Monsieur le directeur, Interrog� par les journalistes du Quotidien d�Oran, (entretien avec Jean Daniel publi� le 21 mai 2007, pages 7 et 9) sur l�islamisme et la r�conciliation, vous avez d�clar� : �La l�gitimit� la plus grande pour Bouteflika, c�est celle de la r�conciliation et du r�f�rendum. C�est de cela que Bouteflika tire sa force. Il me faut dire aussi que la r�conciliation signifie beaucoup pour moi car j�ai perdu beaucoup d�amis... J�ai perdu cinq amis �crivains et intellectuels durant les ann�es 1990. Je me dis qu�il fallait arr�ter cela. Je me souviens que Bouteflika m�a dit � propos des �radicateurs qu�il n�y a que les gens qui n�ont pas v�cu la guerre et qui n�ont perdu personne qui ne sont pas partisans de la r�conciliation. On comprend que les attentats du 11 avril � Alger ont �t� un coup terrible � cette l�gitimit�, votre grande exp�rience, votre vie bien remplie et votre �ge, vous autorisent, bien �videmment, � avoir des certitudes, des opinions tranch�es et sans appel, sur le monde qui est le n�tre, ainsi que sur les hommes politiques que vous avez connus tel votre ami �Bouteflika�, comme vous l�appelez et avec lequel vous rappelez, toutes les fois que l�occasion vous est donn�e, la profonde amiti� qui vous lie � lui. Comment donc oserai-je me mesurer � vous ? Vous qu�on per�oit comme un �monument� quand bien m�me vous dites ne pas aimer ce mot (entretien sus-mentionn�). Comment donc oserai-je me mesurer � vous, moi auquel des �minents professeurs de droit qui furent les miens, � l�universit�, ont enseign� que seul ce qui est argument�, prouv�, donc fond�, m�rite le qualificatif de �certitude� � �conviction� � �opinion� ? Aussi vous demanderai- je en quoi votre �conversion� � la r�conciliation initi�e et d�fendue par le chef de l�Etat, �Bouteflika votre ami�, est-elle convaincante ? Et argument�e ? Vous dires que �ce sont les �radicateurs qui n�ont pas connu la guerre qui sont contre la r�conciliation�. Ou plut�t vous avez fait v�tre cet argument bouteflikien. Ne serait-ce pas plut�t le contraire ? C�est parce que M. Abdelaziz Bouteflika traversait le d�sert dor� des �mirats arabes durant les ann�es infernales, impos�es par le terrorisme islamiste tandis qu��taient assassin�s vos cinq amis intellectuels qu�il n�a jamais ressenti la douleur des familles des victimes du terrorisme et qu�il s�est reconnu le droit de pi�tiner la m�moire des victimes de la barbarie islamiste et parmi elles vos cinq amis et tant d�autres... (cinq amis d�mocrates dont vous semblez pleurer la disparition mais pour lesquels il vous para�t �normal� qu�il n�y ait pas de devoir de justice. N�est-ce pas contradictoire ? Est-ce ainsi que vous leur rendez hommage ? Les r�conciliateurs et � leur t�te votre ami Bouteflika pr�nent les embrassades et le pardon entre les bourreaux et leurs victimes parce qu�ils n�ont jamais perdu d��poux (�pouse), de parents, de fr�res, d�enfants, ils n�ont jamais eu de filles kidnapp�es, viol�es et d�capit�es, ils n�ont jamais eu peur d�envoyer leurs enfants � l��cole et de ne pas les revoir. Ils n�ont jamais eu peur. Savez-vous pourquoi ? Parce qu�ils �taient d�s le d�part du c�t� des bourreaux islamistes et parce qu�ils �taient loin de la tourmente. Savez-vous seulement que la r�conciliation qui vous a s�duit est la r�habilitation pleine et enti�re des assassins de journalistes, de policiers, de militaires, de femmes, d�intellectuels, de nourrissons, de religieux et religieuses de la communaut� chr�tienne ? R�habilitation, c�est-�-dire l�extinction totale des poursuites et r�int�gration � leur poste de travail et paiement d�une pension (pour � bons et loyaux services� et le temps pass� � �jouer� de la kalachnikov et du couteau). Libre � vous d�accepter que les �mirs sanguinaires assassins de Sa�d Mekbel (journaliste), de Abdelhak Benhamouda (syndicaliste), du p�re Claverie (�v�que d�Oran), des 11 enseignantes assassin�es � Sidi-Bel-Abb�s, et de vos cinq amis, soient autoris�s � se promener dans la cit� sans qu�ils soient jug�s. Si au nom de l�amiti� qui vous lie au chef de l�Etat, vous en oubliez jusqu�au devoir de justice et celui de la m�moire collective, comment auriez-vous alors r�agi si les criminels nazis n�avaient pas �t� jug�s et condamn�s par des magistrats courageux � Nuremberg ? Comment auriez-vous r�agi si d�autres monstres apr�s eux n�avaient pas �t� jug�s ? Les nazis assassinaient, d�portaient dans leurs camps, les Juifs parce qu�ils �taient juifs, les communistes parce qu�ils �taient communistes. Les islamistes terroristes que la gauche fran�aise (Fran�ois Mitterand entre autres) a accueillis, il est vrai, en 1991/1992 comme �r�fugi�s politiques� ont assassin� des journalistes parce qu�ils �crivaient, des intellectuels parce qu�ils pensaient, des femmes parce qu�elle �taient femmes. Ce sont eux les �radicateurs et non les familles des victimes qui, elles, ont �t� �radiqu�es. Et c�est � ces derni�res que votre ami Bouteflika demande (voire exige) de pardonner aux assassins. C�est votre droit de vous convertir � cette r�conciliation au nom d�un prix honoris causa et au nom de l�amiti�. Mais comment pourriez-vous continuer � dire que vous �tiez aux c�t�s des d�mocrates alg�riens durant les ann�es infernales, que vous avez perdu des amis assassin�s par le terrorisme, alors que vous reconnaissez aujourd�hui le bien-fond� d�une d�marche suicidaire o� le bourreau et la victime sont mis sur un pied d��galit� ? Une r�conciliation o� ce n�est pas le coupable qui sollicite le pardon, mais la victime ou sa famille qui doivent lui dire : �Nous sommes d�sol�es de t�avoir occasionn� autant de tracas !� Les opposants � la r�conciliation ne sont pas des �radicateurs, ce sont des citoyens (ennes) dont j�en fais partie qui revendiquent leur droit � la justice. Car sans justice, il n�y aura jamais d�apaisement, jamais de cicatrisation. Aussi est-ce pour toutes ces raisons que vous ne sauriez imposer votre opinion de r�conciliateur � des milliers de familles alg�riennes meurtries dans leur chair. Quant � affirmer que votre �ami Bouteflika� tire sa l�gitimit� du r�f�rendum organis� autour de la r�conciliation nationale, vous n��tes pas sans ignorer que les urnes chez nous sont faiseurs de miracles ! Vous savez qu�il n�y a jamais eu 98% de oui � la r�conciliation. Vous savez surtout que votre �ami Bouteflika� a �t� coopt�, d�sign� et conduit au fauteuil pr�sidentiel. C�est l� son unique l�gitimit�. A votre prochain voyage, demandez donc aux Alg�riens lambda ce qu�ils pensent des �mirs sanguinaires revenus dans leurs quartiers, log�s, indemnis�s et amnisti�s. Vous avez dit (entretien sus-mentionn�) que l�on pouvait compter �sur votre gratitude (au moment o� vous avez �t� honor�) mais que celle-ci serait compens�e par une grande vigilance�. Est-ce �tre vigilant que d�accepter sans r�serve que des criminels de la pire esp�ce, d�capiteurs de nourrissons, soient blanchis et amnisti�s ? Au nom de votre amiti� avec votre ami Bouteflika sans doute. Au nom du droit des victimes de refuser l�impunit� appel�e r�conciliation certainement pas. Alors, vous vous devez au nom de la d�cence de respecter leur douleur en votre �me et conscience ! Parfaite consid�ration. Mme Le�la Aslaoui- Hemmadi Ancien magistrat. Ancien ministre, �pouse du Dr Aslaoui Mohamed-R�da assassin� le 17 octobre 1994 par l�islamisme terroriste.