de musulmans chiites du Liban, la premi�re minorit� du pays. Stimul�e par l'av�nement de la R�publique islamique en Iran dans les ann�es 80, c'est cette communaut�, de concert avec T�h�ran, qui prend aujourd'hui la succession de la guerre contre Tel- Aviv. Les faits sont sacr�s : c'est en 1982, suite � l'invasion isra�lienne du Liban, que les Pasdaran (les Gardes de la R�volution iranienne) cr�ent le Hezbollah � Baalbek. D�s 1985, le mouvement s'�tend au Sud-Liban � travers son bras arm�, la R�sistance islamique. Au terme de la guerre civile libanaise, en 1990, le Hezbollah est le seul mouvement � ne pas �tre d�sarm�, ce qui lui permet d'obtenir sa premi�re grande victoire avec le retrait isra�lien du Sud- Liban en mai 2000. Isra�l a donc � faire avec un pays en crise structurelle li�e aux limites du mod�le confessionnel libanais h�rit� de l'affranchissement balis� du pays du protectorat fran�ais en novembre 1943. Le ver est dans le fruit : ce mod�le expose le Liban � un �ternel retour � la guerre. Dans ce d�cor � la plantation duquel elle n'est �galement pas �trang�re, l'entit� sioniste vient de conc�der militairement � Hezbollah ce qu'il n'a pu obtenir d�mocratiquement sur la sc�ne int�rieure libanaise. Il rena�t h�ro�quement des cendres de la premi�re d�faite tactique du sionisme parmi ses voisins et s'impose comme un acteur de premier plan dans la r�gion et sur la sc�ne internationale. M. Walid Joumblatt, leader du Parti socialiste progressiste et de la communaut� druze, tenait au Financial Times le 2 ao�t courant des propos pleins d'amertume, tout en apportant son soutien � l'acte de r�sistance : �La milice (du Hezbollah) a vol� les espoirs des jeunes Libanais. Difficile m�me pour Djoumblat de sortir la t�te de l'eau pour l'instant. De l'aveu m�me de Hezbollah, la r�sistance est le fait d'une majorit� de combattants (des hommes de gauche, des la�cs et d'autres ob�diences) que l'int�r�t du moment r�unit dans ses rangs. Le site du parti s'est r�cemment fait fort de traduire un article du Guardian allant dans ce sens � partir d'un recensement des martyrs tomb�s au champ d'honneur dans les affrontements avec Tsahal (www.almanar.com.lb). Au demeurant, cela doit inqui�ter Isra�l davantage qu'une police suppl�tive d'un Damas exsangue ou d'un T�h�ran vell�itaire. Que nous r�serve l'avenir imm�diat ? Le parti chiite a r�ussi momentan�ment � imposer un unanimisme guerrier (�aucune voix ne peut s'�lever au-dessus de celle des canons�) sur lequel tout questionnement d�mocratique et toute voix critique demandant des comptes sont interdits et rel�vent d'une trahison s�v�rement punie : 25 Libanais pr�sum�s �espions� ont �t� ex�cut�s � Tyr le mois dernier en dehors de toute proc�dure judiciaire et de toute m�diatisation. Cet �unitarisme� est � double tranchant. Il est progressiste intra-muros, c'est-�-dire dans notre repr�sentation religieuse des choses politiques : son inspirateur, Ahmadinejad, le pr�sident iranien, est l'h�ritier d'un courant positif du clerg� combattant qui �uvre � effacer le conflit sunnite-chiite qu'attisent, au contraire, Pakistanais et Saoudiens. Il est, par ailleurs, r�actionnaire, parce que le renoncement provisoire � �la d�mocratie du nombre� au profit de la �d�mocratie consensuelle� cens� rassurer la communaut� chr�tienne � parce que la communaut� chiite est la plus nombreuse aujourd'hui au Liban � va de pair avec le renoncement � la citoyennet� critique et rationnelle. Ici, toute victoire sur l'ennemi ext�rieur, Isra�l, appara�t aussi une victoire sur un ennemi int�rieur, la d�mocratie. Pour le moment , aucune voix critique ou r�serv�e n'est donc admise. Encore moins celle des pouvoirs arabes, notamment �gyptien et saoudien, mis au pilori par Nasrallah dans l'une de ses derni�res interventions t�l�vis�es. Pourtant, l'enl�vement de deux soldats isra�liens aura, en bout de course, co�t� au Liban pas moins de dix milliards de dollars de destructions, des milliers de morts et de bless�s, un peu plus d'un million de d�port�s, soit le quart de sa petite population, et, plus grave encore, une occupation isra�lienne de pans entiers de son territoire dont il faudra laborieusement n�gocier le retrait. A quelle logique forte ob�issent les �v�nements en cours ? Dans un texte de haute tenue titr� �Entre Dieu et le dollar�, Sami Mikhael*, �crivain et pr�sident de l'Acri (Association des droits du citoyen d'Isra�l), s'inqui�tait r�cemment du recours excessif � la cause divine de part et d'autre en des termes qu'on peut difficilement r�cuser : �La guerre au nom du Dieu violent est une affaire qui marche, semble-t-il, bien mieux que la drogue ou la prostitution. Car quel march� avide de marchandises peut concurrencer celui de la guerre ? Les politiciens et g�n�raux isra�liens retir�s du service sont devenus millionnaires gr�ce au trafic d'armes. Tout comme les familles du crime qui se sont empar�es du commerce de la drogue aux Etats-Unis, un certain nombre de familles ont accapar� l'industrie des tunnels de contrebande d'armes du Sina� � Gaza. La plupart de ces sapeurs n'ont que faire de ce qui les attend au bout du tunnel Dieu, Allah ou J�sus.� Il rappelle : �Lors de la stupide guerre entre l'Iran et l'Irak, qui a fait 1 million de morts, les Etats-Unis ont aid� Saddam Hussein, tandis qu'Isra�l s'est empress� de fournir des canons et des mortiers aux Iraniens, � la grande satisfaction de tous. Le malheur du Moyen-Orient est qu'il se situe sur le plus grand r�servoir p�trolier du monde. Les puissances, assoiff�es de cet or noir si cher, ne veulent pas de r�gimes patriotiques responsables de ces r�serves et d�sireux de les utiliser pour fertiliser le d�sert et le transformer en paradis prosp�re. C'est si commode pour ces puissances que des bandes, drogu�es � la foi aveugle en tel ou tel dieu, s'agitent... C'est si bon pour elles que le sort de cette r�gion soit tranch� si loin, au Conseil de s�curit� de l'ONU ou dans quelque sommet en Europe.� Sami Mikhael a raison de le souligner. La preuve : la r�solution 5511 adopt�e vendredi dernier par le Conseil de s�curit� de l'ONU � l'unanimit� de ses 15 membres appelle � la cessation des combats entre Isra�l et Hezbollah. Peu avant l'adoption du texte, il �tait question de �milice chiite� sur le plan s�mantique et de son d�sarmement au profit de la petite arm�e r�guli�re libanaise. Pourquoi, les Etats-Unis qui, jusque-l�, faisaient figurer le Hezbollah en bonne place sur la liste noire des organisations terroristes (il n'est pas inscrit sur son �quivalent europ�en) n'ont ressenti aucune peine � voter une r�solution dans laquelle il figure comme partie bellig�rante digne de respect, alors m�me que, ant�rieurement, la r�solution 1559 de l'ONU exigeait son d�sarmement ? A. B. * Sami Mikhael, Lib�ration, lundi 7 ao�t 2006.