Les dirigeants alg�riens qui plastronnent avec leur cagnotte p�troli�re devraient m�diter le dernier exemple �quatorien : dans un pays o� le ciel oublie de d�verser sa justice et son eau mais o� il pleut quand m�me beaucoup de dollars, la fortune g�r�e dans l'iniquit�, la corruption et la tyrannie n'ach�tent aucune paix sociale et ne prot�gent d'aucune r�volution. Pis, elle la pr�cipite parfois. C'est en tout cas ce qui s'est produit chez trois pays producteurs de p�trole sud-am�ricains, le Venezuela, la Bolivie et, cette semaine, l'Equateur, trois nations o� des r�gimes corrompus ont �t� chass�s du pouvoir et remplac�s, spectaculairement, sous la pression populaire, par des gouvernements de gauche. Le cas �quatorien, pour �tre le plus r�cent mais aussi le plus comparable avec nos r�alit�s, est saisissant : le nationaliste de gauche antiam�ricain, Rafael Correa a remport�, dimanche dernier, les �lections pr�sidentielles sur la base d'un programme pr�nant des r�formes radicales pour nettoyer la classe politique corrompue et insensible aux besoins de ce pays p�trolier dont, comme en Alg�rie, les trois quarts des habitants sont pauvres. L'Equateur ne manque pourtant pas de ressources. Comme l'Alg�rie, il a du p�trole dont il profite de l'envol�e des cours, m�me s'il a quitt� l'OPEP en 1992. En plus de l'Alg�rie, cette contr�e enchanteresse de mer et de volcans qui offre � voir, entre autres, les �les Galapagos, dispose d'un fort potentiel touristique et compte sur la culture de la banane dont elle est le sixi�me producteur mondial. Il n'emp�che que la dette ext�rieure y est si lourde qu'il a fallu l'aide du FMI pour stabiliser le pays et que la pr�carit� y frappe la majorit� de la population qui, comme en Alg�rie, regarde fondre l'avenir de ses enfants. Comme en Alg�rie. La cause ? La m�me qu'en Alg�rie : la corruption au plus haut niveau de l'Etat, certes aggrav�e par la dollarisation de l'�conomie par le pr�sident Jamil Mahuad avant qu'il ne soit contraint, en 2000, de d�missionner apr�s une semaine de manifestations des indig�nes �quatoriens qui ressemblent � s'y m�prendre aux r�voltes d'octobre 1988. Cela ne vous rappelle rien ? Le r�gne infini de la corruption et de l'injustice provoque toujours des changements politiques violents. Sur les huit pr�sidents qu'a connus l'Equateur en 10 ans, trois ont �t� contraints � quitter leurs fonctions � la suite de manifestations de rue. Corruption crasse, corruption tenace, corruption banalis�e. M�me le pr�sident Lucio Guti�rrez, fort de l'appui am�ricain, qui succ�da � Mahuad sur un rigoureux programme anticorruption �labor� avec le FMI, n'est pas arriv� � d�loger les poches malsaines de l'argent sale qui plombent le peuple dans le d�nuement. Son attachement au mod�le lib�ral am�ricain a produit un souslib�ralisme �quatorien corrompu et vici� qui se nourrissait de l'argent du p�trole : c'�tait fatal. Cela ne vous rappelle toujours rien ? �clater. Face aux politiciens de la corruption, la "partidocracia", comme on l'appelle en Equateur, s'est form�e une opposition r�solue � en finir et qui a b�n�fici� du soutien d�cisif d'un peuple ulc�r� par la persistance de la d�g�n�rescence et de la rapine. C'est ce nouveau front populaire alternatif aux partis classiques inf�od�s � la loi de l'argent, qui a fait �lire, en Equateur, Rafael Correa face � un rival de poids, Alvaro Noboa, magnat de la banane, l'homme le plus riche du pays. Noboa �tait favorable � la signature d'un accord de libre-�change avec les Etats- Unis et au d�veloppement de la manne p�troli�re. La population a dit non et l'Equateur a rejoint le Venezuela, le Br�sil, le Chili et la Bolivie dans l'arc anti-Bush qui s'est prodigieusement form� en Am�rique du Sud et qui ne comptait jusque-l� que la solitaire Cuba. Aux portes de New-York est n�e une vraie mouvance "bolivarienne" qui unit d�j� Cuba, le Venezuela et la Bolivie et qui, selon toute vraisemblance, va int�grer prochainement l'Equateur dont le nouveau pr�sident a clairement laiss� entendre cette sentence d�finitive : "Les Latino-am�ricains, nous sommes tous bolivariens." Bien entendu, le Maghreb n'est pas l'Am�rique du Sud et l'Alg�rie est plus proche du Gabon de Bongo que de l'Equateur de Correa. Mais il y a, partout, un tocsin qui sonne de fa�on identique. Car partout les enfants affam�s pleurent de la m�me mani�re et, partout, la corruption se r�v�le l'oxyg�ne des m�mes dictatures. De plus en plus, l'�radication de la corruption et la lutte contre les m�faits de la mondialisation vont servir de puissants catalyseurs aux changements politiques. L'�re du mensonge et de la d�magogie s'�puise mis�rablement. La multiplication des r�gimes antiam�ricains aux fronti�res des Etats-Unis montre bien que la propagande qui, selon Noam Chomsky, est aux d�mocraties ce que la violence est aux dictatures, n'influence plus les populations abus�es. Belle victoire des forces et des intellectuels antilib�raux qui ont, longtemps, ram� � contre-courant et qui, � l'image de Chomsky d�crit par David Barsamian, ne se sont pas content�s de maudire l'obscurantisme mais aussi allum� une bougie pour que nous puissions y voir. Pour toutes ces raisons, parader avec ses fantastiques recettes p�troli�res n'est plus un exercice fiable de s�duction politique. Les num�ros en dollars n'�patent plus les gens �cras�s par l'injustice. Ils les r�voltent souvent et M. M�ziane ne devrait pas l'ignorer. Quand le directeur g�n�ral de Sonatrach, c'est-�-dire de la plus grande firme d'un pays class� parmi les derniers pays de la plan�te en mati�re de corruption � 89e place � annonce � la Cha�ne III, tout souriant, que les recettes d'exportations se situeront entre 52 et 54 milliards de dollars en 2006 et qu'il resterait 40 milliards de barils de p�trole et de gaz � d�couvrir, il suscite in�vitablement une embarrassante question m�me au sein des esprits les plus conciliants : o� va aller tout cet argent ? Il faut, d�sormais, se m�fier de la redondance des chiffres. En l'absence d'une politique claire, d�mocratiquement �labor�e et appuy�e sur des m�thodes de contr�le transparent, l'�num�ration des nombres prend les allures d'une d�testable provocation. Il ne suffit plus d'exhiber le contenu du tiroir-caisse national, il faut aussi l'accompagner de projets tout aussi pr�cis pour le bien-�tre de ceux qui vous �coutent. A quoi sert de nourrir, sur le sommeil des hommes, d'incessantes pluies d'illusions, de leur promettre le sort d'un peuple beau et ivre par la gr�ce du p�trole, de faire miroiter Duba� o� l'or noir a su fixer le nomade dans de nouvelles citadelles �rig�es sur les haillons des tentes b�douines, � quoi sert de bercer les �mes d�sabus�es quand elles savent que le r�veil se fera sur le cri du gosse affam� ? Chomsky : partout la propagande est en train d'agoniser. Il faut nous pr�parer, ici aussi, t�t ou tard, � l'aube sud-am�ricain. A la terrible facture d'un demi-si�cle de corruption. L'autre libert� retrouv�e Des amis lecteurs me reprochant de ne pas donner de mes nouvelles post-carc�rales, je consens � �corcher la modestie et � les informer de ma plus r�cente p�rip�tie, qui n'est sans doute pas la plus triste. Apr�s 40 mois d'interdiction de sortie du territoire national, dont 24 pass�s en prison sur injonction de Bouteflika et de Zerhouni, j'ai enfin pu, mardi, prendre un avion pour l'Europe, l'Am�rique et le Liban o� m'attendent des m�decins et des amis � l'�coute de l'Alg�rie. Des premiers j'esp�re enfin une gu�rison de la lourde maladie neurologique qui a eu tout le temps de s'installer durant mon incarc�ration. Une infamie de plus � l'actif des tristes commanditaires de mon embastillement, de la police des fronti�res qui s'est livr�e � une odieuse besogne, des procureurs et des juges Djamel A�douni, Fella Ghezloun et Amer Belkherchi qui ont, sans scrupules, ex�cut� les basses consignes politiques, l�gitim� une manipulation et enferm� un journaliste pour ses �crits. Des seconds, parlementaires europ�ens, hommes politiques, journalistes et �crivains espagnols, am�ricains, libanais et fran�ais qui m'invitent � parler des luttes et des espoirs de mon pays, j'attends surtout une �coute f�conde. Quoi qu'en pensent les �mes cocardi�res, l'opinion internationale doit �tre affranchie des r�alit�s insupportables que vivent, ou plut�t que subissent, les Alg�riens face � un totalitarisme alg�rien qui ne dit pas toujours son nom et qui, au nom de vagues projets patriotiques, r�prime ce que le pays a de plus noble et de plus authentique, ses cadres, ses syndicalistes, ses femmes, ses jeunes, ses intellectuels, ses enseignants et ses journalistes. Aimer l'Alg�rie, aujourd'hui, c'est plaider pour son droit � la libert� et � la d�mocratie, c'est l'aider � abattre le mur du mensonge et de la d�magogie qui soutient au-dessus de sa t�te cette intol�rable chape du silence. J'ai donc, apr�s trois ans et demi d'arbitraire, recouvr� le droit �l�mentaire de voyager de nouveau, de me mouvoir enfin parmi les esprits amis aux quatre coins du monde. Cette autre libert� retrouv�e, je la dois � une fratrie inoubliable qui a brav� les temp�tes de l�chet� pour se porter au secours d'une voix �cras�e, emp�chant que l'incarc�ration d'un journaliste ne se passe dans l'indiff�rence. Cette petite communaut� g�n�reuse est de chez nous. Elle porte le nom d'hommes et de femmes de cette terre orgueilleuse, ceux qui renvoient � la majest� ancestrale, Fatma- Zohra, Yacine, Mokhtar, Malika, Hamid, Bela�d, Abdelkrim, Nadia, cours indomptables par lequel s'est irrigu� le Comit� Benchicou pour les libert�s jusqu'� ne savoir que faire d'un sang si chaud ; elle s'appelle Ma�mar, Hakim, Sa�da, Fouad, Nacer ou Badreddine, patronymes d'une amiti� sans bornes derri�re laquelle se r�fugient des confr�res particuliers, ceux du Soir d'Alg�rie, qui ont offert le g�te � ma solitude et le couvert � ma faim d'�crire. Elle se nomme Arezki, Joelle, Claude, Sa�d, Mina, amiti�s in�branlables de l'exil, quand il fallut secouer les apathies sous la grisaille parisienne. Elle r�pond au nom des fr�res que j'ai laiss�s � El-Harrach et qui m'ont �vit� de sortir bris� du cachot de Yazid Zerhouni. Elle a le visage de ces milliers de lecteurs qui ont partag� avec mes enfants la d�tresse de l'absence puis la joie des retrouvailles. De cette graine d'�mes r�solues qui ne se contentent pas de maudire l'obscurantisme mais qui allument une bougie pour que nous puissions y voir, de cette graine g�n�reuse poussera, in�luctablement, un printemps alg�rien. Je leur en suis reconnaissant, pour moi et pour l'�poque, proche, o� on citera le printemps alg�rien pour d�signer l'inexorable fin de l'hiver, avec ces mots simples : �Comme en Alg�rie� M. B. P S : Je viens d'apprendre avec douleur, la disparition d'un confr�re sensible et talentueux, arrach� aux siens par une cruelle maladie. Khaled Mahrez nous quitte � l'�ge o� il avait encore tellement de choses � nous dire. A l'APS, o� nous avons �crit nos premi�res d�p�ches puis au Matin o� nous avions assouvi nos plus beaux d�sirs de libert�, il a toujours �t� un mod�le de comp�tence et de rectitude. Son d�part est de ceux, irrempla�ables, qui laissent d'�ternelles cicatrices. A sa femme Zhor et � sa famille, je transmets toute ma sympathie en ces moments p�nibles.