Voici d�abord la lettre d�un lecteur, re�ue dans ma bo�te �lectronique il y a quelques jours : �(�) Voil� Ma�mar Djebbour qui se fait �pingler par la juge du "proc�s du si�cle" et il reconna�t pas mal de choses, notamment des salaires exorbitants (150 000 DA en Alg�rie et 3500 euros en France). Et que retrouve-t-on sur l'article de votre journal du jeudi 15 02 2007 en page 6 par rapport � cette affaire : RIEN, absolument RIEN... En faisant l'impasse sur tout �a (PARCE QUE DJEBBOUR EST UN JOURNALISTE) et en ne divulguant pas ces informations � ses lecteurs, votre journal n'a-t-il pas fait exactement comme ceux qui ont omis d'envoyer les d�tails de l'agence de Kol�a, ou encore l'achat de l'appartement � la rue Foch � Paris (�) ? La liste est tr�s longue. Longue vie au journal, malgr� tout !� Sign� : Samir Toufik Si j�ai tenu � r�pondre � cette lettre, c�est parce que je crois qu�elle renvoie � une question cruciale, celle de la place qu�occupe la presse dans l�affaire Khalifa. Il est important de le rappeler ici : la presse n�est pas compos�e de Martiens et il n�y a pas de raison qu�elle ne soit pas �clabouss�e comme toutes les autres corporations. Mais, il faut juste replacer les choses dans leur v�ritable contexte. D�abord, vous mentionnez le nom de Ma�mar Djabbour, l�une des rares personnes qui a r�ellement �su� sur les plateaux de Khalifa TV, animant un show quotidien, rondement men� d�ailleurs. Quant aux salaires que vous citez, et bien qu�ils nous laissent tous pantois, sachez quand m�me qu�ils sont ridicules par rapport � ce que touchent d�autres animateurs de programmes similaires. Et nous ne parlons pas des grands groupes fran�ais ! Je ne pense pas que le fait de ne pas citer le cas de M. Djebbour puisse �tre interpr�t� comme une preuve de corporatisme. Peut-�tre que, du point de vue de la journaliste couvrant le proc�s, cela ne repr�sentait pas un rep�re important de la s�ance du jour et qu�il y en avait certainement d�autres � mettre en valeur. Il faut savoir que notre journal n�a pas opt� pour une couverture qui reproduit toutes les minutes du proc�s, s�attachant � faire une synth�se de la s�ance du jour, avec quelques �encadr�s� qui, dans notre jargon journalistique, d�signent ces petits faits et gestes croustillants qu�on saupoudre autour du papier central, comme une cerise sur le g�teau. Certains confr�res livrent ces minutes en d�tail, notamment les quotidiens arabophones. En agissant ainsi, avait-on d�lib�r�ment voulu occulter certains faits ? Je ne le pense pas. Et si j��voque ici la mani�re dont Le Soir couvre ce proc�s � laissant le soin aux lecteurs d�en estimer le contenu et la teneur �, ce n�est point pour justifier l�injustifiable, mais il me semble que, sur l�essentiel, nos journalistes ont fait honn�tement leur boulot. Loin de la provocation gratuite, mais aussi loin des petites l�chet�s que l�on peut avoir en entendant certains noms. Courage et lucidit� me semblent �tre les ma�tres mots de cette couverture. Cette affaire nous renvoie, vous disais-je, au d�but de ma r�ponse, � une question plus large. En passant du statut public au secteur priv�, la presse alg�rienne est rentr�e dans le monde des affaires, c�est-�-dire qu�elle est devenue une entit� �conomique confront�e aux dures conditions du march�. Un journal qui n�est pas rentable est un journal mort. La vente d�un quotidien, m�me si elle englobe la totalit� du tirage, ne couvre qu�une toute petite partie des frais occasionn�s par la fabrication d�un journal. Et comme nos �diteurs s�ent�tent � garder le journal au prix d�risoire de 10 DA, certainement le plus bas du Bassin m�diterran�en, il ne reste plus que les recettes publicitaires pour �quilibrer la gestion. La publicit�, ah, la publicit� ! Dans le temps, et alors que j��tais directeur de la r�daction du quotidien du soir Horizons (350.000 exemplaires), j�avais en horreur ce mot. Je rejetais pratiquement tous les quarts de page que m�envoyait l�Anep, car je trouvais qu�ils d�bordaient sur la partie r�dactionnelle dont nous avions tant besoin pour satisfaire l�app�tit d�une �quipe r�dactionnelle jeune et ambitieuse. Parfois, il fallait l�intervention personnelle d�un responsable de l�Anep, oblig� de faire le pied de grue devant mon bureau, pour que nous daign�mes glisser un placard �important� dans une des pages du journal. Etions-nous inconscients ? Je ne le crois pas. Je crois que nous �tions dans un autre syst�me o� la rentabilit� �conomique de la presse �tait consid�r�e comme une ineptie. La gestion, ce n��tait pas notre affaire. Notre boulot, c��tait de fabriquer un canard. Un point c�est tout. Dans la presse priv�e, et apr�s quelques d�boires et parfois m�me des faillites pour certains, nous avions fini par comprendre les enjeux : sans une bonne gestion, bonjour les d�g�ts et, sans volume publicitaire important, pas de bonne gestion ! Cependant, nous sommes encore loin d�avoir une conduite morale saine concernant l�influence de la publicit� sur la ligne �ditoriale. Ayant affaire � des monopoles publics ou priv�s, nous sommes en face de v�ritables pressions mercantiles. Certes, l�Anep refuse de donner de la publicit� aux journaux qui critiquent le gouvernement ou le pr�sident de la R�publique, mais si un journaliste de la �locale� �met le moindre doute quant � la qualit� d�un yaourt, la marque va mettre automatiquement son journal sur la liste rouge ! Ce n�est pas mieux chez les priv�s. Ainsi, nous allons assister � un dr�le de journalisme �conomique o� les soci�t�s qui donnent le plus de publicit� sont caress�es, � longueur de colonnes, dans le sens du poil. Une d�p�che sur la mauvaise qualit� d�une voiture, rappel�e par centaines de milliers dans les usines europ�ennes, sera jet�e � la poubelle. Pour �viter les repr�sailles de la marque qui pourrait mal r�agir et vous priver de publicit�. Idem pour la t�l�phonie mobile : tout va tr�s bien dans le monde des op�rateurs ! D�ailleurs, d�s que je vois un titre n�gatif sur l�un des trois groupes en manchettes d�un journal, je comprends que celui-ci n�a pas re�u son �quota� de pub ! Et ainsi de suite : oui, la presse ne fait pas correctement son boulot et ce n�est pas par manque de courage, mais parce que le syst�me lib�ral est ainsi fait ! Parce que, aussi, des �diteurs se sont transform�s en magnats, vivant comme des pachas, alors que certains de leurs journalistes ne sont m�me pas pay�s au SMIG ou d�clar�s � la S�curit� sociale ! Tous nos r�ves de b�tir une presse libre, d�mocratique et cr�dible, se rangeant aux c�t�s des classes sociales d�munies, des travailleurs et des sans-grades, se sont heurt�s aux ambitions d�mesur�es de certains � heureusement pas tous � ex-r�volutionnaires devenus les pires r�actionnaires de la plan�te, l�che-bottes du pouvoir par-l�, plumes de l�opposition aveugl�es par leurs penchants politiques par-ci, ou encore copains des g�n�raux, larbins des industriels, affairistes sans vergogne nich�s dans les r�dactions� Et j�en passe� Mais, ne concluez surtout pas que tout est pourri dans notre milieu. La majorit� des r�dacteurs et de leurs chefs disent m� aux corrupteurs de l�acabit de Khalifa. C�est ailleurs qu�il faut chercher les milliards dilapid�s ! Un jour, alors que j��tais jeune journaliste � El Moudjahid, je fus abasourdi d�entendre un vieil envoy� sp�cial fran�ais en Alg�rie me dire : �Ne pensez pas que nous sommes plus libres que vous !� Et devant mon �tonnement, il eut ces paroles qui eurent le don de m�apaiser : �Il y a quelques jours, nous avons d�cid� de faire gr�ve suite � la censure d�un papier critiquant un supermarch�. Le directeur nous a r�unis pour nous tenir le langage suivant : si je fais para�tre le papier, le supermarch� retire sa pub et 80% d�entre vous ne seront pas pay�s ce mois. Si je le bloque, la pub continue et vous serez pay�s. Nous avons accept�, cher Ma�mar, que ce papier soit censur� ! Remerciez Dieu pour vous avoir �pargn� d��tre l�esclave de l�argent. Si vous �tes � El Moudjahid, c�est que vous avez des id�es � d�fendre. Vous �tes peut-�tre l�esclave d�une id�ologie. Pas d�un vulgaire supermarch� !� H�las, chez confr�re ! Nous y sommes.