Il y a des lieux o� la sensibilit� et la compassion humaines sont plus suscit�es qu�ailleurs tels que les mosqu�es, les h�pitaux ou bien encore les cimeti�res. Dans les maqabir (cimeti�res), la piti� est plus que vive de par l��motion qui se d�gage des lieux et qui pousse les visiteurs � �tre plus sensibles � la mis�re humaine et plus charitables. La charit�, des personnes sans foi ni loi en usent et en abusent jusqu�� en faire une profession. Comment s�organisent-elles ? Y a-t-il un r�seau ? Et combien gagnent-elles ? C�est pour r�pondre � ces questions que durant toute une matin�e, celle de vendredi dernier, jour o� ce lieu est le plus fr�quent�, que nous sommes all�s au cimeti�re El-Alia. Un dr�le de man�ge, plut�t sordide, se d�roulait sous nos yeux. Reportage r�alis� par Meriem Ouyahia � Sadaka yal moumnin� (une aum� � les croyants), � sadaka fi sabili Allah� (une aum�ne en direction de Dieu) ou encore � sadaka li ouadjhi Allah� (une aum�ne au nom de visage de Dieu�, telles sont les litanies qui apostrophent les visiteurs � l�entr�e du cimeti�re d�El- Alia. Une horde d�enfants de tous �ges et des deux sexes vous agrippent ou s�accrochent � votre voiture faisant oublier aux visiteurs de dire la pri�re pour entrer dans ce lieu sacr�. C�est le welcome dans le business mendicit� dans les cimeti�res. Un filon morbide mais bien juteux. S��tendant sur une superficie de 80 hectares, El-Alia est le plus c�l�bre des cimeti�res alg�riens. Il y est recens� pr�s de 200 mendiants entre hommes, femmes et enfants qui y �travaillent� le vendredi. Beaucoup d�entre eux sont devenus des habitu�s et ont fini par tisser des liens quasi amicaux avec les agents de s�curit� et autres fossoyeurs. La mendicit� par filiation V�tements crasseux, serr�s et trou�s, les enfants au corps fr�le qu�mandant quelques sous aux visiteurs contre des fleurs ou du rihann font piti�. Certains d�entre-eux demandent ou plut�t exigent l�aum�ne. Des adultes sont assis � m�me le sol. Des femmes en nombre �galement. Drap�es dans des djellabas noires, grises ou marron, ces femmes se cachent le visage derri�re un adjar ne laissant perceptibles que les yeux. Vous les croiseriez un jour de semaine dans les ruelles de la ville, l�id�e d�imaginer le m�tier qu�elles exercent ne vous effleurerait m�me pas l�esprit (Pour certaines d�entre elles s�entend !) Des hommes sont �galement l�. Debout pour la majorit� d�entre eux, ils feignent de s��chiner le dos pour mieux tromper les visiteurs des tombes. Un invalide est assis sur une chaise roulante. Pour seule protection contre les agressions du soleil ao�tien, il porte une casquette. Un petit bol en plastique rouge sur les genoux. A l�inverse du reste de la �meute�, il a choisi de ne dire mot. Apparemment, c�est sa technique � lui. Son seul handicap est son fonds de commerce. A peine l�entr�e principale franchie qu�un autre infirme dont l��ge avoisine la quarantaine est l� aussi. Seule la t�te est garnie d�un bonnet en vieille laine rouge. Le visage creus� par le soleil, il a une barbe de quelques jours. Celui-ci est accompagn�. Un petit gar�on � peine la dizaine entam�e lui sert de faire-valoir de mis�re. Un autre atout, semble-t-il. Avec un bambin �a rapporte plus. C�est ce dernier qui est charg� de recueillir la monnaie des mains des visiteurs, notamment ceux en voiture. �C�est mon fils. Il est �g� de 10 ans et demi�, nous dira ce mendiant. Au fil des minutes qui s��gr�nent, le petit sera relay� par deux jeunes adolescentes, ses s�urs. (L�une est post�e � l�entr�e du cimeti�re, l�autre sillonne les all�es entre les carr�s d�El-Alia). Leur p�re nous apprendra qu�il a sept enfants et qu�ils habitent � Baba-Ali. Il ne pr�cisera pas si tous ses rejetons font la manche avec lui. Ainsi, chacun de ces quatre mendiants a sa place et sait ce qu�il doit faire et � quel moment. Il en est de m�me pour leurs �coll�gues�. Idem pour cette vieille femme assise � l�entr�e de la p�pini�re se trouvant au premier tournant � gauche de l�entr�e principale d�El- Alia. Elle para�t si vieille, qu�on ne pourrait lui attribuer d��ge. Aveugle, toute rid�e, la t�te entour�e d�un foulard, elle tend la main. Aucun son ne sort de sa bouche. Tremblotante, elle est assise � m�me le sol sur une peau en laine. Et pourtant sa chaise roulante est juste � c�t� d�elle. Nous voyant engager la conversation avec elle, un appel nous parvient. C�est celui d�une femme portant un fichu qui gesticule et crie tout en restant assise sur son banc de l�autre c�t�. Nous apprenons plus tard qu�il s�agissait de sa fille. Elle ne mendie pas mais surveille son ascendante. Une tombe fra�che, et les mendiants l�entourent C�est autour des nouveaux carr�s que les mendiants sont plus nombreux. Femmes, enfants et hommes s�y trouvent en masse. Affect�s au plus profond d�eux par la disparition r�cente d�un parent ou d�un proche, les visiteurs de ces tombes apportent avec eux des vivres � offrir. Non loin d�un de ces carr�s, un homme, propre portant une tunique bleue, est d�bout. Il tient dans la main un sac transparent dans lequel se trouve un sachet de lait. Il tend la main discr�tement tout en continuant � marcher et � scruter l�horizon. En fait, nous comprenons qu�il est en train de filer deux autres femmes. L�une d�entre elles tient un enfant en bas �ge. Elles aussi s�adonnent � la manche. Tout ce qu�on leur donne (pain, lait, v�tement�) sont automatiquement mis dans des petits sacs. Et c�est en fin de matin�e que les mendiants commencent � empaqueter leurs affaires. Ceux qui sont charg�s de les aider et de les surveiller pointent donc le nez. C�est le cas pour ce handicap� assis sur un tabouret � l�entr�e du cimeti�re. Son fr�re, d�sign� en tant que tel par les agents de s�curit�, est venu lui vider les poches. Hallucinant ! on croirait � un distributeur automatique de billets et pi�ces de monnaie. Les esp�ces sonnantes et tr�buchantes sont mises dans un sachet. Une somme importante est ainsi amass�e apr�s quelques heures. Un impotent durant cette journ�e peut amasser entre 3 000 et 4 000 DA nets d�imp�t. Quant � un adulte et sans enfant, la somme varie au bas chiffre, selon les �experts� de ces lieux, entre 600 et 700 DA. De quoi faire p�lir plus d�un ! C�est une mendiante venue de Ouargla, comme chaque ann�e, qui nous le confiera. Accompagn�e de sa fille et de son fils, elle arrive de cette wilaya en d�but de saison pour faire la manche. �Durant la semaine, j�emm�ne mes enfants � la plage. Et le vendredi, je suis l�, nous dira-t-elle. La m�tamorphose Aux environs de 11h 45, les visiteurs se font de plus en plus rares. Les mendiants commencent � ramasser leur attirail et leurs gains. Et, une sorte de ballet se met en place. Il s�agit plut�t d�un spectacle de transformation ou de m�tamorphose. Ce sont les enfants qui changent d�habit en premier. La jupe mal lav�e, d�chir�e et froiss�e laisse place � un pantalon jean. Le foulard se transforme en sorte de bandana qui couvre les cheveux d�une fa�on plus esth�tique. Et la kachabia laisse place � un bel ensemble blanc ou bien � une robe plus attrayante. La touche finale est juste devant la porte de sortie. Plus pr�cis�ment devant le robinet d�eau. Les enfants sont lav�s et coiff�s. Les adultes font de m�me avec un peu plus de minutie. Toutes les traces de poussi�res ont disparu. Et pour les invalides, c�est une autre paire de manches. Aux environs de midi, la vieille femme rid�e est mise sur sa chaise roulante par sa fille. Elle est conduite tout doucement vers la sortie. A peine le temps d�arriver qu�une fourgonnette bleue arrive. La vieille femme monte p�niblement avec l�aide du chauffeur et de sa fille. Cette derni�re plie la chaise et monte. Ceci non sans avoir injuri� notre photographe. La m�me sc�ne se reproduira pr�s d�une demi-heure plus tard. Une vieille voiture blanche entre dans le cimeti�re. Elle se gare � proximit� du handicap� assis sur un tabouret rose. Le mendiant se l�ve ! Le chauffeur prend le tabouret et le met dans le coffre. Et tout ce beau monde reprend le chemin de la sortie. Seul le handicap� � la sortie du cimeti�re est encore l�. Les agents de s�curit� pr�ciseront que sa famille viendra le r�cup�rer � 19h comme d�habitude. Ces familles renti�res d�un autre genre laissent derri�re elles un sol jonch� d�habits usagers dont elles ne voulaient pas, des bouteilles d�eau vides et surtout de l�incr�dulit� dans le regard de ceux qui ont suivi leur man�ge de bout en bout. M. O. Pas si fou que �a... Un gros chapeau en laine sur la t�te, les yeux � peine visibles, une imposante barbe blanche sale, une djellaba bleue tach�e sous laquelle on peut distinguer un costume bleu marine. C�est ammi Abdelhalim, assis au m�me endroit au pied d�un vieil arbre � l�entr�e du cimeti�re d�El-Alia. Entour� de plusieurs sacs, il ne cesse de r�citer les versets du Saint Coran aux passants. Il gratifie d�une pri�re tous ceux qui lui donnent une aum�ne. Il para�t un tantinet fou. Et pourtant, il suit l�actualit� avec assiduit� et il le prouve en nous relatant les informations lues sur la presse au sujet du d�funt g�n�ral chef d��tatmajor, Sma�n Lamari. De sa bouche m�me, nous apprendrons qu�il a construit une maison � Boudouaou dans la wilaya de Boumerd�s. Et qu�il a �galement pu construire � ses trois enfants mari�s, un gar�on et deux filles, dans la m�me maison pour vivre d�cemment. �Nous vivons tous ensemble et nous nous entraidons�, dira-t-il avec un accent prononc� de l�est du pays. Un des agents de s�curit� assure qu�il a �t� une fois d�lest� de 200 millions de centimes. Et que depuis, il ne mendie que le vendredi et donne son gain � un Tunisien se trouvant � Belcourt. �C�est de cette fa�on qu�il prot�ge l�argent qu�il a gagn�.� M. O. La mendicit� est punie par la loi D�apr�s l�article 195 de la section 4 ayant comme titre : �La mendicit� et le parasitisme� du chapitre 5 relatif aux crimes et d�lits contre la s�ret� publique du code p�nal, il est clairement stipul� que la mendicit� est interdite. Il y est not� : �Est puni de l�emprisonnement d�un � six mois, quiconque, ayant des moyens de subsistance ou �tant en mesure de se les procurer par le travail ou de toute autre mani�re licite, se livre habituellement � la mendicit� en quelque lieu que ce soit.� Reste que les �l�ments de la S�ret� nationale qui font des tourn�es � l�int�rieur du cimeti�re El-Alia sont loin de faire respecter cette loi. M. O.