On est dans une sorte de dialogue de sourds. C�est comme si on avait, chacun, une tirade � dire ; on la dit et puis on s�en va. Celui qui est l� pour l��couter et ne pas l�entendre fait semblant d��couter et n�entend pas sans faire semblant puis quitte, � son tour, la sc�ne. Et puis, on recommence, jusqu�au vertige. Cette impression de �rab�chage� de part et d�autre, on la chope en lisant la presse et, d�aventure, en participant au surplace. Le pouvoir (d�clin� sous diff�rents vocables : r�gime, syst�me, clan, el houkouma, houma, �ils��) s�vit imp�nitent sans tenir compte d�aucune opposition et cette derni�re, ou ce qu�il en reste apr�s essorage, corruption, carotte, b�ton, lui tape dessus avec des mots de plus en plus virulents. Mais, comme une fl�che qui perd de sa puissance en cours de route, ces mots n�atteignent pas leur but et, souvent, finissent par ne plus rien dire d�autre qu�un certain oppositionnisme folklorique, au mieux sympathique pour la galerie, mais sans cons�quence aucune. H�las, trois fois h�las, nous en sommes l�. Dans une sorte de r�duit, le dos au mur, les bras ballants. Jamais le pouvoir n�a sembl� aussi sourd, et d�une aussi b�te surdit�, et jamais le tintamarre corrosif � son endroit n�a autant d�voil� sa vanit�. L�un fait ce qu�il veut, l�autre dit ce qu�il veut : aucun lien entre l�un et l�autre. Alors, on tombe � raison dans la litanie, le d�j�-vu, le d�j�-entendu. C�est fatal. Rien de nouveau sous le ciel des r�p�titions synchronis�es entre le geste et la parole, des r�currences, des vieilleries chaque jour reprises, repris�es comme des chaussettes hors d�usage qui tentent de se donner un air de nouveaut�. Rien de nouveau. Qu�il pleuve, qu�il vente, qu�il neige, c�est kif-kif la m�me chose, au grand d�sespoir de ceux dont la mission est de d�celer ce qui surgit de neuf avec la naissance de chaque jour. Au lieu donc de redire les m�mes choses, ne faut-il pas voir ailleurs ? Voir l� o� �a bouge, �a cr�e, �a avance, �a recule, �a oscille, �a vacille dans un mouvement perp�tuel ? Le comble, c�est que ces lieux o� �a bouge, o� �a cr�e, ne se trouvent pas forc�ment loin de nous. Ils sont tout � c�t�, parfois m�me en nous. Mais trop englu�s dans nos pr�occupations monomaniaques de surench�rir sur la harissa dans le commentaire, on oublie. On oublie, par exemple, que le 14 juin dernier, c��tait le sixi�me anniversaire de la marche de 2001, dite �marche noire�. L�affaire m�rite d��tre rappel�e � trois titres au moins. D�abord, et le fait en soi est d�j� singulier, avec 3 millions de personnes, c�est la plus grande manifestation de masse que l�Alg�rie ait jamais connue. Ni les corsos islamistes de l��poque du califat de Bab-el-Oued ni les sorties d�Etat comptabilis�es dans les registres du FLN n�ont jamais pu r�unir autant de monde. Au reste, il est particuli�rement flatteur pour ce pays que la plus grande manifestation populaire de son histoire n�ait pas r�sonn� d�accents populistes mais fait vibrer des revendications d�mocratiques et citoyennes. Cet �lan de masse vers la justice et la dignit� contredit le postulat selon lequel la masse est suiviste. Deuxi�me raison pour �voquer la marche noire, c�est qu�elle avait �t� le moment fort du mouvement citoyen de Kabylie alias l�arouch. Six ans apr�s, il faut s��tonner qu�un mouvement aussi important ait pu exploser en vol avec une telle facilit�. Tout se passe comme s�il n�avait jamais exist� et les gesticulations r�siduelles de quelques rescap�s encore oints de l�gitimit� confirment cette r�gle d�sesp�rante : rien n��chappe aux d�molisseurs embusqu�s dans les corridors du pouvoir. Mine de rien, ils m�nent bien leurs affaires et celle-l�, tout incline � penser qu�elle en est une ! Troisi�me et derni�re chose qui impose de ne pas oublier cette marche et ce qu�elle repr�sente. Un guet-apens a �t� tendu et la manifestation pacifique, dont le but �tait de remettre la plate-forme d�El Kseur aux autorit�s d�Alger, a tourn� � la �ratonnade� pure et simple. Des jeunes ont �t� assassin�s dans des conditions non seulement obscures mais qui le sont demeur�es. C�est aussi cela, le surr�alisme. On fait comme s�ils �taient morts lors d�accidents de voiture. Cette absurde manipulation est illustr�e par le cas du jeune Namane Toufik. Contre les t�moignages de violences qu�il a subies et les blessures visibles sur son corps, le certificat de d�c�s �manant d�un h�pital alg�rois persiste : mort naturelle !!! La justice, comme de bien entendu, n�avait pas le temps de douter du bien-fond� du papier hospitalier. L�affaire est, du coup, pli�e. Comme celles qui concernent les autres jeunes assassin�s pendant cette p�riode ? Pli�e mais pas r�gl�e car la soif de justice et de v�rit� qui habite les familles des victimes pourra un jour �tre �tendue aux forces politiques dont le combat est sous-tendu par des principes. Le surr�alisme veut que des affaires comme celles-l�, qui se comptent en milliers, sont rang�es dans un coin poussi�reux de la m�moire. Avec �a, on vit avec des r�flexes de gens normaux qui se trouvent en situation normale face � un pouvoir vautr� dans l�impunit� et le d�ni. Or �ils� font ce qu�ils veulent et nous pouvons dire ce que nous voulons. Visiblement, rien ne les �meut. Ce mouvement perp�tuel parall�le � une parole jubilatoire n�est-il pas la quintessence du surr�alisme ?