On applaudirait presque aux derni�res confessions de M. Djiar. A celle-l�, par exemple, qui nous montre le r�gime de Bouteflika renoncer � son arrogance et se r�soudre, comme pr�vu, � reconna�tre que l��re de la t�l�vision unique est r�volue : �Il y aura t�t ou tard des radios et des t�l�s priv�es en Alg�rie.� Ou � celle-l�, plus path�tique : �Le temps du conflit avec la presse doit se terminer et je l�invite d�sormais, � �tre aux c�t�s du pouvoir et pas contre lui.� Rien n�est d�cid�ment plus �mouvant qu�un pouvoir qui s�aper�oit, avec retard, qu�il se tirait deux balles dans le pied. Et on en viendrait m�me � se f�liciter de ces nouvelles conqu�tes si elles en �taient vraiment une, c'est-�-dire si nous avions eu le cran d��tre plus nombreux � les revendiquer, parmi les gens des m�dias. Voil� un motif de plus, me diriez-vous, de froisser de nouveau ceux qui, parmi mes confr�res, comme d�ailleurs mes amis blid�ens, n�ont pas appr�ci� les abruptes all�gories de ma derni�re chronique. Si j�en suis d�sol� pour les seconds, je le suis beaucoup moins pour les premiers. Car enfin, la presse alg�rienne s�assume-t-elle aujourd�hui devant l�opinion et donc devant l�avenir ? Oh oui, j�ai conscience � mais n�est-ce pas le risque minimal � prendre dans un d�bat crucial ? � d�ajouter mon nom � la liste des innombrables procureurs qui se bousculent aux proc�s de la presse alg�rienne. Mais je le fais par devoir. Et, disons-le, un peu parce que mes r�centes infortunes m�autorisent aux jugements inamicaux sans que l�on y soup�onne de la mauvaise foi. C�est que le temps n�est plus aux susceptibilit�s et les attentes des lecteurs sont si grandes, la soif de v�rit� si impensable, le d�pit devant le d�clin national si manifeste, que tout cela devrait nous inviter � �touffer nos orgueils. Au surplus, et � regarder la fa�on dont elle traite les angoisses de son �poque, � se fourvoyer dans des subordinations inqualifiables, � renoncer aux grandeurs dont elle a h�rit�es, notre presse, ma presse oserais-je dire, n�est pas fond�e � s�offusquer. Elle devrait, au contraire, m�diter avec plus d�humilit� les griefs qu�on lui adresse, pas ceux des commis du pouvoir sans doute, mais ceux des lecteurs d�sappoint�s ou ceux que lui signifient, avec beaucoup de talent et d�amiti�, des hommes de plume comme Boualem Sansal ou Yasmina Khadra. Si notre presse s��merveille aujourd�hui de ce que Bouteflika l�invite � une armistice, c�est parce qu�elle se m�sestime. Elle s�est oubli�e dans les passions lubriques et d�risoires de l�argent et des connivences. Elle a renonc� � son identit�. A ses racines. Et donc � sa seule source de puissance. Car, qu�est-ce qu�une presse libre sinon une plume tremp�e dans le brasier de son peuple pour devenir cette torche incandescente dont l��criture est de feu, les verbes des �clairs, les mots des �tincelles et les v�rit�s des br�lures ? S�il y a un secret de jouvence de la presse libre alg�rienne, c�est bien celui-l�. On ne comprendrait pas autrement que du FIS au GIA, on ait tant entrepris pour �teindre cette plume avec le souffle de la mort pour abdiquer ensuite devant son immortalit�. Tant entrepris pour l��teindre avec le vent de l�exil pour, au final, tr�bucher sur ses racines. On ne comprendrait pas, messieurs, qu�apr�s avoir tant essay� de l��teindre par l�obscurit� des prisons, le pr�sident Bouteflika en vienne aujourd�hui, � l�inviter d��tre �� ses c�t�s�. Se r�jouir de cette invitation � collaborer serait, pour la presse alg�rienne, se duper, trahir et se m�priser. Elle croirait devoir sa survie aux puissants alors qu�elle l�a impos�e par son histoire. Si le pouvoir est conduit � n�gocier une tr�ve, c�est parce qu�il a perdu la bataille de trois ans qu�il a men�e contre la presse. Aussi est-il l�heure d�enraciner la presse libre dans le pays plut�t que de marchander avec le r�gime un strapontin dans son estime. Une presse libre ne doit pas craindre de d�plaire aux gouvernements : tel est son privil�ge. Elle doit savoir lutter contre ce p�dantisme illusoire de vouloir accompagner un pouvoir dans ses r�formes, alors qu�elle n�en serait, au final, que le suppl�tif �mascul�. C�est vrai que l�illusion est tellement puissante et si fortement entretenue par des appareils de propagande officiels rompus � l�art de la subornation qu�on en vient � y succomber tr�s vite. Je l�ai v�rifi� au dernier forum organis� � Alger par la F�d�ration internationale des journalistes, une rencontre dont on se plaisait � signaler, sans que cela ne choqu�t personne, qu�elle �tait �rehauss�e � par la pr�sence du ministre de la Communication et du directeur g�n�rale de la t�l�vision alg�rienne. Qu�avaient donc � faire un membre d�un gouvernement liberticide et un personnage symbolisant la censure dans un forum qui traitait de libert� de presse ? Il �tait clair que la rencontre devait servir, � l�insu sans doute de la FIJ, de tribune au gouvernement alg�rien pour faire passer sa nouvelle image. C�est pourquoi je me suis abstenu d�y prendre part. Outre l�affront de me faire asseoir avec les repr�sentants de mes bourreaux, on m�obligeait � m�associer � leur subterfuge ! Cela me rappelle ces rencontres surr�alistes o� l�on parlait de justice ind�pendante avec Djamel A�douni, c�est-�-dire avec l�homme qui s�est pr�t� aux plus grosses machinations judiciaires au profit du r�gime, et qui, entre autres, a ficel� le dossier qui devait me jeter en prison. Bref, il est temps pour la presse, du moins pour celle qui se pr�tend libre, de renouer avec son identit�, de croire de nouveau en elle-m�me en replongeant dans ses obligations filiales envers son peuple et, surtout, de s�interdire ces pulsions cocardi�res qui font de certains de nos journalistes de grotesques avocats du pouvoir. Nous ne sommes pas les porte-parole officieux du pouvoir ! M. Bouteflika est assez grand pour se d�fendre, tout seul, comme un grand, devant les accusations port�es contre lui par Moumen Khalifa sans que des chevaliers �ditorialistes, qui se croient investis de pr�rogatives r�demptrices, ne se portent � son secours. Voudrait-on faire revivre la belle �poque d� El Moudjahid que l�on ne s�y prendrait pas autrement. Et ces larmes de crocodile d�shonorantes que versent des confr�res sur les m�saventures judiciaires de cheb Mami ! Aurait-on fait �talage de tant de compassion si le chanteur n��tait pas li� au pr�sident Bouteflika ? Non. La preuve est dans les archives : combien d�articles ont �t� �crits sur les d�boires judiciaires de l�autre chanteur ra�, cheb Azzedine ? C��tait pourtant l� notre mission, brocarder une justice haineuse qui condamne, dans l�Alg�rie du XXIe si�cle, un chanteur pour d�lit de chanson ! Mais cet artiste-l� avait le d�savantage de n��tre qu�un fils du peuple et, h�las pour lui, de n��tre rien d�autre que cela. C�est cette nouvelle aptitude � l�all�geance qui contredit un demi-si�cle de combat pour la dignit�, c�est ce silence coupable qu�on observe devant les injustices majeures de notre temps, cette posture m�prisable de vouloir plaire aux puissants, c�est tout ce fatras d�ordinaires d�pravations qui nous �loignent de l��coute de notre terre mais aussi, quoi qu�en pensent les puristes de l��thique et de la profession, des devoirs de notre m�tier Mais arr�tons donc avec cette presse o� l�on passe si simplement de journaliste � troubadour, ou pis, de journaliste � commis. Diable, la diff�rence y est quand m�me de taille : le journaliste �crit dans un journal, le commis y travaille. Et qu�a donc voulu le combat incessant de g�n�rations d�hommes de plume, de Kateb Yacine � Sa�d Mekbel, qu�a donc voulu ce combat d�un demi-si�cle si ce n�est d��viter � notre pays le d�shonneur d�une presse de commis ? Qu�a donc �t� le r�ve fou de ce combat sinon d�enfanter une presse d�id�es, libre, excessive sans doute, sujette aux impulsions adolescentes, je le conc�de, mais une presse qui respire de la poitrine des opprim�s, qui traduise l�argot des d�sesp�r�s, une presse qui gronde comme le Sersou, qui surplombe comme le Djurdjura, fi�re comme l�Edough, sauvage comme le ch�vrefeuille d�Alger, insoumise � la fa�on singuli�re qu�avaient nos m�res de braver le d�sespoir � l�heure du courage ? Une presse, messieurs, inaccessible aux corrupteurs parce qu�elle n�a pas de prix, une presse o� l�on peut enfin pouvoir dire, comme le po�te : �Mangez, moi je pr�f�re, probit�, ton pain sec/Mangez, moi je pr�f�re, ton pain noir, libert� !� Se sentir riche des mots qu�on n�a pas conc�d�s. Oui, une presse qui, pour avoir assez senti le calvaire ancien sait flairer les bonheurs naissants. Et cette presse-l�, par corruption de l�esprit ou par mesquinerie de l��me, cette presse-l� nous l�avons beaucoup trahie. Plus que Khalifa, c�est ce si�cle naissant, messieurs, qui est � la barre, et nous en sommes les t�moins. Qu�offrons-nous � nos descendances sinon de pitoyables d�faillances de lucidit� et d�innombrables d�fauts de courage ? C�est vrai, nous n�avons pas la perspicacit� des grands visionnaires qui savent anticiper les bouleversements de leur patrie, celle qui faisait dire � Hugo : �Ce si�cle avait deux ans ! Rome rempla�ait Sparte. D�j� Napol�on per�ait sous Bonaparte.� Nos petits-enfants nous pardonneront peut-�tre de n�avoir vu, chez nous, aucun Napol�on percer sous Bonaparte. Dieu qu�il est proche et cruel ce temps qui nous s�pare de ce jour maudit o� nos enfants nous lib�reront de nos l�chet�s ! Nous n�avons pas la perspicacit� des grands visionnaires mais alors inspirons- nous de celle de Ben M�hidi qui avait pr�vu le triomphe du couffin sur le char. Parce que c�est toujours ainsi qu�a v�cu notre pays : par des succ�s insoup�onnables parce que port�s par des bravoures anonymes. Mais �a, nous l�avons oubli�. Et comment alors, pr�tendre �crire sur l�ambitieuse Alg�rie avec tant de d�sabusement et si peu d�optimisme ? Et comment, avec si peu d�audace, persister dans la promesse � Djaout, Amrani, Sadek et tous nos tailleurs de vers, comment vouloir graver sur l��pitaphe insurg�e d�Oulkhou, la promesse que les plumes viendront � bout des jours noirs ? Ah, dira-t-on, tout cela est bien noble mais d�mod�. Il y a plus urgent et plus moderne : le m�tier, l��thique, la profession, le sens de la formule, le scoop. Oui mais, qui a dit que nos renoncements aux devoirs de v�rit� allaient faire de nous des journalistes efficaces ? Ce serait plut�t l�inverse. Comptabilisons les manquements � l��thique et les outrages � la profession qui s�accumulent sous nos yeux depuis que l�on s�est mis dans l�id�e de plaire au pouvoir par le mensonge et la contrev�rit�. Passe que dans le traitement du proc�s Khalifa, on s�exon�re volontiers de poser les questions qui f�chent pour ne pas indisposer la cour royale. Mais que dire de ce silence sur la dissolution de BRC, une pratique pourtant fort suspecte, une fa�on de tuer l��uf et la poule, et sur laquelle nos journalistes n�ont pas d�opinion, for�ant le pauvre ambassadeur am�ricain � une instructive litote : �C�est une d�cision alg�rienne !� ? Et que penser de ces fausses informations selon lesquelles Jack Lang et S�gol�ne Royal auraient �t� convertis par Bouteflika � l�id�e de la repentance de la France sur son pass� colonial, alors que le Parti socialiste, m�me s�il propose un autre regard, est rest� sur la m�me position que la droite, oppos�e � toute repentance ? On ment pour courtiser, mais est-ce l� donc la r�gle du nouveau journalisme � la mode, le journalisme convivial auquel nous convie M. Djiar ? Je crains fort, M. le ministre que ce machin ne rappelle plut�t � ma famille professionnelle la formule de Churchill � Daladier : �En collaborant avec Hitler, vous pensiez avoir la paix et l�honneur. Vous aurez la guerre et le d�shonneur.�