J�ai esp�r� toute la journ�e d�hier et celle qui l�a pr�c�d�e que tu reviendrais. Je t�ai attendu toute la nuit d�hier, guettant le moindre bruit dans le b�timent, persuad�e que ton absence ne durerait pas et que tu n�avais pas pu partir sans me dire au revoir. J�ai rendu visite � la m�re de Dahmane, � celle de Sofiane, les deux seuls amis que je te connaissais. Tes fr�res�, me disais-tu. Ce sont elles qui m�ont appris que tous les trois �tiez partis et furent �tonn�es que je ne le sache pas. Comment aurais-je pu le savoir mon fils ? Apr�s le rejet de tes demandes de visa pour le Canada, la France, l�Espagne, j��tais convaincue que ton envie de t�envoler vers d�autres cieux qui t��loigneraient, me disais-tu, de l�enfer, s��tait estomp�e puisque tu ne m�en parlais plus. J�ai m�me cru que tu en �tais gu�ri et esp�rais de tout mon �tre un emploi pour toi, un travail qui te permettrait de chasser les id�es noires. Te souviens-tu, mon fils, du jour o� je t�ai demand� ton avis sur la fille de notre voisine du cinqui�me ? Ma m�moire n�a rien oubli� de ta col�re. Le mariage ? Es-tu inconsciente � ce point ? Avec quels moyens vais-je entretenir une �pouse et plus tard des enfants ? O� vais-je me loger ? Dans ce trou � rats qui nous sert de domicilie familial ?� m�avais-tu r�pondu. Comment avais-je pu �tre aussi aveugle mon enfant ? Comment n�avais-je pas vu qu�� vingt-huit ans tu paraissais en avoir trente de plus ? Comment avais-je pu te faire une telle proposition tandis que tes �paules vo�t�es et ton front travers� de deux rides bien apparentes disaient ton d�sespoir et ton envie d�en finir ? Que de fois t�ai-je accus�, sans te l�avouer, de ne pas faire suffisamment d�efforts pour trouver un �job� � n�importe lequel � me disais-je ! Que de fois ai-je r�prim� mon envie de t�envoyer sur les roses lorsque tu me demandais l�argent de tes cigarettes ! Je voulais que tu m�aides � �duquer tes trois s�urs, toi mon a�n�, toi mon adorable fils, toi l�homme de la maison depuis la mort de ton p�re. Comment aurais-je pu vivre avec le regret de t�avoir bless� � pr�sent, que je ne te reverrai plus jamais ? Comment vais-je vivre sans toi ? Tu �tais calme, affectueux, facile � vivre, tu n��tais pas d�linquant, tu n��tais pas toxicomane, tu �tais sage et me disais souvent : �Je veux juste construire mon avenir mais toutes les portes sont ferm�es�. �Ne d�sesp�re pas, Dieu te viendra en aide�, te disais-je, totalement d�sempar�e par ton chagrin. A quoi donc aura servi mon amour maternel puisque je fus incapable de retirer de ton corps l��pine enfonc�e en toi et qui te faisait si mal ? Etait-ce donc ton destin de vivre l�enfer sur terre et de mourir aussi tragiquement ? Pourtant ta naissance fut pour ton p�re et moi-m�me une joie que je ne peux d�crire avec des mots. C�est ton grand-p�re paternel qui te pr�nomma Hamoud comme son p�re. Tu �tais un beau b�b�, un enfant attachant, un adolescent respectueux, serviable. Nous vivions modestement dans cette cit� dans ce quartier d�Alger que nous n�avons jamais quitt� depuis tant et tant de g�n�rations. L�ann�e o� mourut ton p�re, tu fus renvoy� de l��cole, je suppliai le directeur de te garder, mais il ne voulut rien savoir. Ma place de femme d�entretien dans une soci�t� proche de la maison nous permettait de vivoter. Je n��tais jamais sortie de la maison, mais quelle importance ? C�est une de tes s�urs qui �tudie le droit qui m�a appris r�cemment cette r�gle : �N�cessit� fait loi.� Tu me parlais tant et tant de fois, de d�part que je n�y pr�tais plus attention. Un jour, je m�en souviens, tu m�avais dit : �M�me s�il me faut partir clandestinement, je le ferai.� Ma frayeur r�elle de te perdre, t�amena � me dire : �Rassure-toi je dis cela pour plaisanter... rassure-toi m�re.� Ce matin, mon fils j�ai �t� convoqu�e au commissariat. L�officier de police qui m�a re�ue m�a appris que ton corps avait �t� rep�ch� avec celui d�autres harragas au large de la M�diterran�e. Sofiane, Dahmane �taient du voyage. Ils sont morts noy�s comme toi mon fils. Vous vouliez rejoindre l�Espagne. Ce soir je veillerai toute la nuit ton corps inerte, moi qui n�ai pas pu te prot�ger vivant, ce soir mon fils, mon rayon de soleil, je n�ai pas honte de toi, tu n��tais pas un d�linquant, tu n��tais pas un toxicomane, tu n��tais pas un terroriste, tu n�as tu� personne. Mon enfant, mon fils, tu as v�cu �tranger sur ta terre, tu es mort noy�, parce que tu voulais t��loigner de l�enfer. Mon fils, je suis la m�re d�un �harrag� et je n�ai pas honte de toi, mais vois-tu, mon enfant, ce soir, tandis que ta disparition s�impose � moi, je me dis que moi aussi je suis �trang�re sur cette terre qui m�a pris mon enfant, mon fils, mon rayon de soleil. Messieurs les gouvernants, appelez-le �harrag� si cela vous fait plaisir... il �tait et demeurera mon fils. Mon fils il est tard, tr�s tard, mais je peux encore te garder pr�s de moi. Je suis seule pr�s de toi et te demande pour quelles raisons tu ne m�as pas laiss� te serrer dans mes bras, pourquoi ne m�as-tu pas dit adieu ? Ce soir mon enfant ton corps et celui de onze autres harragas ont �t� rep�ch�s. A la radio, ils annoncent que le �ch�mage a nettement baiss� et que le harrag est celui qui n�aime pas son pays�. Dors en paix, mon enfant, je n�ai pas honte de toi, tu n�as rien pris � ta patrie, tu ne lui as rien subtilis�. Dors en paix mon fils, il n�y avait pas de place pour toi sur ta terre, sur ma terre et tu n�aurais pas d� venir au monde. Dors en paix mon enfant, je n�ai pas honte de toi.