Quand j��tais m�me, pas plus haut que la chienne des voisins qui me faisait une peur terrible, j�avais des tas de questions � poser � mes parents. Comme tous les enfants de cet �ge, ma soif de connaissances �tait telle que je devenais incommodant avec mes s�ries de questions � quatre sous. Mais il en est une qui m�est rest�e dans la t�te et � laquelle je n�avais pas eu de r�ponse � l��poque. J��tais fort intrigu� par cette voisine qui �tait comme une s�ur pour ma m�re, une vraie tante pour moi, cette dame blonde et �lanc�e qui faisait de si bonnes galettes, et qui, malheureusement, s�exprimait dans une langue qui m��tait inconnue ! La vraie bizarrerie est qu�elle arrivait � communiquer avec mon p�re ! Donc, mon p�re parlait aussi cette langue �trange ! Pas ma m�re ! Difficile pour ma petite caboche pleine d�images diverses qui allaient de la m�chancet� de ce capitaine fran�ais venu fouiller les affaires personnelles de mon p�re � la force brutale de cette locomotive �lectrique qui tirait un long et lourd convoi de minerai de fer provenant de la mine de l�Ouenza ! J�ai su, bien plus tard, que nana Aldjia, une vraie kabyle, parlait berb�re et uniquement berb�re. Cette noble dame au c�ur si large, �pouse du vieux Yakoub, vivait dans une maison mitoyenne, � quelques enjamb�es de la n�tre ! J�y allais comme si c��tait chez moi. Pour go�ter aux succulentes sucreries qu�elle pr�parait ou pour accompagner Salah ou Rachid, mes potes. Bien que vivant � 500 kilom�tres du Djurdjura, j�ai connu la Kabylie sans bouger de chez moi. Il me suffisait de pousser la porte de nana Aldjia pour recevoir une grosse bouff�e d�air frais venue des hauteurs de Larba� Nath Irathen. Il y avait, dans cette maison si diff�rente de la n�tre, un air de montagne qui vous transportait � mille lieux de la plate monotonie des hautes plaines de M�daourouch. Cette modeste demeure �tait enti�rement b�tie en pierres nues. Sa petite courette �tait remplie de plantes diverses et nana Aldjia, qui avait un faible pour la verdure, passait son temps � chasser les poules qui risquaient d�ab�mer ses belles fleurs. Mais le charme de la maison �tait incontestablement cette cuisine pittoresque o� il n�y avait ni cuisini�re (chez nous, elle fonctionnait au coke), ni r�chaud � p�trole ! Une grande chemin�e, imposante, taill�e dans la pierre, faisait l�essentiel d�un d�cor noirci par la fum�e. Il y avait toujours du feu allum� chez les Yakoub ! Je pensais que nana Aldjia �tait une parente tr�s proche. Aussi, ai-je eu beaucoup de mal � admettre qu�elle n��tait pas du tout de notre famille, ni de notre arch et qu�elle venait de si loin ! Pourquoi cette kabyle � laquelle j��tais tr�s attach�, n��tait-elle pas de mon �sang� ? Tout nous rapprochait pourtant ! Ses enfants �taient mes fr�res, ses filles, mes s�urs. Jusqu�� aujourd�hui, nous sommes rest�s fid�les � cette �parent� si authentique, jamais troubl�e par les al�as de la vie, jamais mise en cause par les int�r�ts sordides de ce bas monde ! Des nanas Aldjia, des Kabyles debout venues avec leurs maris ou n�es ici, dans le pays des Chaouis, j�en connaissais beaucoup. Je les respectais, je les aimais et quand il m�arrive d�en revoir une encore de ce monde, j�ai les larmes aux yeux. Jeudi pass�, j�en ai rencontr� quelques-unes � l�enterrement de Mohammed A�t Si, un grand fils de M�daourouch, le symbole de la r�sistance et de l�int�grit�, salu� par toute la population locale qui n�oubliera jamais que leur cit� a enfant� un patriote hors pair, parti au djebel � l��ge de 15 ans, abandonnant �tudes et confort pour s�engager dans la lutte r�volutionnaire. C��tait un moment p�nible et j�aurai voulu rencontrer toutes ces Kabyles de � chez nous � en d�autres circonstances, mais j��tais heureux de les revoir, toujours habill�es de la tenue traditionnelle jaune ou orange, arborant fi�rement leur identit�, mais sans renier leur appartenance � ce village o� elles ont grandi et o� beaucoup sont n�es ! Mohammed A�t Si, que nous avons accompagn� � sa derni�re demeure sous un soleil de plomb, a �mis le v�u d��tre inhum� ici, au cimeti�re de notre arch, celui des Ouled Sba�. Sa tombe se trouve � c�t� de celle de son papa, lequel avait �galement exprim� le m�me d�sir. Et dire que mon propre p�re avait refus� d��tre enterr� ici, au milieu des siens ! Il avait choisi de reposer parmi les Kabyles, au cimeti�re central situ� � l�autre bout de la cit� ! Ainsi v�curent les braves de mon village et ainsi avaient-ils choisi, m�me dans la mort, de rejeter le r�gionalisme et le tribalisme, unis par la conscience d�appartenir � une seule et unique communaut� confront�e aux al�as de l�occupation. Les A�t Si, comme les Ouali, les Ben Malek, les Hadj Messaoud, les Yakoub, les A�t Ouada, les Aggad, etc. sont d�honorables familles kabyles dont nous sommes fiers. Et si elles gardent un lien ombilical avec la terre des anc�tres (elles se rendent parfois en p�lerinage chez �jeddi Menguellat�), elles restent des monuments de notre cit� � l�histoire de laquelle elles ont largement contribu�. Si, un jour, vous passez par Souk-Ahras, arr�tez-vous au cimeti�re des martyrs qui surplombe la belle vall�e de la Medjerda. Ici reposent des dizaines de chouhada kabyles, tomb�s les armes � la main lors de la c�l�bre bataille de Souk- Ahras ! Ils avaient pour mission d�acheminer l�armement vers les wilayas du centre. Le sang des intr�pides a la m�me couleur partout : celle de l�h�ro�sme ! Ce sont nos h�ros, ceux de la r�volution ! Ils n�appartiennent � aucune r�gion et demeurent les enfants de l�Alg�rie �ternelle. Cette Kabylie que j�ai d�couverte en poussant la porte de nana Aldjia, n��tait pas la seule contr�e qui m�avait ouvert les bras quand j��tais jeune. A deux ruelles de chez moi, le Souf et ses couleurs si particuli�res avaient d�barqu� tr�s t�t et lorsque je voulais changer du couscous aux f�ves et � l�huile d�olive, j�allais me taper une bonne sauce piquante chez l�une de ces nombreuses familles soufies qui ont �norm�ment donn� � mon village. Bien plus tard, et � chaque fois qu�un reportage me menait � Kouinine ou � El Oued, j��tais re�u comme un enfant du bled, comme les Soussa, les Soufi, les Djeddi, les Mansouri ou les Sa�di ! Il y avait �galement les Mozabites, mais ces derniers vivaient loin de leurs familles. Ce qui n�est plus le cas aujourd�hui et c�est toujours avec un plaisir renouvel� que je vais d�guster les fameuses merguez de chez Fraji, le restaurant des �Trois corbeaux�, tenu aujourd�hui par la rel�ve. Et quand il y a un mariage � B�ni Izguen, on n�oublie jamais de m�inviter ! Merci Slimane pour ton hospitalit� et celle de mes fr�res de Gharda�a ! Que dire de mes vir�es chez Hac�ne, le �coop�rant� tunisien o�, une nuit, mon ami alg�rois Khe�rredine Ameyar, que Dieu ait son �me, avait d�couvert les p�tes � la tunisienne qu�il trouvait bizarres � cause des bouts de pomme de terre et de pois chiche qu�elles contenaient. Mon village n�avait jamais connu le racisme ou le r�gionalisme. Tous ceux qui venaient travailler ici �taient accueillis � bras ouverts. La preuve, ils y sont rest�s, fondant de nouvelles lign�es rassembl�es par le m�me d�sir de voir leur r�gion sortir du sous-d�veloppement. Toutes ces femmes, tous ces hommes qui s�apparentent � M�daourouch ont bien conscience qu�ils vivent sur une terre hospitali�re, ouverte, qui �tait un centre de rayonnement culturel � l��poque romaine, accueillant des �tudiants et des ma�tres de partout. C��tait la seconde universit� africaine, apr�s Carthage. C�est ici que Saint Augustin avait poursuivi ses �tudes. Cette terre qui a vu na�tre Mohammed A�t Si et qui a accueilli dignement son corps, apr�s le long voyage d�une vie consacr�e � la R�volution et � la construction de l�Alg�rie moderne, n�est pas une terre quelconque. Le r�gionalisme n�y a pas droit de cit� ! M. F. PS : je d�die cette chronique � toutes les familles kabyles parties des terres natales et qui, partout en Alg�rie et dans le monde, enfantent le courage et l�amour. Une pens�e fraternelle � mon ami Bahmane d�El Watan , digne fils d�El Bayadh et Kabyle authentique !