Nos inqui�tudes, parues le 15 f�vrier 2007 dans les colonnes du Soir d�Alg�rie, bien avant le d�but de ces carnages commis par des attentats kamikazes, se rapportant � des informations collect�es par les services de s�curit� et faisant �tat d�une forte probabilit� de l�apparition de terroristes kamikazes et le basculement de ce terrorisme alg�rien dans une cruaut� � l�irakienne se sont finalement r�v�l�es justes. Ce qui signifie de toute �vidence que les hautes autorit�s du pays savaient que ce risque existait. Pourquoi alors n�avaient-elles pas jug� utile de mettre en garde la population ? En cons�quence, l�accusation de la main de l��tranger formul�e par certains responsables politiques, relay�es par certains m�dias, sonne comme un aveu d�un �chec patent du pouvoir pour r�guler les soubresauts de l�islamisme politique ou arm�. Ce ne serait ni plus ni moins qu�une fuite en avant pour dissimuler des incomp�tences, voire plus. Il est � craindre par ailleurs que notre pays soit d�sormais entr� dans un cycle infernal qui risque de co�ter cher en vies humaines. Ce pessimisme est d�autant plus partag� par les sp�cialistes de la lutte antiterroriste que les politiciens au pouvoir persistent, malheureusement, � ne pas �couter. Selon les appr�ciations de sources s�curitaires, il est possible que le probl�me de recrutement des candidats au suicide par l�explosion ne pose pas de probl�me aux ��mirs� des phalanges du GSPC Al Qa�da Maghreb car ces derniers ont la latitude et les espaces pour recruter. De plus, seules se posent, selon toute probabilit�, pour eux les difficult�s li�es � la logistique n�cessaire � ce genre d�attaques et au choix des cibles � fort impact et accessibles aux groupes locaux. Il ne faut pas se leurrer, ce mouvement arm� poss�de l�organisation et la hi�rarchie de ses actions. Chaque katiba a des seriates charg�es chacune des finances (seriate el-mel), d�explosifs (seriate ettefdjir), de communications (seriate ettissal),... Il a int�gr� la dimension communication et intoxication de la vie sociale dans sa strat�gie et ce, depuis la prise de pouvoir de Droudkel. �Les attentats de Bouchaoui, de Dergana et de R�gha�a avaient pour objectifs la propagande et la relance de la machine de guerre du GSPC. Le jeune qui regarde les films montrant ces attaques par les assaillants serait tent� de s�engager dans le mouvement�, nous confiait un haut officier sp�cialis� dans la lutte antiterroriste qui avait visionn� � l��poque ces vid�os. C�est depuis ces agressions que les GSPC qui avaient entre-temps fait all�geance � Ben Laden qu�il a redoubl� de f�rocit�. A l�ombre d�un rel�chement d�coulant d�une conjoncture politique, il a eu la possibilit� de se refaire une sant�. On le sait, le GSPC a trouv� en la cha�ne de t�l�vision Al Jazeera un relais m�diatique qui touche la masse populaire. Cette communication en direction des jeunes et des adolescents a par malheur, donn� ses fruits puisque la quasitotalit� des nouvelles recrues ne d�passe pas la vingtaine d�ann�es. Les policiers de la BMPJ de Th�nia (w. de Boumerd�s) n�ont-ils pas neutralis�, r�cemment, un groupe de 16 jeunes qui pr�paraient des attentats � l�explosif ? Les policiers n�en revenaient pas de leur d�couverte ; 90% de l�effectif de ce groupe qui s�est engag� � d�poser des bombes �taient scolaris�s dans le cycle moyen. De l� � en faire des kamikazes, c�est un simple jeu d�enfants pour un ��mir�. Dans la division des t�ches, les grands attentats comme par exemple ceux de Batna et de Dellys ont �t� en effet pr�par�s, d'apr�s l��valuation des services de s�curit�, par la direction de ce mouvement. Les groupes territoriaux se contentent d�indiquer les cibles et d�apporter le soutien logistique. Une fois la technique ma�tris�e rien n�emp�chera les katibat de se lancer dans ce genre d�attentats. La motivation de ces massacres, les ��mirs� la puisent dans le laxisme du r�gime et sa compromission avec l�islamisme politique. Pour le GSPC Al Qa�da Maghreb, la chute de ce r�gime est une question de pers�v�rance. �Le sang a coul�, nous avions consenti des sacrifices, ils vous appartient de reprendre la rel�ve pour l�av�nement de la dawla islamia� disent les recruteurs du GSPC Al Qa�da Maghreb aux jeunes adolescents qu�ils isolent pour les endoctriner, particuli�rement les enfants des familles des terroristes abattus, plus expos�s mentalement aux griffes des islamistes arm�s. Le r�gime est aussi tomb� dans le pi�ge de l�isolement par rapport � la population. Accus� de corruption et de r�pression, il est d�sormais honni par la majorit� des citoyens. Les �lections du 17 avril et l�appel aux rassemblements du 9 septembre contre les attentats visant M. Bouteflika et celui ayant caus� le carnage de Dellys en sont les deux derni�res actions � caract�re populaire initi�es par le pouvoir ; elles ont rencontr� deux cuisants �checs. �La fin de ce r�gime sera dramatique pour les Alg�riens�, disait il y a quelques ann�es un homme politique de l�opposition alg�rienne. Sommes-nous en plein dedans ? Contrairement � ce que pensent certains qui sont tent�s par une position de m�pris � l�endroit des ces terroristes qui, selon eux, ne sont que des simples sanguinaires. Or, qu�au constat sur la r�alit�, il y a de quoi se poser de nombreuses questions. Ces terroristes ont une d�marche politique qui s�ins�re dans la faille b�ante laiss�e par l�incapacit� du r�gime qui est somm� � la fois d��radiquer l�action criminelle des islamistes arm�s et d�offrir une perspective � la jeunesse alg�rienne. Rem�morons � titre d�exemple deux actions de communication faites par l���mir� national du GSPC Al Qa�da qui avait rendu public, il y a quelques mois, deux communiqu�s. L�un sommait les Alg�riens de s��loigner des institutions li�es aux services s�curit� et au pouvoir, le second prenait � t�moin les populations et �d�non�ait le d�tournement de la libert�, de la dignit�, de la religion et les biens des musulmans par les potentats au pouvoir�. Ce dernier document a �t� distribu� au moment du d�roulement du proc�s Khalifa. En mati�re de r�cup�ration, c�est connu, les islamistes excellent. �Mousselate� clandestines, nouveau gisement de recrutement des jeunes Contrairement � ce que dit r�guli�rement le ministre des Affaires religieuses, des centaines de mosqu�es, celles notamment situ�es dans des zones retir�es sont en situation de d�laissement. Plus grave encore, des mousselate (petites mosqu�es pour les pri�res) sont �rig�es clandestinement. Les services de s�curit� nous citent le cas des sites des chalets des sinistr�s �lorsque une partie des victimes du s�isme a �t� relog�e, d�autres familles issues des milieux d�favoris�s ont occup� de nouveau ces chalets�, nous confie un haut grad�. Sa pr�cision se veut �galement une mise en garde adress�e aux autres responsables locaux quant � la situation sociale de ces cit�s en pr�fabriqu� qui h�bergent, par exemple dans la wilaya de Boumerd�s, environ 20 000 familles. Ces ensembles d�habitation voient le cadre de vie se d�grader de jour en jour o�, selon des sources s�curitaires, des recruteurs des groupes arm�s ont trouv� un terrain de pr�dilection pour l�embrigadement des jeunes. Ces sites sont compl�tement d�laiss�s par les APC et l�OPGI. Il existe m�me des milices islamistes secr�tes qui r�gentent certains de ces lieux. La floraison des cybercaf�s est aussi un gisement pour le recrutement de terroristes. A priori, personne ne demande des comptes aux g�rants de ces lieux sensibles. Seule la rentabilit� financi�re est prise en compte par ces derniers. Malheureusement, le grand drame pour notre pays se d�roule dans le silence de la campagne et des zones retir�es. Les r�seaux de soutien et de recrutement travaillent dans la transparence sans se soucier des repr�sailles. Pour d�crire le climat social dans lequel les recruteurs activent, nous rapporterons textuellement une conversation que nous avions eue avec deux jeunes aux alentours du village de Ouled Larbi, r�gion enclav�e et isol�e entre les communes de Cap-Djinet et Sidi- Daoud dans l�est de la wilaya de Boumerd�s. C��tait, dit-on, le fief de Hassan Hattab lorsqu�il tr�nait � la t�te du GSPC. Rencontr�s � l�or�e d�une petite for�t, Ahmed, 20 ans et Ali, 17 ans, nous les avions abord�s dans le cadre d�un reportage en mai 2004 sur les s�quelles du s�isme de 2003. Ahmed surveillait deux vaches et Ali l�accompagnait. Apr�s les salutations, la conversation s�est engag�e de mani�re tout � fait d�contract�e puis une question survient : �comment vivez-vous les jeunes ? Quelle est votre situation sociale ?� C�est le plus �g�, Ahmed, qui pointe son doigt vers l�un des animaux et ass�ne tr�s s�rieusement : �Tu vois cette vache : la seule diff�rence qui existe entre elle et moi c�est qu�elle, elle mange de l�herbe et ne parle pas.� Quelque peu d�sar�onn� par cette r�ponse, nous avions tent� de relancer la discussion. �Quand vous vous rencontrez entre jeunes de votre �ge de quoi parlez-vous ?� �Des sangliers, des chacals�, r�pond Ahmed. �Vous rendez-vous en ville de temps en temps, par exemple � Bordj-Mena�el ou � Boumerd�s ?� �Je ne me suis jamais rendu � Boumerd�s� affirmait Ahmed. A rappeler que cette ville est situ�e � environ 40 kilom�tres des lieux et que les moyens de transport sont disponibles. �Regardez-vous la t�l�vision ?� �Nous n�avons pas la parabole mais de temps en temps je regarde l�ENTV.� Nous avions par la suite de fa�on pr�m�dit�e abord� les questions politiques pour situer ces deux jeunes au demeurant fort sympathiques. �Lors des �lections pr�sidentielles, vous aviez vot� pour qui ?� �Je n�ai pas vot� mais si j�avais vot� j�aurais choisi Bouteflika�, dit Ahmed. �Pourquoi ?� �Parce que Bouteflika nous prot�gera des militaires qui nous frappent � �Est-ce qu�ils t�ont d�j� frapp� ?� ��Non. Ils ne viennent que tr�s rarement par ici.� �Et toi Ali ?� �Non jamais.� �Alors pourquoi vous dites que les militaires frappent les jeunes ?� Ahmed, d�une voix h�sitante dit �les gens parlent. Ils disent que les militaires frappent les jeunes.� Ces jeunes, comme des milliers dans les villes et les villages de la wilaya de Boumerd�s ou des centaines de milliers � travers le territoire national, on l�aurait s�rement not�, vivent dans des milieux marginalis�s au sein desquels la crise �conomique fait des d�g�ts et le vide culturel laisse des br�ches b�antes. D�s lors, l�islamisme violent devient un refuge. A cette situation s�ajoutent la confusion r�gnante dans le pays, la corruption qui gangr�ne la soci�t� et l�injustice sociale mal v�cue par les jeunes. Les d�rapages verbaux des dirigeants du pays, pass�s � rassasier par une t�l�vision officielle aux ordres, ne sont pas de nature � att�nuer �le qui tue qui ?� qui surgit in�vitablement apr�s chaque attentat et qui est relay� par les �l�ments de soutien aux groupes terroristes au sein des milieux populaires sevr�s de communication constante, transparente et cr�dible. Tous ces ingr�dients sont de nature � faciliter le travail de sape et de recrutement des groupes arm�s. Les failles dans le processus politique du pays en mati�re de lutte antiterroriste ont gravement cass� les ressorts de la soci�t�. La r�sistance citoyenne a recul�. Bien pire, les Alg�riens seraient-ils tomb�s dans une sorte de fatalisme ? Est-ce le syndrome de Djeha ? Les recruteurs sont plus dangereux que les terroristes �Les recruteurs sont plus dangereux que les terroristes. Ils pourvoient en effectif les groupes arm�s. Ils travaillent dans l�ombre, ils ne s�impliquent jamais dans les actes de terrorisme et ne sont pas par cons�quent fich�s chez les services de s�curit� d�o� les difficult�s de les neutraliser. La nouvelle donne politique nous interdit de s�en approcher.� Cette confession �manait d�un responsable vers� dans la lutte antiterroriste. D�cod�e, celle-ci sugg�re que la politique permissive en direction des islamistes induite par la r�conciliation nationale est devenue un handicap pour secouer le cocotier et lancer des investigations s�rieuses. �Les r�seaux de soutien travaillent presque publiquement�, s�indignait un responsable bien introduit dans la commune de Sidi- Daoud dans la wilaya de Boumerd�s. Ces recruteurs s�attaquent de pr�f�rence aux jeunes et adolescents des familles de terroristes qui sont pr�dispos�s pour des raisons �videntes � prendre le maquis. Les policiers de Thenia, qui ont neutralis� le groupe qui allait s�vir dans cette localit�, avaient constat� que tous les adolescents arr�t�s sont issus de familles nombreuses. Des individus fragilis�s psychologiquement sont �galement leurs cibles. �Toutes les nouvelles recrues du GSPC n�ont aucune formation �, constate un officier sup�rieur. Le climat politique d�l�t�re du pays a d�stabilis� la jeunesse pouss�e au suicide en haute mer �nous n�avons pas vot� parce que ceux qui nous gouvernent ne nous consid�rent pas comme des Alg�riens. Ils nous ont m�me interdit la fuite. On leur laisse le pays et ils nous laissent la possibilit� d�aller ailleurs�, nous r�pondait un groupe de jeunes de la commune de Si- Mustapha au soir du 17 avril 2007, pour expliquer leur abstention au scrutin des l�gislatives. Il y a mille fa�ons de couper l�herbe sous les pieds de recruteurs �dans la lutte antiterroriste le klasch n�interviendrait normalement qu�en dernier; apr�s le religieux et le politique�, estime un officier qui a une longue exp�rience dans cette lutte. Malheureusement, pour l�heure c�est le seul instrument utilis� pour contenir la hargne mortelle du GSPC El Qaida Maghreb. Pour r�pondre aux vives inqui�tudes des citoyens, il y a quelque mois nous �crivions que le terrorisme conservait certes des capacit�s de nuisance et qu�il pouvait causer des d�g�ts et des drames mais qu�il �tait dans l�incapacit� de d�stabiliser gravement les �quilibres locaux et r�gionaux. Cependant, depuis, la situation sociopolitique du pays a �volu� dans le sens n�gatif, de plus l�affaiblissement du pouvoir qui s��loigne de plus en plus des pr�occupations des Alg�riens, et partant de cet amer constat, d�aucuns sont tent�s de se poser maintenant la m�me question en tenant compte de la nouvelle strat�gie des islamistes de tous bords. L. H.
LE SOCIOLOGUE AROUS ZOUBIR EXPLIQUE : "L'Etat est responsable de cette situation" Entretien r�alis� par Rosa Mansouri Sociologue et chercheur au Centre de recherche en �conomie appliqu�e pour le d�veloppement, le professeur Arous Zoubir est l�auteur de plusieurs livres et �tudes sur l�Islam, les associations � caract�re islamique, sur la religion et la soci�t�. Dans cet entretien, il livre son analyse de la situation s�curitaire en Alg�rie et les op�rations kamikazes men�es par de jeunes adolescents, recrut�s par les groupes arm�s. Comment expliquez-vous ce nouveau ph�nom�ne des op�rations kamikazes men�es par des adolescents alg�riens, au profit des groupes islamistes arm�s ? Arous Zoubir : Je crois que les Alg�riens ont la m�moire tr�s courte. La violence en Alg�rie n�est pas un fait nouveau et ne date pas d�aujourd�hui. Nous poss�dons cette force de croire, � chaque fois, que ce que nous vivons est particulier. Or, l�histoire nous rattrape et nous devons prendre compte de cela. La violence en Alg�rie, dans la rue ou dans le maquis, a pris forme par la Constitution, au d�but des ann�es 1980, de la premi�re organisation islamiste arm�e, fond�e et dirig�e par Mustapha Bouyali, ancien capitaine de la wilaya IV. Celui-ci a lanc� une v�ritable guerre contre les militaires. Par la suite ont suivi, les �v�nements d�octobre 88, port�s par un malaise social et identitaire. Ainsi, si nous analysons ces donn�es historiques, nous constatons que les enfants �g�s, aujourd�hui de 17 ans, pourraient �tre la prog�niture des premiers groupes arm�s. Ces derniers ont enregistr�, pendant ces ann�es, plusieurs transformations, passant du GIA caract�ris� par des massacres collectifs, � l�AIS et en dernier en Groupe salafiste pour la pr�dication et le combat (GSPC). Pour rebondir et semer la terreur, ces groupes arm�s appliquent de nouvelles m�thodes comme les bombes humaines, ou ce qu�on appelle les kamikazes. Ce que � quoi nous faisons face aujourd�hui, est malheureusement l�aboutissement logique d�un mouvement de violence permanent qui se reproduit sous plusieurs formes. Un jeune coll�gien a fonc� avec un v�hicule bourr� d�explosifs dans une caserne. Quelle analyse faites-vous d�un tel acte suicidaire ? Oui. Ce jeune a 15 ans. D�autres en ont moins. Mais pour comprendre cet acte, il faut aller dans les quartiers populaires o� habitent ces enfants. Ce n�est pas pour justifier cet acte, mais il y a une r�alit� que nul ne doit occulter. La vie de ces adolescents ressemble � celle des animaux. Il est important de signaler �galement que le syst�me �ducatif n�est pas enti�rement � bl�mer dans cette situation, pour la simple raison qu�il ne produit ni des lumi�res ni des terroristes. C�est un syst�me d�faillant � plus d�un titre. Notre jeunesse est dispers�e, abandonn�e, laiss�e pour compte. Et lorsqu�un jeune atteint ce degr� de malvie et d�exclusion sociale, il devient vuln�rable. C�est ainsi qu�il est rep�r� et amadou� par les pr�cheurs de la violence et destructeurs, qui lui font subir un lavage de cerveau. Comment et o� se fait le recrutement de ces �futurs kamikazes� ? Le recrutement se fait tout simplement dans les quartiers populaires. L� o� l�Etat et la soci�t� civile sont absents. A l�exception des heures de classe, les jeunes sont priv�s de tout espace de loisir. Il n� y a pas de Maisons de jeunes, ni d�encadrement associatif ni autre occupation. Les mosqu�es sont les seuls endroits rest�s ouverts � la jeunesse. Dans ces mosqu�es se trouvent des imams salafistes. Ce sont de bons parleurs qui pr�chent la religion � des fins diaboliques. Ils finissent souvent par endoctriner ces adolescents avant de les �int�grer� dans les groupes arm�s. Ces jeunes n�ont pas de connaissances religieuses. Ils ont juste besoin d��tre rassur�s sur leurs capacit�s de participer � la vie sociale et de changer des choses. C�est toutes ces �nergies positives chez les jeunes, que les pr�cheurs de violences mettent en avant de la personnalit� de l�adolescent d�sesp�r�, pour d�abord le valoriser puis l�instrumentaliser. Car si l�on revient � l�Islam, cette religion � l�instar de toutes les religions d�ailleurs, interdit le suicide, sous toutes ses formes. Donc, en se faisant exploser, ces Alg�riens (kamikazes) veulent se suicider ? En r�alit�, le mot kamikaze est un mot japonais qui veut dire �combattre l�ennemi�. Il a �t� utilis� durant la Deuxi�me Guerre mondiale. Actuellement, c�est un concept beaucoup plus m�diatique qu�autre chose. Il ne peut pas s�appliquer sur nos jeunes, parce qu�il n� y a pas d�ennemi � combattre. Les kamikazes en Alg�rie n�ont pas d�objectif politique � atteindre. La finalit� d�un tel acte est le suicide pour �chapper � une r�alit� am�re, � un v�cu difficile devenu insupportable. Croyez-vous que le kamikaze a les m�mes motivations que le harrag ? Effectivement. Pour l�un et l�autre, le but est de rejoindre un paradis imaginaire. Si pour le kamikaze, la religion est la voix du paradis, l�Europe reste le deuxi�me paradis de beaucoup de jeunes Alg�riens. La mort est, cependant, l�outil, voire le moyen pour y parvenir. Les Alg�riens n�ont plus peur d�affronter la mort. Qu�est-ce qui a pouss� l�Alg�rien � devenir suicidaire ? Il faut pr�ciser que la d�viation des jeunes adolescents vers des op�rations de ce genre ne r�pond � aucune id�ologie politique ou religieuse. Ils se suicident peut-�tre au nom de cette derni�re, mais en aucun cas, pour la religion. Ce qui est encore plus grave, c�est que le suicide qui �tait un acte individuel devient collectif. Les harragas prennent la mer par dizaines et les kamikazes choisissent les foules pour se faire exploser. Ces derniers sont toutefois encadr�s par des groupes fanatiques. Dans les deux cas, l�Alg�rien fuit un v�cu, une situation. La crise socio�conomique que vit la jeunesse est � l�origine de ce d�sespoir. Le suicide n�est pas un inn� chez l�homme. C�est l�extr�mit� du malvivre, de la d�ception. D�ailleurs, � la derni�re minute qui pr�c�de l�acte, le suicidaire enregistre un moment d�h�sitation. Ce moment est celui de l�espoir et c�est � cet espoir, l� que nous devons nous attacher. La jeunesse alg�rienne est-elle sur le point d�exploser ? Elle est d�j� en explosion et en d�composition. L�Etat doit revoir en urgence sa politique envers la jeunesse. Le contexte social, culturel et �conomique n�est plus celui qu�il �tait il y a deux d�cennies. Les jeunes d�aujourd�hui sont tr�s curieux et conscients de ce qui se passe dans le monde. Ils assistent au d�veloppement et � la modernit� sans y participer. Ils ne comprennent pas pourquoi, dans un pays aussi riche que l�Alg�rie, ils sont exclus, marginalis�s et m�pris�s. Les nouvelles technologies de l�information ont donc une influence directe sur la jeunesse ? Les TIC peuvent rendre chaque individu expert dans la construction ou dans la destruction. Chez nous c�est la destruction qui r�gne. Le taux �lev� des dipl�m�s ch�meurs, la pauvret� qui prend de l�ampleur, la mont�e de l�islamisme sont des facteurs favorables � la croissance des suicides et aussi de la violence. L�Alg�rien cherche dans son environnement des r�ponses � tous ces paradoxes de la soci�t� et quand il ne trouve pas de r�ponse, quand toutes les portes restent ferm�es et que la situation se d�grade davantage, ce jeune Alg�rien cherche l�alternative. Le ph�nom�ne des kamikazes est une cons�quence directe de la sourde oreille affich�e par l�Etat � l��gard de la jeunesse. Vous voulez dire que l�Etat a nourri le terrorisme ? En r�alit�, l�Etat n�a jamais rien fait pour sauver sa jeunesse. Il l�a, au contraire, mise en p�ril, l�a handicap�e jusqu�� en faire des suicidaires par circonstances socio�conomiques. Le suicide n�est pas une conviction religieuse. L�utilisation de celle-ci � des fins suicidaires est une grave d�rive � laquelle s�adonnent malheureusement, de nombreux imams et religieux dans notre pays. Ces fanatiques exploitent les conditions difficiles des familles, pour r�cup�rer les plus jeunes des enfants, les plus fragiles et vuln�rables, afin qu�ils accomplissent des actes terroristes ignobles. L�Islam subit, � cause de ces pr�dicateurs, un d�voiement. Il est d�form� de sa v�ritable vocation, celle de la religion de la paix et de la cl�mence. O� se situe la faille ? Il existe dans nos mosqu�es des pr�cheurs de violence. Mais il y a �galement des hommes de bonne foi, des oulema qui ma�trisent parfaitement la religion, qui, malheureusement, n�ont jamais jou� leur r�le. O� sont-ils ? Et qu�est-ce qu�ils ont fait pour emp�cher les jeunes de prendre le mauvais chemin. Le minist�re des Affaires religieuses qui devait contr�ler les lieux de culte a aussi failli � sa mission. Toute cette communaut� de religieux a un r�le tr�s important � jouer dans les quartiers populaires. Tout le monde sait que les jeunes fr�quentent de plus en plus les mosqu�es, alors il est imp�ratif d�aller vers eux, de les �couter et de les conseiller. C�est l� o� se situe �galement le r�le des associations religieuses � qui incombe une grande responsabilit� de sensibilisation des citoyens, sur les d�rives de l�utilisation malintentionn�e de la religion. Nous avons en Alg�rie des cadres form�s en sciences islamiques et religieuses qui doivent aujourd�hui assumer leurs responsabilit�s. Quel est le r�le des partis politiques ? La grande fissure se trouve aussi, � ce niveau. Les partis islamistes qui se disent corrects et droits et qui ne cessent de d�noncer le terrorisme, ont d�sert� le terrain depuis des ann�es, � un moment o� ils devaient plus s�imposer pour inculquer la culture de la paix et de la tol�rance aux enfants. Les croyances religieuses ont ainsi disparu pour laisser place au fanatisme religieux et � la violence. N�ayant aucun rep�re �ducatif et religieux, les jeunes adolescents ont �t� livr�s � un discours � la fois religieux et populaire qui reposait sur la d�nigration du syst�me politique et de ses dirigeants. Les pr�cheurs de violence profitaient de la sensibilit� et la na�vet� de ces bambins pour semer la col�re et la haine. Il faut aller dans les quartiers populaires et constater l�absence totale de la classe politique et de la soci�t� civile. Les bureaux des partis politiques servent durant les �lections uniquement. D�ailleurs, les l�gislatives pass�es ont d�montr� clairement le recul pris par les citoyens par rapport aux partis politiques. �Les fid�les�, ces Alg�riens attach�s � la religion n�ont pas compris, non plus, le revirement des partis islamistes, qui apr�s avoir appel� au djihad et � la violence, ont opt� pour la r�conciliation nationale, sans argumenter leur retournement. C�est ainsi qu�une partie des partisans islamistes ont maintenu l�appel au djihad et ont rejet� la r�conciliation nationale. Et qu�en est-il de l�affiliation du GSPC � l�organisation terroriste Al Qa�da ? J�ai des difficult�s � admettre que Ben Laden se trouve dans des casemates et qu�il serait � l�origine des op�rations terroristes en Alg�rie. Du point de vue organisationnel et fonctionnel, ces deux organisations terroristes ne travaillent pas en collaboration. Cependant, il faut retenir qu�elles sont li�es id�ologiquement. La guerre en Irak est un alibi tr�s convainquant pour le GSPC dans ses recrutements des jeunes adolescents. L�Alg�rien n�aime pas la hogra, ni l�humiliation. Ce qui s�est pass� et se passe en Irak a profond�ment marqu� les esprits. Le GSPC a profit� de cette conjoncture pour lancer sa �campagne de recrutement de jeunes guerriers �, qu�il devait envoyer en Irak. C�est compl�tement faux. Le GSPC n�avait aucune intention d�envoyer des combattants en Irak, mais voulait renouveler ses structures en Alg�rie pour se maintenir. L�Irak, c�est l�instrument et non pas la finalit�. C�est plut�t la position humiliante et peu courageuse des pays arabo-musulmans, l�Alg�rie y compris, concernant la question irakienne, qui a encourag� ces jeunes � monter aux maquis et � prendre les armes. Ces groupes terroristes ont r�ussi l� o� le syst�me politique alg�rien a �chou�. Ils ont r�ussi � mobiliser des jeunes adolescents et les convaincre de se rallier � leur cause. Ce qui est d�solant dans toute cette situation, c�est la r�action inconsciente de l�Etat. Les propos tenus par nos politiciens ces derni�res semaines, attribuant cette trag�die � la pr�sence d�une �main �trang�re�, sont compl�tement irresponsables. La r�alit�, c�est que le GSPS a pris lui-m�me l�initiative de s�affilier � Al- Qa�da et non pas le contraire. Donc, nous devons chercher des r�ponses � cette affiliation. Le GSPC s�est invent� cette alliance afin de b�n�ficier d�un large effet m�diatique. Vous voulez dire que l�Etat a une part de responsabilit� dans la d�gradation de la situation s�curitaire ? Enti�rement. L�Etat n�a pas jou� son r�le envers la jeunesse. Il l�a abandonn�e. Notre jeunesse a besoin d��tre �cout�e et comprise. Il est imp�ratif aujourd�hui de prendre en charge les probl�mes et les dol�ances de cette frange de la soci�t�. Il faut une prise en charge r�elle et effective. Les Alg�riens refusent et rejettent la charit� du gouvernement et la solidarit� occasionnelle que celui-ci affiche � chaque grand �v�nement. Les diff�rents m�canismes et dispositifs mis en place jusque-l�, � savoir l�emploi de jeunes ; l�Ansej et l�Anem, ont d�montr� leurs limites et �checs. Ils ne r�pondent pas aux aspirations des Alg�riens. Le pouvoir doit r�fl�chir � mettre en place une politique claire de prise en charge de la jeunesse. C�est la seule cl� pour retrouver la stabilit� et assurer la protection � nos enfants.