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LETTRE DE PROVINCE
Beliardouh, pour t�moigner de nos oublis Par Boubakeur Hamidechi [email protected]
Publié dans Le Soir d'Algérie le 16 - 06 - 2007

Vendredi 22 novembre 2002, jour de Ramadhan et faces de car�me dans une ville de la fin du monde. Toute une humanit� saisie par une excessive pi�t� quitte les mosqu�es et rase les murs pour cacher sa l�chet� � ne pas t�moigner. �Dieu seul est t�moin�, se console-t-elle. La mauvaise conscience ne s�exorcise- t-elle pas � travers les pri�res et les gestes d�impuissance ? Sale temps pour la presse sous un soleil hors de saison.
Les journalistes sont bien l� pour enterrer, presque seuls, un confr�re. �Presque�, avons-nous dit, car il y a quand m�me un courageux t�bessi qui aborde discr�tement les envoy�s sp�ciaux du Matinet du Soirpour se lamenter. �Etes-vous s�r de pouvoir faire quelque chose et ne pas laisser impunie cette mort�, leur murmura-t-il ? Indicible inqui�tude qui, 5 ann�es plus tard, n�a pas quitt� une corporation provinciale lass�e � son tour par tant d�indiff�rence. Or, au moment o� les correspondants des journaux s��taient fait une raison de vaincus, un comit� national pour la libert� de la presse se souvient de ce journaliste martyris�. Beliardouh vient d��tre exhum� afin d�emp�cher l�imprescriptibilit� d�un meurtre par acharnement. Celui que le journaliste du Matin, C.Mechakra avait judicieusement qualifi� de �victime des droits�de l�homme d�affaires�. La distinction posthume vaut donc son pesant de m�moire car elle est une interpellation sans �quivoque destin�e � ceux qui se haussent du col et de la plume et s�autoproclament d�positaires exclusifs de l��thique journalistique, quand quelques parts, ils ont d�j� failli. A travers ce choix �minemment embl�matique, le comit� Benchicou souligne en effet le devoir premier d�une presse d�opinion. Celui de continuer imp�rativement � relayer les v�ritables combats d�mocratiques au lieu d��pouser les th�ses officielles. De d�noncer les d�rives de la justice aux ordres et ses accointances avec les maffias locales. S�inscrire en r�volte au lieu d�expliciter, c�est-�-dire justifier, est plus que jamais sa t�che. D�sormais la tombe de Beliardouh est en quelque sorte son mausol�e o� elle doit se ressourcer. ... Retour sur une infamie mortif�re que l�on a failli oublier� C�est tout dire donc sur l��tat d�esprit qui r�gnait dans cette ville et de l�opinion que l�on se fait encore aujourd�hui de la fonction de la presse. Comme une sorte de fatalit� � tout t�taniser sous son empire, n��pargnant m�me pas les pr�pos�s � l�information � ces correspondants locaux � la peur aussi bien physique que la crainte des repr�sailles sociales fait dans le meilleur des cas tarir les plumes quand elle ne les corrompt pas. Et c�est parce qu�il se refusa � choisir entre ces deux alternatives, toutes deux d�gradantes, que le journaliste d� El Watany laissa sa vie. Car jamais autant qu�� T�bessa, ville-otage des gros bonnets de l�affairisme, la consigne de l�omerta n�est appliqu�e avec une aussi stricte rigueur. Le Garboussi, dont le nom est synonyme de parrain corrompu et de �prot�g� � des hautes sph�res, ne pouvait que prosp�rer dans ces territoires frontaliers propices aux transactions fructueuses et ill�gales de la m�me fa�on qu�op�raient en leur temps les Hadj Bettou dans les limes du sud. Dans un contexte social surcharg� d�int�r�ts qui se croisent, et avec le souci partag� des acteurs de susciter le moins possible la curiosit� journalistique, le fait pour le reporter d�oser d�crypter la r�alit� locale et rendre publiques certaines accointances prennent alors des dimensions insoup�onn�es. Pire, elles l�exposent � des pressions et des repr�sailles inimaginables ailleurs d�autant qu�elles se d�roulent dans un huis clos provincial o� m�me ce qui s�apparente � la puissance publique affiche une �neutralit� active comme le souhaitent toutes les baronnies transfrontali�res. Abdelhai Beliardouh �tait pr�cis�ment l�arch�type du correspondant de presse qui a parfaitement assimil� son m�tier tout en se cadenassant dans le respectable corset de l��thique pour aller voir ce qui est derri�re les apparences. Autrement dit, faire des �gros plans� sur la r�alit� locale tout en se gardant d�inventer �autre chose� mais montrer ce qui...est. Or, ce qui se passe � T�bessa est bien loin de la l�galit� des affaires propres et nickel comme un dinar sur lequel l�Etat pr�l�ve l�imp�t. L�argent sale � blanchir, la connexion trabendo � terrorisme, la corruption notoire de l�administration �privatis�e� par les magnats de l�importation, les banques pi�g�es par les fausses domiciliations, l�impressionnante circulation des registres du commerce (Garboussi n�est-il pas pr�sident de la Chambre du commerce), autant de raisons pour un journaliste courageux d�aller voir, interroger et �crire. Lui l�a fait tout en mesurant les risques auxquels il s�exposait mais sans jamais penser que la vermine userait de proc�d�s aussi ignobles que le rapt et la s�questration. Moins d�une semaine apr�s l�exp�dition punitive n�avait-il pas exprim� � l��poque dans les colonnes du Matinson �tonnement � propos des m�thodes utilis�es � son encontre ? �Ce qui s�est pass� est tr�s grave, d�clarait-il. Car il ne s�agit pas uniquement de ma propre personne. C�est un double crime, d�abord � cause de l�agression physique dont j�ai fait l�objet, ensuite pour le fait que Garboussi Sa�d s�est permis de se substituer � l�Etat. User de la violence et de la torture est d�j� condamnable, que dire alors quand c�est un simple citoyen qui en est l�auteur ?� Terrible acharnement qui n�a recul� devant aucune m�thode et non moins terrible mansu�tude de la justice � l��gard des auteurs de rapt, pourtant passible de peine de mort. Ainsi, la mort du journaliste ne f�t, comme on dit, une affaire �regrettable� que pour les porte-plumes du pouvoir car elle �tait pr�visible tout comme est pr�visible sa r�p�tition sous d�autres formes, tant qu�existe une conjonction d�int�r�ts entre le grand banditisme anobli par l�acc�s � des fonctions officielles et les cercles politiques qui s�accommodent de la manne mat�rielle dont il b�n�ficie par retour d�ascenseur. Ce risque de voir d�autres confr�res conna�tre une fin identique � celle de Beliardouh est une probabilit� parfaitement d�celable en province. Car bien plus que dans la capitale o� le corporatisme joue � en d�pit de ce que l�on croit � le r�le d�alarme pour dissuader contre les coups tordus, dans les villes de l�int�rieur, la pr�carit� et la solitude du correspondant l�inclinent � tous les renoncements. Autrement dit, cela fait bien des ann�es que les correspondants sont soumis aux embargos des autorit�s locales, aux pressions des lobbies , voire aux menaces physiques. Et ce n�est pas noircir � volont� le trait que d�insister sur la condition du journaliste travaillant � distance. Expos� qu�il est en permanence � des tracas sans nom qui finissent par alt�rer l�objectivit� dans sa relation des faits. Manipul� parfois, circonvenu, souvent le correspondant renonce progressivement � son ind�pendance intellectuelle. En �crivant sous la dict�e des cercles de la ville, il disserte finalement pour le compte des commanditaires en vue. Allant jusqu�� flirter avec la d�sinformation. C�est cette museli�re en velours qui, subtilement jette le discr�dit sur certains travaux journalistiques franchement orient�s d�s lors qu�ils agr�ent les mandarins locaux. Mais les correspondants solitaires dans les lointaines bourgades ne sont pas tous des ripoux car, dans leur majorit�, ils assument convenablement les rapports ambigus qu�ils entretiennent avec les autorit�s et la traduction journalistique des �v�nements. Certes, quelquefois, il accepte de bonne ou mauvaise gr�ce de faire siennes, les th�ses de la tr�s officielle administration ; cependant, rares sont les cas o� d�lib�r�ment, il eut � maquiller outranci�rement la v�rit� pour plaire au potentat du moment. Quitte � subir l�arrogance des f�odalit�s en place ces �petites mains� de l�information destin�e aux �grand faiseurs � de la capitale font preuve d�une incomparable probit�. Cas atypique du journaliste de province, solidement immunis� contre les pressions, les chantages et la corruption, Beliardouh d�voila patiemment les enjeux politiques agitant sa ville et enqu�t�t sur les connections destin�es au d�tournement des cr�dits et l��vasion fiscale, il ne manqu�t pas de dresser des portraits peu flatteurs de la nomenklatura de la ville. Sans doute fut-il per�u comme un �transgresseur� d�un code non �crit r�gissant les m�urs admises par le tribalisme. Du genre � pr�server une sorte de deal fixant les zones et les secteurs d�influence et de prosp�rit�. Il avait � travers ses multiples articles donn� � voir la r�alit� non pas telle qu�elle semblait �tre (honorabilit� des notables et des bienpensants), mais telle qu�elle est en fait, gangren�e par la bassesse et la corruption, l�hypocrisie et la l�chet�. En d�montant un syst�me parfaitement rod� o� l�affairisme, la politique officielle et le terrorisme font bon m�nage et les �fronti�res � de l��thique all�grement enjamb�es (rappelons-nous l��nigmatique rapt du s�nateur Boudiar par des �terroristes � et sa lib�ration tout aussi confuse) , il parvint parfois � mettre � nu l�insupportable complicit� de l�administration et des institutions avec les r�seaux diversifi�s des conteneurs et la bienveillance dont ceux-l� b�n�fici�rent en mati�re de facilitation documentaire. De m�me qu�il r�v�la que les groupes terroristes s�vissant en pays nemouchi sont directement en relation d�affaires avec le premier d�entre les importateurs de la r�gion. Il �tait � sa fa�on sans concession dans la d�nonciation mais �galement, avait-on dit, sans prudence quant � sa propre s�curit�. Apr�s Garboussi, le terrorisme islamiste avait autant de raisons de l��liminer aussi bien que nombreux notables craignant beaucoup de ses r�v�lations. Il revint de la s�questration et des humiliations subies profond�ment bless� malgr� le soutien de ses confr�res. Mais entre le �je ne me laisserai pas faire�, rapport� dans les colonnes des journaux du 23 juillet et l�effondrement psychologique � la mi-octobre, Beliardouh �tait pass� de la cr�nerie au renoncement le plus mortel. �Un ressort s�est cass� quelque part� ont conclu les apprentis-psy press�s de pontifier. Quant � nous, qui avons si peu de science de la nature humaine, nous ne voulons pas croire que le verre d�acide fatal �tait r�ellement destin� � mettre un terme � une grande lassitude morale. Son �suicide� - qu�il faut imp�rativement
mettre entre guillemets est sans h�sitation un meurtre par acharnement. M�me s�il faut si peu se pr�occuper des formules dans le propos des gens, celle d�un de ses confr�res nous semble r�sumer le mieux sa d�tresse morale, accusant ses tortionnaires de l�avoir oblig� � quitter non seulement la ville mais la...vie. Depuis sa disparition, tout a peut-�tre �t� dit : des mots les plus sinc�res aux consid�rations les plus justes et aux regrets les plus hypocrites. Malgr� tout, rien ne changera dans cette ville. Les conditions �conomiques qui ont provoqu� la mort d�un correspondant sont encore bien l� et leur expression id�ologique et mafieuse �galement. Combien de temps le sacrifice de Abdelhai Belardouh r�sistera-t-il � l��rosion des �vocations pour devenir un mod�le d�une intransigeance �thique qui a trouv� son accomplissement dans la mort et un exemple pour la corporation ?


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