La route qui traverse la commune d�Iboudraren, dans la da�ra d�Ath-Yanni, ne d�semplit pas en ce vendredi ensoleill� du mois de janvier. La plupart des automobilistes prennent la direction de Tikjda qu�une plaque indique au d�tour d�un virage � 23 km. Nous sommes du cort�ge. Malheureusement, le passage est bloqu� par la neige � quelques centaines de m�tres d�Aswel, le fameux plateau tant pris� par les familles. Nous rebroussons chemin la mine d�faite, mais avant de consommer notre d�ception un monument inachev� �rig� sur un petit talus surplombant la route attire notre attention. Un homme dans la force de l��ge nous accueille du regard et nous met en confiance en se montrant dispos� � satisfaire toutes nos curiosit�s. �C�est un monument de chouhada qui a �t� abandonn�, nous apprend-il. Nature et qui�tude Il est midi et les rayons du soleil viennent se perdre dans l��tendue d�une immense for�t qui s�offre et happe nos regards. A ses pieds et au fond d�un long pr�cipice qui prend corps � Tirkabin, le nom du lieu-dit o� nous nous trouvons, un p�t� de maisons nich�es dans une sorte de cul-de-sac suscite notre curiosit�. Pourtant il n�y a pas de place au doute. A consid�rer la fum�e blanche que laisse �chapper une des maisons, il s�agit bien d�un village habit� m�me s�il semble perdu dans une petite plate-forme entour�e de reliefs abrupts peu propices � la vie humaine. Notre homme fait vite de nous expliquer qu�il s�agit de son propre village, A�t-Allaoua, et qu�il faisait bon y vivre pour ceux qui savent appr�cier les vertus de la nature et de la qui�tude. Seulement, les habitants de ce village qui ont toujours tout partag�, y compris le m�me nom de famille qui est A�t Allaoua, ont �t� soumis � une terrible �preuve. Sans m�me l�y inviter, M. A�t Allaoua nous en fait le r�cit. Le village des A�t-Allaoua a subi de plein fouet les affres du terrorisme. Sa situation g�ographique le mettait � port�e de fusil des groupes arm�s install�s dans de v�ritables bunkers creus�s dans les maquis environnants dont la v�g�tation touffue les rendait inaccessibles et surtout dangereux pour tous ceux qui s�y aventuraient. Les terroristes, eux, gr�ce � leur parfaite connaissance des moindres recoins, acc�s et sentiers de la for�t, agissaient en ma�tres absolus des lieux et ne se privaient pas d�op�rer de fr�quentes incursions dans le village pour s�approvisionner en denr�es alimentaires mais aussi pour s�emparer de tout ce qui pouvait servir � am�liorer le confort dans leurs caches. C�est ainsi que l��cole a �t� pill�e et litt�ralement d�pouill�e de son mobilier : tables, fen�tres, portes, tout y est pass�, m�me les tableaux ! 1999, le d�chirement Avec le temps, la situation �tait devenue insupportable pour les habitants et face aux difficult�s rencontr�es par les services de s�curit� � leur assurer la qui�tude, l��vacuation du village se pr�sentait comme la seule solution. C��tait en 1999. Une alternative douloureuse qu�ils ont v�cue comme un d�chirement dans leur chair. Ces maisons construites � la force de leurs bras, la place du village qui les accueillait pour faire et d�faire leur petit monde ou encore le cimeti�re o� reposait leurs p�res qu�ils avaient l�habitude de saluer � chaque passage comme s�ils y avaient �lu domicile tout en continuant � vivre parmi eux, � veiller sur eux. Autant de souvenirs dont il fallait bien, la mort dans l��me, se r�signer � se s�parer. Le drame ne s�arr�tait malheureusement pas � la douleur de rompre avec un v�cu et un pass�. Pour la plupart de paysans qui vivaient du travail de la terre, ce d�part les plongeait dans une situation de pr�carit� et de besoin. La majorit� des familles ont �t� recueillies par des proches � Derna, un village voisin. D�autres, plus chanceux, quoique moins nombreux, se sont install�s � Tizi-Ouzou. Mais tous ont fait la promesse de revenir un jour. La moiti� d�une d�cade plus tard, soit en 2004, ce jour est arriv�. Sur les 25 familles que comptait le village, 16 sont revenues sur leurs pas pour renouer avec la terre de leurs anc�tres, � la faveur de l�am�lioration de la situation s�curitaire. Et n�allez surtout pas vous apitoyer sur leur sort ou croire entendre un A�t Allaoua se plaindre des dures conditions de vie impos�es par les conditions climatiques et les caract�ristiques topographiques du village. �Revenez go�ter nos cerises� �Nous coulons des jours paisibles dans notre village. Le manque de commodit�s n�est pas pour nous d�ranger, c�est l�intelligence et non les moyens qui apporte le bonheur�, nous lance fi�rement notre interlocuteur. Des propos qui laissent pantois lorsqu�on entend notre ami �num�rer ce qui constitue le lot des difficult�s de leur vie quotidienne : �En hiver, nous sommes compl�tement isol�s du monde. Pendant au moins un mois, la neige rend impossible tout contact avec l�ext�rieur, c�est pourquoi nous sommes oblig�s de constituer des r�serves en produits de premi�re n�cessit�. Et si une famille est en rupture de stock, elle pourra toujours compter sur la solidarit� des voisins. Qu�importe si le village ne compte aucun commerce et que nous devions parcourir des kilom�tres pour faire nos courses. Qu�importe si l��cole est ferm�e et que nos enfants soient scolaris�s � Bouadnan. La pauvret� chez soi est plus douce � vivre que l�opulence chez autrui. Nous avons retrouv� les terres de nos a�eux, et comme nous avons toujours �t� des paysans c�est avec plaisir que nous nous sommes remis � les travailler. Nos cerisiers nous ont aussi manqu� comme on a d� leur manquer. Mais qu�� cela ne tienne, nous avons commenc� � rattraper le temps perdu ; revenez donc en juin pour go�ter les cerises des A�t-Allaoua.� Nous prenons cong� de M. A�t Allaoua non sans avoir pris rendez-vous pour juin prochain.