Amine se montre de plus en plus impatient. � Es-tu enfin pr�te ? demande-t-il un tantinet agac�, � sa femme. � Calme-toi donc ! C�est la dixi�me fois que tu poses la m�me question. Nous ne serons pas en retard je te le promets, dit-elle. Elle ajoute : � Crois-tu que ma pr�sence � tes c�t�s � ce meeting, soit une id�e judicieuse ? � En douterais-tu, Assia ? Je veux que celles et ceux qui me choisiront sachent que leur futur pr�sident a une famille, une �pouse, dont il n�a pas honte, avec laquelle il partage les m�mes convictions et qu�il n�a pas l�intention de cacher comme tous ces vieux �schnocks� qui pr�f�rent montrer leurs ma�tresses ou concubines. Le dernier meeting de la campagne pr�sidentielle est organis� en plein air dans le grand stade de la ville natale de Amine. Celui-ci remarque d�embl�e que toutes les rang�es sont occup�es, aucune chaise n�est vide en sus des gradins o� se tiennent des jeunes. Beaucoup de jeunes portant tee-shirts et casquettes � l�effigie de leur candidat. �Amine pr�sident... Amine pr�sident�, r�p�tent-ils en ch�ur. Ovationn�s, acclam�s, Amine et Assia ont des difficult�s � se frayer un chemin. Deux vigiles les aident � atteindre la tribune. Au premier rang sont assis les �sages� ainsi que les compagnons de lutte du p�re de Amine. A celui-ci, ils ont maintes fois relat� les circonstances de la mort de leur valeureux camarade, chahid. Modestes et discrets, les enfants de Amine et Assia, se fondent dans la foule. Au cinqui�me rang, on peut remarquer ceux qui le soutiennent parce que d�pit�s d�avoir �t� �cart�s des hautes fonctions. Ils esp�rent fermement que �leur� candidat les rep�chera. L�amertume et la d�prime sont leurs grandes convictions. Les missions temporaires qu�ils ont eu � accomplir sont devenues, � leurs yeux, des �droits acquis�. Juste derri�re eux, il y a ceux qu�on pourrait appeler les �guetteurs�. Opportunistes in�gal�s, ceux-l� se disent toujours qu�il sera temps d��tre du c�t� du plus fort et faire amende honorable aupr�s du victorieux. Leur devise est d��tre avec l��quipe et le clan du moment. Le savoir-faire essentiel est d��tre des courtisans hors pair. Leur perfectionnisme les am�ne m�me � ne plus changer de veste mais de peau. Les guetteurs attendent... attendent leur heure. Si Amine ne venait qu�� l�emporter, il se souviendra de leur �soutien�. Si c�est son adversaire qui est �lu, ils seront ses serviteurs mall�ables et corv�ables et lui expliqueront qu�ils ont �t� induits en erreur et solliciteront de celui qu�ils appelleront �grand seigneur�, ou �p�re g�n�reux�, son pardon. Ils lui embrasseront les mains, les pieds, verseront quelques larmes et tout rentrera dans l�ordre. Ils seront amnisti�s et blanchis. Lorsque Amine prend la parole, la foule se tait. Il pr�sente pour la derni�re fois son programme, ses id�es, ses projets. Il insiste particuli�rement sur les droits et les libert�s, le statut de la femme, la modernisation de la soci�t�, le changement des mentalit�s... et tant d�autres th�mes. Tout � fait au fond, se tiennent debout quatre hommes d�un �ge certain. Ce ne sont pas des fans de Amine. On peut m�me se demander quelles bonnes raisons les ont amen�s � se trouver l� alors qu�ils ont annonc� publiquement leur soutien � l�autre candidat. Curiosit� ? Qui sait ? Ce sont quatre d�fenseurs de la pens�e unique, du canard unique et du parti unique. Le plus �g� dit aux trois autres : � Pauvre na�f ! Il s�imagine qu�avec ses dipl�mes universitaires, son jeune �ge, ses id�es modernes, sa d�mocratie, il va l�emporter. Le n�tre n�a pas besoin des parchemins de son adversaire pour �tre d�ores et d�j� �lu. Il a le pouvoir, la fratrie, l�argent et la machine �lectorale. � Attention ! rench�rit un autre, dont le costume marron � rayures vertes rappelle les stigmates du bon militant des ann�es �uniques�, ici n�oubliez pas qu�il est chez lui. � Allons donc ! Qui organise les �lections ? Qui d�pouille les bulletins de vote ? C�est pr�cis�ment dans sa ville natale, qu�il faudra montrer qu�il n�a eu aucun soutien et peu de voix. Il ne faudra pas seulement l��carter, il faudra l�humilier. Auriez-vous d�j� oubli� les instructions de notre candidat ? Le seul qui devra montrer qu�il a un ancrage s�rieux sera le n�tre. Amine n�a-t-il pas compris que nous ne l�cherons pas la barre ? C�est entre nous que cela se passe. C�est entre nous que cela demeurera. Affaire de g�n�ration messieurs ! Tout atome �tranger sera combattu et chass� de notre monde g�n�rationnel. Tout extra-terrestre sera �radiqu�. Alors que Amine est sur le point de conclure, la foule est de plus en plus transport�e par l�ambiance g�n�rale. �Amine pr�sident... Amine pr�sident�, peut-on entendre. Combien sont-ils � le vouloir, � le souhaiter ? Beaucoup, certainement, mais pourront-ils s�opposer au pouvoir de l�administration, � celui de l�argent ? C�est la question que pose Assia � son �poux lorsqu�ils se retrouvent seuls. Lui aussi est conscient que la fraude sera au rendez-vous mais qu�y peut-il ? � Si je ne venais qu�� perdre, ce ne sera certainement pas parce que je n�ai pas su convaincre, mais � cause du tripatouillage des urnes. Et l�, j�avoue n��tre s�r de rien. � Qui peut savoir comment ceux et celles qui voteront se comporteront dans l�isoloir ? � Que veux-tu dire ? � Comment �tre s�rs d�eux lorsqu�on conna�t leur versatilit� et les �tranges bonds qu�ils font ? �La libert� � la bouche et le servage au c�ur ils croient le matin � une v�rit� et sont persuad�s le soir d�une v�rit� contraire� ( Chateaubriand ) . Sinc�rement, Amine, que signifient les mots - voter - Urnes - campagne �lectorale, lorsqu�on n�est pas citoyen � part enti�re ? Que signifient-ils lorsque les engouements de ce dernier ne sont que de simples humeurs ? Une col�re passag�re tel un orage d��t�. � Nous verrons bien, dit-il. Elle ne veut pas lui dire �c�est d�j� vu� puisqu�� la facult� de lettres o� elle enseigne depuis de longues ann�es, ses coll�gues, hormis deux d�entre eux, ont dit voter pour l�autre candidat. �C�est le meilleur�, �c�est celui qu�il nous faut�, disent-ils. � C�est un homme du pass�, leur a-t-elle r�pondu. � On n�en a cure. Tous ces jeunes qui nous parlent de d�mocratie, de droits et tutti quanti... nous ne les connaissons pas. C�est l�aventure avec eux. � Voulez-vous ou ne voulez-vous pas le changement ? demanda-t-elle un jour. C�est le plus �g� de ses coll�gues qui lui avait r�pondu : � Le changement oui, mais avec des hommes de ma g�n�ration. Ils n�ont pas de dipl�mes, mais ils ne nous parlent pas de choses dont nous n�avons pas besoin. � Comme quoi ? demande un pro-Amine. � Comme la d�mocratie, la libert�... Toutes ces choses inutiles. Nous, nous avons besoin de �kazoul� (bastonnade). � Et le savoir ? Et la comp�tence ? Et la modernit� ? qu�en faites-vous ? � Depuis 1962, nous vivons ainsi, pourquoi voudriez- vous que cela change ? � Parce que le changement est pr�cis�ment notre affaire. L�autre rit aux �clats : � Allons cher coll�gue, vous savez que le pouvoir comme les pr�sidents sont affaire de g�n�ration ! Oui monsieur, c�est g�n�rationnel, l�auriez-vous oubli� ? Sans surprise, Amine fut �cart� au profit de celui qu�on avait coopt�. Sans surprise, des pourcentages furent distribu�s aux candidats malheureux : 1%, 2%, 5% et 85% pour le �vainqueur�. Il �tait le seul homme aim� du peuple ! Sans surprise, les guetteurs firent rapidement all�geance � leur ma�tre. Il s�est m�me trouv� un chanteur qui avait compos� une chanson pour Amine le candidat, jurer qu�il n�avait jamais �t� l�auteur de cette �uvre. Sans surprise, une enseignante pr�sente dans un bureau de vote au moment du d�pouillement raconta qu�elle n�avait pas retrouv� son bulletin de vote en faveur de Amine ainsi que celui de son �poux. Lorsqu�elle s�en ouvrit au pr�sident du bureau, celui-ci lui conseilla de se taire si elle n�entendait pas �tre r�voqu�e du corps des enseignants. All�geance ou tonneau des Dana�des. Rien d�autre. Sans surprise, Amine vit ses soutiens s��loigner au profit de ceux et celles qui lui �taient rest�s fid�les parce que porteurs des m�mes id�aux. Sans surprise aussi, Amine et Assia constat�rent au fil des jours, des mois, des ann�es la d�ception, le d�senchantement gagner fans, courtisans, soutiens du vainqueur. Le plus �g� des coll�gues d�Assia lui dit un jour : � Il nous a tromp�s. Il n�a rien fait. Il m�a d��u. � Allons, allons, n�est-il donc plus l�homme de la situation ? Auriez-vous d�j� oubli� que sa d�signation �tait �affaire g�n�rationnelle monsieur� ? L. A. NB : Suite d�une nouvelle n�9 parue le 23 mars 2006 sous le titre �C�est g�n�rationnel monsieur !�