Qui parmi les nombreux adeptes d�un nouvel ordre social, de Spartacus � Hugo Chavez, en passant par les Qarmates et Rudolf Hilferding, peut bien prof�rer avec une telle assurance le verdict suivant : "Pourquoi le capitalisme, qui a �t� une si grande r�ussite, n'est-il, au fond, pas accept� par la plupart des gens ? Parce que l'opinion g�n�rale est que ses lois sont injustes." Tout faux. Il s�agit d�Alan Greenspan, dont les M�moires (The Age of Turbulence, L'�ge des turbulences) � dont des extraits ont �t� publi�s hier par le Figaro - font actuellement grand bruit partout dans le monde. Il est vrai que l�auteur du propos n�a plus rien � perdre, ni � gagner. A 81 ans, apr�s de longues ann�es de bons et loyaux services � la t�te de la Federal Reserve et de mirobolantes avances sur droits d�auteur (8 millions de dollars), il peut sans risque aucun donner libre cours � ses �tats d��me. N�emp�che, Greenspan n�est pas n�importe qui. Il est enseign� dans les �coles d��conomie pour son �exub�rance irrationnelle des march�s� par laquelle il a motiv� la neutralit� et la non-intervention de la R�serve f�d�rale lors de la crise de �la bulle �lectronique� � la fin du si�cle dernier. Plus accessoirement, il est connu pour �tre associ� � l��laboration de la �r�gle Greenspan-Guidotti � (Pablo Guidotti est l�ancien vice-ministre des Finances de l�Argentine), r�gle applicable aux r�serves internationales. D�apr�s cette r�gle, les pays doivent cibler un niveau de r�serves qui couvre enti�rement la dette ext�rieure � court terme. La r�gle d�or plus classique suivie par les d�cideurs est de viser un niveau de r�serves �quivalent � trois mois d�importations. A partir de cette r�gle, il a �t� �tabli un mod�le de calcul du niveau optimal de r�serves dans une �conomie de march� �mergente correspondant � un ratio r�serves/PIB de 10 %. Est-ce � dire qu�il est contre-indiqu� de liquider la totalit� de ses dettes comme l�ont fait les d�cideurs alg�riens ? Contrairement aux apparences, les paiements anticip�s constituent en effet un transfert de richesses suppl�mentaire du Sud vers le Nord et servent donc en priorit� les int�r�ts des anciens cr�anciers. Certes, ces derniers �perdent� de l�argent en ne touchant plus les int�r�ts li�s aux mensualit�s, mais ils font ch�rement payer � leurs d�biteurs leur libert� retrouv�e en leur imposant, tenez-vous bien, des �indemnit�s d�avance !�. La Russie vient par exemple de n�gocier le rachat de sa dette au Club de Paris, �valu�e � 22,3 milliards de dollars, en s�acquittant d�une indemnit� de remboursement anticip� d�un milliard de dollars... Cette situation est d�autant plus paradoxale que le d�sendettement ne signifie pas que le gouvernement alg�rien n�a plus l�intention de recourir aux cr�dits ext�rieurs. Les remboursements anticip�s visent surtout � am�liorer son rating, lui permettant de contracter des nouveaux pr�ts � des taux plus avantageux. La parenth�se �tant ferm�e, plus g�n�ralement Greenspan est connu pour avoir loyalement servi l�administration ultralib�rale Bush pendant six ann�es. Si ses aveux sont un t�moignage in�dit du c�t� sombre, arrogant et excessif du capitalisme � son stade n�o-lib�ral, sa face lumineuse tarde � �clairer le monde. En mati�re de libert�s, de d�mocratie et de droits de l�homme, chaque jour qui passe apporte son lot de d�mentis aux vertus morales proclam�es. Greenspan lui-m�me en est convaincu : "Je suis triste que ce soit un probl�me politique de reconna�tre ce que chacun sait : la guerre en Irak �tait largement li�e au p�trole." L�ex-grand argentier de l�hyper-puissance am�ricaine rejoint ainsi les th�ses les plus apocalyptiques sur l�issue que nous r�serve une direction des affaires du monde aux mains des n�o-conservateurs dans un monde unipolaire. Au registre des th�ses les plus inattendues figure un autre �crit. : The Shock Doctrine. The Rise of Disaster Capitalism, de Naomi Klein, un pav� de 544 pages, �crit par une jeune auteure de 37 ans, paru chez Metropolitan Books et dont on attend la traduction fran�aise au printemps prochain chez Actes Sud. Pour Naomi Klein, toutes les catastrophes, humaines et naturelles (l'ouragan Katrina qui a ravag� la Nouvelle- Orl�ans, la guerre en Irak, l'�re postcommuniste en Pologne, et m�me le massacre de la place Tiananmen, � P�kin) sont issues de ce qu�elle qualifie de �capitalisme du d�sastre�. Pour dire qu�aucun secteur n�est � l�abri des ravages qu�il occasionne. L�explication est dans la forme de capitalisme devenue dominante (�l�anglo- saxon� ou financier) qui induit des capitalisations boursi�res cons�quentes syst�matiques. Ce �p�ch� mignon� a pour corollaire de perdre de vue le capital humain, devenu pourtant plus important que le capital financier. Le capital humain est, en effet, un nouvel acteur d�terminant de la cha�ne de valeurs et, dans la guerre �conomique, les talents sont d�cisifs. De ce point de vue, le capitalisme financier est singuli�rement sous-�quip� : ses outils de mesure comptables ne prennent quasiment pas en compte le facteur humain. L�in�galit� est son essence, hors de toute morale et de toute �thique, religieuse ou rationnelle. Dans L'Homme �conomique : essai sur les racines du n�olib�ralisme, paru cet �t� chez Gallimard, Christian Laval, un historien de la philosophie, par ailleurs altermondialiste tr�s actif, s�exerce � une architecture de la pens�e �conomique n�olib�rale et � une g�n�alogie de l�utilitarisme, aujourd�hui dominant, pour fixer le basculement qui s�est produit lorsque les valeurs morales, qu'elles soient d'origine religieuse ou autre, sont remplac�es par la seule logique de l'int�r�t. De ce point de vue, m�me les valeurs religieuses, si pr�cieuses dans un pass� r�cent, lorsqu�il s�agissait de les mettre � profit pour contenir le mouvement de lib�ration nationale et sociale, passent aujourd�hui pour �tre subversives, voire �terroristes�. Par ailleurs, on constate que, cal� sur la seule logique financi�re qui privil�gie les actionnaires, le mod�le anglo-saxon accuse une autre faiblesse : la tyrannie du court-termisme impos� par les r�sultats trimestriels rend myopes les �conomies qui doivent investir sur la dur�e. Le capitalisme aurait donc la vue courte, laissant aux Etats les investissements longs comme les infrastructures ou les politiques de recherche, notamment pour les domaines strat�giques, au prix d�un endettement public inextricable. N�anmoins, force est de reconna�tre que le syst�me � fond� sur l�accumulation du capital et le rapport de domination de ce capital sur le travail � m�me s�il est fondamentalement injuste demeure, pour le moment, formellement plastique, souple. Au-del�, jamais la coh�rence du lib�ralisme �conomique comme organisation optimale et efficace n�a �t� si bien mise � nu, au point o� l�on se surprend � applaudir la chute du Mur de Berlin et l�effondrement de l�Union sovi�tique : ces �v�nements ont servi de r�v�lateur aux avatars du syst�me adverse. Ce que autorise l��minent Joseph Stieglitz, prix Nobel d��conomie en 2001, � constater que �les fondements intellectuels du fanatisme du march� ont �t� d�truits�*. * Un autre monde. Contre le fanatisme du march�, �d. Fayard, Paris 2006.