Profitant de ce que Blida renouait avec une vieille vocation qui consiste � divertir les bidasses et les �mes solitaires, le pouvoir alg�rien osait, cette semaine, un autre coup fumeux : tuer dans l��uf un second scandale Khalifa en pr�cipitant la dissolution de BRC, la soci�t� des copains, sp�cialis�e dans les travaux p�troliers et les fausses factures. La b�te est noy�e avant qu�elle ne d�voile ses secrets. Depuis quand met-on fin � l�activit� d�une firme qui fait l�objet d�une enqu�te de l�Inspection g�n�rale des finances ? Les esprits avis�s qui peuplent notre presse, et qu�on dit intraitables sur la question des deniers publics, ont pourtant �pargn� les amis du chef de l�Etat des foudres de leur redoutable curiosit�. Le scandale y est pourtant parfait : la surfacturation et les faux march�s ont englouti les milliards de Sonatrach mais aussi ceux du Tr�sor public. Mais, d�finitivement convertis aux charmes de la comptabilit� bancaire et, semble-t-il, davantage passionn�s par le fabuleux destin de Youcef Akli, le caissier principal d�El Khalifa Bank que par le non moins fabuleux pass� de Chakib Khelil, le ministre patent� de Bouteflika que tout accuse dans cette sordide affaire BRC, nos vigilants observateurs n�ont pas vu l�int�r�t � s�emparer d�une si r�voltante intrigue d�Etat. Je connais Youcef Akli pour l�avoir c�toy� dans la prison d�El-Harrach. C��tait au temps o� Le Matin passait pour un dangereux calomniateur insensible aux r�gles de la d�ontologie et qui accablait de ses m�disances les honn�tes gouvernants et les honorables amis du pr�sident. Le temps o� Chakib Khelil nous faisait condamner � 3 mois de prison pour avoir dit le quart de la v�rit� sur ses accointances avec BRC et o� la chanteuse Amel Wahby nous tra�nait devant le juge pour l�avoir soup�onn�e de recel du pactole Khalifa. Depuis, on d�couvre, Dieu merci, qu�il arrivait au Matin de r�v�ler des choses av�r�es et cela suffit pour nous r�concilier avec l�id�e que le journalisme sert parfois � quelque chose. Mais revenons � Youcef Akli, devenu la coqueluche des journalistes aux d�pens de Chakib Khelil. Je ne crois pas trahir un secret en r�v�lant que ce fils de Staou�li, aux allures d�bonnaires mais qui, se revendiquant d�une tradition citadine aux r�gles bien �tablies, s�oblige � une admirable modestie, qu�Akli donc est le premier �tonn� de ravir la vedette au ministre de l�Energie ! Il faut, pour se hisser � un aussi splendide exploit, une double condition, parfaitement r�unie sous nos cieux. D�abord une justice rompue � l�art du vaudeville et qui s�int�resse plus aux g�rants des caisses qu�� ceux qui piquent dedans. Ensuite des journalistes qui, semblant avoir perdu tout estime pour leur m�tier, s�abandonnent au lynchage des faibles pour rester dans les bonnes gr�ces des puissants. Pourquoi �corner la r�putation de Chakib Khelil et perdre l�amiti� de quelques ministres quand Akli, le fils de Staou�li, est tout indiqu� pour faire un parfait d�tenu de substitution ? Et � quoi bon s��tonner de l�absence, dans ce proc�s � deux vitesses, quand quelques cadres de la banque sont d�j� d�sign�s pour remplir avantageusement l�abattoir ? L�affaire Khalifa va se solder par la condamnation des lampistes et l�acquittement des copains parce que, entre autres raisons, elle est jug�e dans les pires moments pour l�opinion publique, c'est-�-dire en l�absence d�un regard impartial de la presse alg�rienne. Cette derni�re, en d�pit des r�sistances de ces trois derni�res ann�es qui ont permis d��viter une abdication totale, s�est r�duite � une banale entreprise commerciale soumise aux lois du march� soit � un instrument de basse puissance soumis � la r�gle totalitaire de la propagande du r�gime. Comment esp�rer, dans ces conditions, voir triompher la v�rit� dans les affaires qui impliquent les hommes du r�gime, celle de Khalifa comme celle de BRC, et qui ne sont rien d�autre que des proc�s du r�gime ? On r�torquera certes, et avec quelques raisons, que l�opinion n�est pas dupe et que, loin de refl�ter l��tat d�esprit du public, la plus grande partie de la presse alg�rienne ne refl�te que l��tat d�esprit de ceux qui la font. Il reste que la soci�t� alg�rienne, lasse et musel�e, se r�signe � �tre distraite, � l�occasion du proc�s de Blida, par une presse �dent�e et par quelques dizaines d�amuseurs cyniques, qui font de leur mieux pour assurer le spectacle. Et qui dira que le proc�s Khalifa n�est que le maquillage judiciaire d�un caprice politique de Bouteflika ? Certes le bakchich Khalifa �tait gigantesque et Moumen Khalifa, qui cultivait d��normes app�tits, s�en servait pour les satisfaire en arrosant les cercles du pouvoir dont il s�achetait le silence ou la complicit�. Mais cette subornation ne g�nait personne et aurait r�gn� de belles ann�es suppl�mentaires si l�ambitieux businessman n�avait, brusquement, d�cid� un jour de f�cher le pr�sident Bouteflika par son initiative, pr�coce et irr�fl�chie, de lancer deux cha�nes de t�l�vision. C�est par cet acte d�hostilit� impardonnable envers le pr�sident Bouteflika, inquiet de voir un homme d�affaires se doter d�un si redoutable pouvoir qu�il pouvait mettre au service de ses rivaux politiques, que Moumen est devenu le dangereux aventurier qu�on conna�t aujourd�hui et que la d�cision de liquider son groupe a �t� prise par le pr�sident lui-m�me. Tout le reste, � commencer par le proc�s de Blida, n�est qu�habillage juridique d�une d�cision politique. Un habillage avec, toutefois, des �lignes rouges� : il n�est quand m�me pas question de pousser la plaisanterie sur une inculpation des dignitaires et des proches du pr�sident ! Akli et ses compagnons d�infortune suffiront. Et il se trouve des amuseurs imp�nitents et quelques gazettes d�cor�es pour se pr�ter � ce ballet d�alligators. On se consolera � l�id�e que, comme vient de le montrer l��pisode BRC, il arrive toujours l�impensable, aux pires sauriens : se mordre la queue.