Le procès Khalifa a repris hier au tribunal criminel de Blida, avec l'audition en tant que témoin de l'ancien directeur du sponsoring au groupe Khalifa, le journaliste de la radio Mâamar Djebbour. Les révélations sur les procédés de corruption de certains journalistes, sportifs algériens et étrangers sont ahurissantes. Le témoin présente Abdelmoumen Khalifa comme une ancienne connaissance, du fait qu'il était son camarade de lycée, mais également d'université. Les deux ne se revoient plus jusqu'en avril 2001. « Au mois d'avril, soit un mois plus tard, Abdelmoumen voulait se lancer dans le sponsoring des équipes de football et il a fait appel à moi pour prendre la direction du sport », dit-il. La présidente lui demande quelle était sa relation de travail avec la radio. Maâmar Djebbour : « J'étais toujours journaliste de la sportive. J'ai pris mon reliquat de congé de 11 mois. » La présidente : « Mais ce n'est pas une rupture de travail. Vous perceviez votre salaire. Etiez-vous permanent ? » Le témoin : « J'avais un contrat de travail à durée indéterminée. Mais à l'époque, je ne l'ai pas vu sous cet angle. » La juge : « Avez-vous informé votre employeur ? » Le témoin : « Non. » La magistrate : « Comment interprétez-vous cela ? » Le témoin ne donne pas de réponse. La juge lui demande son salaire et Maâmar Djebbour affirme qu'il touchait 27 000 ou 28 000 DA à la radio et 150 000 DA à Khalifa. « Avant mon arrivée, la direction du sport existait, mais elle n'était pas organisée. J'ai donc été chargé de créer un cadre pour recevoir les présidents des clubs sportifs et leur préparer les conventions avec le groupe Khalifa. Il y avait pratiquement tous les clubs de football. » Négociations autour d'un sponsoring La présidente interroge le témoin sur la mission d'Ighil Meziane. « Quand je suis arrivé en 2001, il y était déjà en tant que consultant sportif. De par son expérience dans le foot, il a été choisi pour se porter candidat à la présidence du NAHD et l'assemblée générale l'a élu. » La magistrate revient sur la relation de travail du journaliste avec Khalifa. Il déclare qu'il a signé un contrat, qu'il avait une fiche de paie et qu'il percevait son salaire à l'agence de Chéraga. La magistrate lui demande de parler de sa mutation à Khalifa TV en France. « En août 2002, Abdelmoumen m'a proposé de rejoindre Paris pour Khalifa TV. » La présidente : « Et votre poste à la radio ? » Le témoin : « J'ai pris une mise en disponibilité de 6 mois. » La juge : « Avez-vous signé un contrat de travail en France ? » Djebbour : « Non. Abdelmoumen devait engager la procédure de travail, parce que je n'avais pas le droit de travailler en France. » La magistrate : « Votre salaire à Alger était toujours maintenu ? » Le témoin répond par une affirmation en précisant qu'il percevait également 3500 euros, remis en espèces et en main propre à Paris. La juge : « Avez-vous vu un directeur remettre la paie d'un journaliste en espèces ? » Le témoin : « Khalifa avait engagé une procédure pour m'obtenir un permis de travail en France. J'animais trois émissions, deux sportives et une de divertissement à la chaîne. Je travaillais H24… » La présidente : « Où étiez-vous hébergé ? » Djebbour : « A l'hôtel Holliday, situé à la place de République, aux frais de Khalifa. » La magistrate : « Un quatre-étoiles dont la nuitée était de 600 euros. » Le témoin : « C'était un hôtel avec lequel la compagnie avait signé une convention et à ce titre elle a obtenu une réduction de 50% sur les prix. J'avais à ma disposition une véhicule et un chauffeur. » La présidente : « Est-ce légal ? » Le journaliste : « J'attendais que la situation soit régularisée par les responsables. » La juge : « Vous confirmez que vous étiez en situation irrégulière ? » Le témoin : « Oui, mais je ne pouvais pas travailler en France. » La juge : « Et votre poste à Alger ? » Le témoin : « C'est Mekadem qui a été chargé de ma mission. » La présidente entame les questions liées au sponsoring. « Qui est Nassim Sidi Saïd ? » Le témoin : « Un pilote de course algérien sponsorisé par Khalifa. » La juge : « Pour combien ? » Le témoin : « Je ne sais pas. » Il déclare ignorer également les négociations autour du sponsoring de l'équipe de l'Olympique de Marseille (OM). « Je n'ai pas assisté aux négociations. C'est un dossier qui était géré par Abdelmoumen en personne. Ce n'est qu'à la veille de la signature qu'il me l'a annoncé », dit-il. Il affirme avoir plutôt assisté à la conférence de presse animée avec les dirigeants de l'OM organisée après la signature de la convention de sponsoring. Il affirme que de nombreux journalistes algériens et étrangers étaient présents. La juge : « Est-ce qu'on a distribué des enveloppes aux journalistes ? » Le témoin : « Oui Madame la présidente, mais avant la conférence. » La présidente : « Qui distribuait ces enveloppes ? » Le journaliste : « Rachid Hassas, le chargé de la communication du groupe. » La juge : « Que contenaient ces enveloppes ? » Le témoin : « 3000 FF. » La juge : « Au juge, vous avez parlé de 5000 FF. » Le témoin : « A certains, il donnait 3000 FF et à d'autres 5000 FF. » La présidente : « Y a-t-il eu des protestations ? » Le journaliste : « Oui, certains. » La magistrate : « Est-ce qu'il y a eu des journalistes qui ont refusé ? » Le témoin : « Certains. » La juge : « Avez-vous pris une enveloppe vous aussi ? » Le témoin : « Oui, de 5000 FF. » La présidente lui demande de citer quelques noms de journalistes auxquels ces enveloppes ont été remises. Il déclare qu'il ne s'en rappelle pas, parce qu'ils étaient nombreux. Elle lui cite quelques noms : Yacine Bourouila de la télévision, Mohamed Haouchine de Liberté, Benyoucef Ouaâdia de la télévision. Le témoin confirme. La présidente : « Khalifa était très généreux. » Le témoin : « Oui. » La magistrate : « Vous êtes vous demandé pourquoi Abdelmoumen distribuait ces enveloppes et est-ce que les journalistes qui ont bénéficié de cet argent vont faire leur travail honnêtement ? » Le témoin : « Il faut revenir au contexte de l'époque. Il y avait Bernard Tapie. Le sponsor de l'OM par Khalifa était une fierté pour les Algériens. » La juge demande au journaliste s'il connaît l'origine de cet argent. Maâmar Djebbour : « Non. » La juge « Est-ce que Abdelmoumen possédait une banque en France ? » Le témoin : « Non. » La présidente interroge le journaliste sur le travail de Djamel Guellimi. Il déclare qu'il était à l'époque directeur de Khalifa TV en France. Belmondo, Nassim Sidi Saïd et le tournoi de tennis à Monte-Carlo. Elle lui demande si les artistes avaient reçu aussi des enveloppes lors de la réception organisée pour eux en France. Le témoin affirme que cette soirée a eu lieu dans les studios de KTV et à laquelle de nombreux artistes ont été conviés. Parmi eux, dit-il, certains ont demandé un cachet. « Mais je ne peux confirmer s'ils l'ont obtenu ou pas », précise t-il. La présidente : « Aviez-vous une voiture à Alger ? » Le témoin : « Une Toyota Yaris, que j'ai remise au liquidateur avec le téléphone mobile. » A propos du sponsoring des clubs de football, il affirme que les sommes qui leur ont été attribuées ont été versées par la banque. La magistrate : « C'est donc l'argent des déposants. » Le cachet des artistes Le témoin : « Pour moi, il s'agissait des bénéfices des activités de la banque. » La présidente : « Que vous a demandé Abdelmoumen à propos de Antinéa ? » Le journaliste : « En 2003, Abdelmoumen m'a appelé au téléphone me demandant d'aller dans la villa de Antinéa, pour veiller à la sécurité des biens de la compagnie qui étaient à l'intérieur, du fait qu'à cette époque, Djamel Zerrouk venait de perdre son épouse. J'y suis resté jusqu'au jour où le propriétaire de la villa s'est présenté. » La juge interroge le témoin sur la Matiz qui était en sa possession. « Je l'ai demandée à Djamel Zerrouk, qui me l'a remise. Je l'ai restituée au liquidateur. » La juge : « Etes-vous resté en contact avec Abdelmoumen ? » Le témoin est affirmatif. Il reconnaît avoir été à la conférence de Marseille et avoir pris part au voyage à Dubai, à l'occasion du Salon de l'aviation. Il déclare que c'est Abdelmoumen qui lui a demandé de l'accompagner et il y avait également de nombreux journalistes qui ont pris part à ce voyage. La magistrate demande à Djebbour de parler du sponsoring de l'équipe de rugby de Bordeaux. Il indique que ce dossier était pris en charge par le PDG du groupe en personne. Il souligne qu'il a aussi sponsorisé le fils de l'acteur français Jean Paul Belmondo, un pilote de course qui a reçu l'équivalent de 720 millions de dinars. « Bien sûr, en devises parce qu'il n'a rien à faire avec des dinars », ironise-t-il. Il dit au sujet du sponsoring du tournoi de tennis de Monté Carlo, que c'est Abdelmoumen qui en a décidé et pas lui. Interrogé sur Raghed Echemaâ, il le présente comme quelqu'un qui était tout le temps aux côtés de Abdelmoumen, sans pour autant savoir s'il lui était proche ou un conseiller. Le procureur général lui demande qui était l'ordonnateur du sponsoring. Le journaliste déclare que c'était la banque. « Non, la banque est le comptable. Je veux savoir qui donnait l'ordre de payer. » Le témoin : « Moi, je prépare les listes des personnes à auxquelles je joins la convention pour les envoyer par la suite à la banque de Chéraga qui se charge de verser les montants. » Il révèle au magistrat que la dernière fois que Abdelmoumen l'a appelé au téléphone, c'était en janvier 2005. Après, il a décidé de changer de numéro, « non pas à cause de Abdelmoumen, mais des appels qui me perturbaient. » Me Meziane, avocat d'El Khalifa Bank liquidation, lui demande s'il y a une comptabilité à la direction du sport, pour suivre la mise en application du sponsoring. Le témoin : « Il n'y en a pas. Les conventions me suffisent pour engager le paiement. » Pour ce qui est du montant global du sponsoring, il l'estime à 150 millions de dinars. Un montant contesté par la présidente, qui lui fait remarquer que le Nahd prenait 50 à 60 millions de dinars. Le témoin précise que pour le Nahd, il ne s'agit pas de sponsoring, mais de parrainage. Elle lui cite d'autres clubs qui ont bénéficié de montants importants. « Je ne sais pas, peut-être 200 millions de dinars. » La présidente revient à la charge : « Non, plus de 500 millions de dinars, sans compter les montants en devises », lui dit-elle. A une question de Me Bachi sur le sponsoring du Mouloudia d'Alger, le témoin affirme que le refus de signer le renouvellement de la convention n'avait rien à avoir avec la transparence ou le fait que les dirigeants de la banque interféraient dans la gestion interne du club. « La première année, le Mouloudia a pris 30 millions de dinars. Lors du renouvellement, le président du Mouloudia nous a exigé un montant de 100 millions de dinars. Nous avons jugé que c'était un peu trop, du fait qu'il était en deuxième division, et donc il fallait qu'il s'aligne sur les autres clubs, au même rang. Il voulait donc un contrat différent. Il a refusé de signer. » La présidente lui fait savoir que les dirigeants de l'USM Blida ont également affirmé que les dirigeants de Khalifa intervenaient dans la gestion du club. « Jamais. Le Mouloudia voulait 100 millions de dinars et Abdelmoumen a trouvé que c'était une folie. » La présidente : « Et 60 millions de dinars pour le Nahd, ce n'était pas une folie ? » Le témoin : « Abdelmoumen considérait le Nahd comme son club. » Me Bouabdellah lui demande de citer quelques clubs de football qui ont bénéficié du sponsoring. Ils sont nombreux, dit-il, en citant la JS Kabylie, les Mouloudia d'Alger et d'Oran, l'Usm Blida, l'USM Alger, affirmant au passage que les montants alloués diffèrent d'un club à l'autre sur la base de leur rang, soit au championnat soit à la champion's league, soit aux compétitions internationales. Il note que les dirigeants de sa direction ne se sont jamais rapprochés des présidents des clubs, mais ce sont ces derniers qui venaient vers eux.