Il faut manger pour vivre, le proverbe est clair mais certains l�ont invers�. Ils vivent pour manger et ils mangent mal. Le syndrome de la malbouffe n�a pas �pargn� l�Alg�rie. La restauration rapide fait des �mules et c�est � croire que plus c�est gras, sale et d�goulinant plus l�affaire marche. La gastronomie a �t� sacrifi�e sur l�autel de la rapidit�, du bon prix et du mauvais go�t. Par commodit�, par habitude, l�Alg�rien mange de plus en plus mal : pseudo- pizza noy�e sous une tonne de mayonnaise, chawarma parfum�e au gaz carbonique et frites constituent l�essentiel des repas pris � l�ext�rieur. Le chiffre d�affaires des �restaurateurs� augmente en m�me temps que les chiffres sur l�ob�sit� et les affections digestives. De la karantita � la chawarma business Incontestablement, les habitudes alimentaires ont subi un v�ritable chamboulement. Apr�s la karantita qui a eu ses heures de gloire, les Alg�riens n�ont pu r�sister � l�appel des sandwichs aux diff�rentes appellations. Du complet au sp�cial en passant par le tunisien, les appellations s�appliquent � un contenu quasi identique : des frites pr�par�es dans une huile noir�tre, de la laitue fl�trie, de la tomate � la limite du pourri, le tout fourr� dans du pain par une main � la propret� douteuse. Apr�s avoir go�t� aux �d�lices� du sp�cial achet� chez le Tunisien du coin, les Alg�riens ont tout r�cemment d�couvert la chawarma, une sp�cialit� typiquement libanaise tr�s en vogue en ce moment. Les escalopes de dinde embroch�es font des ravages. Ni le fait que le tourne-broches soit install� sur le trottoir, ni le fait que la recette ressemble vaguement � l�originale ne repoussent le client affam� qui salive � la vue des escalopes embroch�es tr�s t�t le matin pour �tre consomm�es plusieurs heures plus tard. Le business de la chawarma semble avoir de beaux jours devant lui. A voir les �choppes qui la proposent pousser comme des champignons, on pourrait penser que bient�t un Lebanon Town va voir le jour en Alg�rie. Eh bien, non. As de l�imitation, les Alg�riens observent et apprennent vite. Ils se permettent m�me d� �alg�rianiser� la recette. Lorsqu�on sait qu�en Italie, la pizza a �t� labellis�e par d�cret, il y a de quoi avoir une urticaire. L�irr�sistible appel du ventre Comment en est-on arriv� l� ? Probablement que les changements qui ont �branl� la soci�t� n�ont pas �pargn� l�alimentation. Press�, stress�, l�Alg�rien mange n�importe quoi, pour peu que �a ne soit pas trop cher, pas trop loin de son lieu de travail. Les lieux sont sales, une odeur d��gout se d�gage, le serveur a un panaris ? Rien ne l�arr�te. L�appel du ventre est plus fort que celui de la raison. En quittant son lieu de travail, l�universit�, le coll�ge ou le lyc�e, des hordes de personnes affam�es prennent d�assaut les fast-foods. On joue des coudes pour commander qui son frites-omelette, qui son complet. Derri�re le comptoir, les vendeurs suent, s�essuient le front et continuent de servir. La sc�ne ne choque plus personne. C�est rentr� dans l�ordre des choses de voir les vendeurs transpirer, se curer le nez tout en r�pondant avec le sourire � leurs clients r�sign�s mais surtout affam�s . Mayonnaise, h�rissa ? A peine la commande pass�e, le vendeur pose la question qui tue : �H�rissa, mayonnaise ?� Si par malheur, un client ose r�pondre �rien�, il est tout de suite class� dans la cat�gorie des personnes hautement suspectes. Un frites-omelette viande hach�e sans h�rissa ? Une tranche de pizza sans mayonnaise ? Non, franchement, ce n�est pas consid�r� comme �vraiment alg�rien� celui qui ne met pas des litres de mayonnaise dans son sandwich� c�est devenu si �normal� de faire des m�langes aussi d�tonants que refuser une pareille proposition est consid�r� comme une offense par le vendeur. Ce qu�il est loin de deviner, c�est que la nourriture servie est si insipide que les clients sont oblig�s de relever le go�t en usant d�artifices. Apr�s avoir �d�gust� ce �festin�, ils repartent enfin repus, faisant semblant de n�avoir pas vu le vendeur se curer le nez, de n�avoir pas vu les cafards se promener librement sur le comptoir. Pour 100 DA, il ne faut pas faire la fine bouche Pourquoi alors tout le monde cautionne cet �tat de fait ? Probablement par commodit� et par habitude. Apr�s une demi-journ�e de travail, un petit d�jeuner pas du tout exemplaire, l�Alg�rien moyen se dirige directement, comme hypnotis�, vers le fast-food d�en face. C�est exactement sur ce genre de r�flexes que les barons de la malbouffe ont assis leur r�gne. Ils comptent sur l�habitude, la flemme et le manque de moyen. Pour 100 DA, les restaurateurs estiment que le service ne peut �tre que minimum. Au m�pris des r�gles �l�mentaires de propret�, ils narguent aussi bien les clients que les services charg�s du contr�le de la qualit� qui s�avouent impuissants face au r�gne de la salet�. Pourtant, ce n�est pas les contr�les qui manquent. Les intoxications �galement. 3 000 � 5 000 cas d�intoxication sont recens�s chaque ann�e en Alg�rie. Les urgences des h�pitaux pullulent de personnes se tenant le ventre, vomissant et victimes de diarrh�es. Les m�decins reconnaissent tout de suite les sympt�mes de l�intoxication. La victime qui, apr�s avoir aval� un sandwich, se retrouve � l�h�pital mais oublie vite cet �pisode. La preuve ? Le lendemain, elle se redirige presque machinalement vers un autre lieu de restauration. Le pire, c�est que le lieu choisi ressemble �trangement � celui de la veille, mais l�Alg�rien aime vivre dangereusement. L�habitude qui tue Pourtant, il doit certainement aspirer � mieux. Il pr�f�rerait certainement un bon petit plat mitonn� au sandwich d�goulinant. Une bonne chekhchoukha vaut tout de m�me mieux qu�un frites-omelette ? Eh bien, apparemment, les habitudes ont la peau dure. C�est Tarek qui le confirme. Habitu� � manger tout et n�importe quoi, il a eu les pires douleurs apr�s avoir d�gust� la chekhchoukha amoureusement pr�par�e par sa m�re. Incroyable ? Eh bien non ! �J�ai mang� tellement de choses d�gelasses, que les choses trop propres me font mal�, dit-il. C�est probablement le cas de beaucoup d�autres personnes victimes de la malbouffe mais qui justifient cela non pas par �mauvais go�t� mais par n�cessit�. Beaucoup certifient que s�ils avaient les moyens de se payer tous les jours un restaurant non pas chic mais tout juste acceptable, ils le feraient. Les promoteurs de la restauration rapide ont trouv� le talon d�Achille du consommateur : son porte-monnaie et ils abusent all�grement de cette situation. C�est ce qui explique certainement qu�ils ne font aucun effort pour offrir un cadre plus agr�able, des menus plus adapt�s. Pourquoi ce donner tant de peine, lorsque le �petit peuple� est accro ? En conclusion A la question de savoir si l�Alg�rien sait manger, on s�abstiendra pour une fois d��tre cat�gorique. Conditionn�, mal pay�, il est presque normal de voir des nu�es de personnes affam�es se ruer sur les fast-foods avec une seule envie : att�nuer la sensation de la faim. Les puristes, les adeptes de la cuisine saine peuvent r�pliquer qu�on peut manger sainement en ne d�pensant moins. Comment ? En trimbalant tous les matins une bo�te contenant les restes du d�ner de la veille. C�est certes contraignant mais beaucoup moins risqu�. Au Japon, c�est m�me une tradition s�culaire. Les patrons des grandes bo�tes ne mangent que ce que leurs �pouses pr�parent et envoy� avec des porteurs attitr�s. Ils font du porte-�-porte, et � midi, la petite gamelle est entre les mains de son destinataire. Avis aux amateurs.