Les �lections l�gislatives du 17 mai dernier en Alg�rie ont �t� marqu�es par un taux officiel d'abstention �norm�ment �lev�, et encore, nombre d'indices montrent que le taux r�el est nettement sup�rieur. Ce n'est pas une surprise : tous les observateurs et les reportages de presse avaient soulign� que les Alg�riens allaient utilis� cet instrument pour signifier leur m�contentement et leur col�re vis-�-vis du pouvoir. La malvie, la mis�re, le ch�mage, la corruption, l'arrogance des nantis et des nouveaux riches, la surdit� et la myopie du pouvoir en place, expliquent en grande partie cette d�fiance des Alg�riens. Ne pas passer par les urnes, c'est s'inscrire dans une critique radicale de toutes les formes de pouvoirs. L'abstentionnisme est un acte politique. Les raisons de l'abstention peuvent �tre multiples, soit l'�lecteur a oubli� de voter ou ne veut pas voter ; soit l'�lecteur n'est pas inscrit sur la liste �lectorale associ�e � son domicile ; il ne d�sire pas choisir de nouveaux d�put�s, par quelques moyens que ce soit ; l'�lecteur laisse les autres choisir � sa place ; l'�lecteur ne souhaite pas choisir d'�lus, consid�rant qu'ils ne se g�neront pas, par le pouvoir acquis, pour d�cider de ses conditions de vie sans son accord ; il ne se sent pas concern� par l'�lection ou il est persuad� que son vote n'est pas important ; l'�lecteur veut sanctionner les dirigeants en place ou les responsables politiques en g�n�ral en montrant son d�sint�r�t de la vie politique ; il ne veut pas participer � une �lection qu'il juge injuste ou ne veut pas l�gitimer un syst�me politique qu'il refuse, etc. Pour r�sister � l'h�g�monie du pouvoir en place, l'essentiel n'est pas de voter mais de lutter. Lutter contre le pouvoir, quel qu'il soit, car il corrompt les mieux intentionn�s. Lutter pour l'�mergence d'une soci�t� plus juste, plus libre et, pourquoi pas, �galitaire. Alors, faut-il r�ver de prendre le pouvoir ou agir pour le rendre inutile, plut�t que de nous trouver en situation d'incapables majeurs pour avoir d�l�gu� notre autonomie de d�cision � un pr�sident, un d�put�, un maire ? Tous incontr�lables et incontr�l�s, il est certainement plus judicieux d'utiliser les intelligences et les comp�tences multiples que rec�lent la soci�t� pour organiser les luttes �conomiques et sociales. �Agir au lieu d'�lire� est un slogan qui fait son chemin partout dans le monde. Comment faire pour que l'�lecteur d'un jour devienne citoyen de toujours ? Au-del� de l'action au quotidien, par l'�ducation, la formation, un fonctionnement et une pratique antiautoritaires, une discipline collectivement voulue et respect�e, le mouvement social organis� pr�parera une soci�t� sans exploitation qui remplacera, par la d�mocratie directe, la d�mocratie repr�sentative. L'abstention politique n'a donc rien � voir avec la �d�mocratie impolitique�. Pour beaucoup d'abstentionnistes, leur prise de position n'est pas une simple protestation mais s'inscrit, bien au contraire, dans un projet politique : celui d'une critique radicale de toutes les formes de pouvoir et de la construction d'un autre futur ne passant pas uniquement par les urnes. Il est rassurant, et de l'ordre de la pens�e unique, de mettre l'abstentionniste au rang de l'incivique, du populiste ou de l'utopiste, alors que, souvent, il milite pour des causes autrement engageantes que de mettre un papier dans une bo�te pour d�signer, sur une longue p�riode, un mandataire sans mandat. Est-il incivique de ne pas se r�signer, de penser que l'on peut subvertir la soci�t� par sa propre activit� sociale plut�t que se complaire dans la passivit� �lectorale ? L'irresponsabilit� n'estelle pas, par exemple, de faire croire aux jeunes qu'ils trouveront la solution de leurs probl�mes par le vote ? Est-il populiste de douter du parlementarisme ? Le populisme comme le fascisme se nourrissent toujours � la mamelle �lectorale. Moins que de croire en un Dieu, en un sauveur ou une sauveuse supr�me ; pas plus que de se satisfaire d'une fiction de repr�sentation pour vaincre l'injustice. Refuser d'exercer son droit de vote, c'est casser la l�gitimit� du pouvoir fond�e sur un �pisodique lien �lectoral et affirmer sa souverainet� individuelle dans un avenir collectif. D�sormais, le vote n'est plus le seul moyen de se sentir citoyen. Preuve en est : l'abstention galopante de scrutin en scrutin. Comment faire d�s lors pour que la fracture entre �lecteurs et �lus ne s'�largisse plus ? Comment faire pour que l'�lecteur soit plus associ� � l'�laboration, � la d�cision, au suivi et � l'�valuation de la chose publique ? Bref, comment faire pour que l'�lecteur d'un jour devienne citoyen de toujours ?