�Le Soir d'Alg�rie� : Vous venez de publier un r�cit-t�moignage qui rend compte de la difficile et douloureuse investigation que vous avez entreprise � la suite de la mort de Didier Contant, votre compagnon, journaliste sp�cialiste de l�Alg�rie, qui �tait sur le point de faire para�tre un article sur l�assassinat des moines trappistes. Pourquoi cette contre-enqu�te ? Rina Sherman : Au d�part, je pensais que les confr�res de Didier Contant allaient prendre en charge une contre-enqu�te pour conna�tre la v�rit� sur les circonstances de sa mort ; c�est tout au moins ce qu�ils m�ont laiss� entendre lorsque je les ai rencontr�s aux obs�ques de Didier Contant. Ils �taient inform�s des �v�nements qui ont pr�c�d� sa mort et l�ont men� � la mort ; ils m�en parlaient par bribes � l�enterrement et un peu pendant les jours qui suivaient. J�avais donc suffisamment d��l�ments pour savoir qu�il y avait un probl�me avec Canal+ et avec le Figaro Magazine et, naturellement, il �tait important pour moi d�en savoir plus. Mais pendant les jours et les semaines qui ont suivi la mort de Didier Contant, ces confr�res ont cess� de parler et ne se sont plus du tout occup�s de cette contre-enqu�te � laquelle ils s��taient engag�s. Par cons�quent, j��tais oblig�e de la faire seule avec mes moyens et face aux gens qui, pour la plupart, refusaient de parler, ou qui parlaient par bribes ou qui mentaient pour se prot�ger ou pour prot�ger leurs employeurs ou leurs coll�gues � chacun avait une raison pour ne pas s�engager dans la recherche de la v�rit� et de la justice. Ce livre est � lire comme un hommage � l�homme et au journaliste, mort dans des circonstances troublantes. Peut-on le consid�rer �galement comme une d�nonciation de certains milieux m�diatiques dans lesquels la libert� d�expression peut parfois �tre malmen�e ? Les valeurs comme l�honneur et la dignit� d�un �tre humain ont un sens pour moi, comme ils avaient un sens pour Didier Contant. S�il �tait assez bon pour partager ma vie, il �tait assez bon pour que je d�fende son honneur et sa dignit�. Il est important pour moi de r�tablir la dignit� et l�honneur de Didier Contant, pour lui, pour ses enfants et pour moi par rapport � l�homme que j�ai aim�. Il est �galement mort en raison d�un manque de d�ontologie, d��thique et de rigueur dans les m�tiers de la presse et des m�dias. Il n�y a pas d�ordre d�ontologique pour des journalistes, comme il y a dans d�autres pays, ou dans d�autres m�tiers. Cela est inadmissible. Est �galement inadmissible que de tels �v�nements puissent avoir lieu sans qu�il y ait la moindre r�action de la part des journalistes confr�res, de la justice et des milieux des droits de l�homme et d�organisations des m�dias. Des organisations comme Reporters sans fronti�res (RSF) ou Amnesty International (AI) sont rapides � r�agir lorsque ce genre de faits se produisent ailleurs, mais lorsque cela arrive en France, ils sont dans l�incapacit� de r�agir, par complicit� avec des confr�res coupables des actes, mais �galement par crainte de perdre leurs soutiens financiers. Cette situation est inacceptable. Vous avez �voqu� � plusieurs reprises un r�seau que vous appelez �le lobby du Qui tue qui ?� auquel Didier Contant aurait �t� confront� et qui aurait une part de responsabilit� dans sa mort tragique. Pouvez-vous vous expliquer l�-dessus ? Le lobby �Qui tue qui ?� est un groupe de pression, tr�s bien organis� et disposant de relais politiques et m�diatiques importants. Il s�agit de la FSS, l�Internationale Socialiste, le FIDH, AI, REMDH, Les Verts, un partie du PCF, une partie du MRAP et de LIDH, soutenu par certains journalistes, notamment des journaux comme Lib�ration, Le Monde, Le Monde Diplomatique et de l�ancienne �quipe des �missions �90� et �Lundi Investigation� de Canal+, des universitaires, notamment, Luis Martinez (CERI), Fran�ois Burgat, des �diteurs, notamment Fran�ois G�ze et du site web Algeria-Watch qui leur sert de plate-forme principale de communication. Ce lobby s�acharne depuis des ann�es dans leurs actions diverses � blanchir les actes meurtriers des politiques int�gristes. Pour cela, ils s�acharnent contre le gouvernement alg�rien en l�accusant d��tre responsable de ces actes et des attentats. Ils constituent une partie de la gauche fran�aise, ceux que l�on appelle des �gauchistes�, c�est-�-dire ceux qui suivent un certain courant trotskiste historique. Comment une anthropologue sud-africaine exil�e � Paris, qui vient de passer plusieurs ann�es en Namibie pour son travail, r�ussit- elle, seule et sans appui, � mener ce travail de contre-enqu�te qu�Antoine Sfeir qualifie � juste titre de �colossal� dans la pr�face du livre ? J�ai contact� chaque personne qui avait eu affaire � Didier Contant pendant les derniers jours de sa vie. Je les ai rencontr�es individuellement en leur demandant de me raconter ce qui s��tait pass�. Chacun me racontait sa version des faits. Par petits recoupements, en confrontant les uns avec ce que me racontaient les autres, j�ai petit � petit fait une reconstitution des faits que j�ai ensuite compar�s avec des �l�ments contenus dans le dossier judiciaire de Didier Contant, que j�ai pu consulter par l�interm�diaire de mon avocat apr�s m��tre constitu�e partie civile pour violence volontaire. Dossier constitu� d��l�ments que les policiers de la section antiterroriste de la brigade criminelle du Quai des Orf�vres ont perquisitionn� au domicile de Didier Contant ou ont trouv� sur lui. Didier avait tenu un journal des �v�nements dans des carnets qu�ils ont trouv�s sur lui lors du constat de d�c�s, dans lesquels il notait chaque rendez-vous et appel t�l�phonique. C��tait long et tr�s �prouvant � faire, notamment en raison du fait que bien des personnes �taient r�ticentes pour me voir et me parler. Dans les journaux, ils avaient re�u consigne de ne plus communiquer sur Contant. Ils craignaient de perdre leur travail. Avez-vous rencontr� des difficult�s pour publier et promouvoir ce livre ? Oui. J�avais des introductions dans plusieurs grandes maisons d��dition. Des directeurs de collection qui ont lu le manuscrit ont �t� unanimes dans leur appr�ciation du texte en termes de qualit� litt�raire et d�importance du contenu, mais une nouvelle fois, chacun avait trouv� une raison pour ne pas publier le livre. Soit c��tait parce que je m�attaquais � des personnes connues, soit c��tait trop t�t pour en parler, soit c��tait trop risqu� ou encore simplement parce que le livre n�entrait pas dans le programme de leurs collections ! J�ai inform� � de nombreuses reprises tous les journaux (section livre, section monde, section France). Hormis Marianne, L�Humanit� et La Croix, aucun n�a voulu en parler. Henri Tincq du Monde m�a raccroch� au nez. Jean-Pierre Tuquoi et Florence Beauge n�ont pas donn� suite. Chacun trouvait une excuse pour ne pas en parler. Le corporatisme est tr�s actif dans le cas de ce livre, comme il l�a �t� au moment de la mort de Didier Contant. Il sera difficile pour Lib�ration et Le Monde d�en parler �tant donn� qu�ils ont depuis toujours d�fendu la ligne de ce lobby �Qui tue qui ?�, par exemple ces deux journaux ont fait chacun une double page sur le livre de Yous sur Bentalha, chose qui ne se fait que tr�s rarement pour de tr�s grands �crivains. Le petit �diteur qui a finalement �dit� le livre en France n�a pas de diffuseur, faute de moyens. Par cons�quent, la diffusion du livre se fait avec les moyens du bord et par le bouche-�-l�oreille. En Alg�rie, le livre a �t� publi� gr�ce aux Editions Lazhari Labter et Le Soir d�Alg�rie. Il a trouv� un tr�s bon �cho aupr�s des lecteurs. Sa traduction en arabe est pr�vue. Comment le livre a-t-il �t� re�u � sa sortie ? Tous ceux qui l�ont lu m�ont dit qu�ils l�avaient lu d�un seul trait, qu�ils l�avaient trouv� touchant ou qu�ils en �taient boulevers�s. Le probl�me ne se situe donc pas au niveau du livre. � chaque fois que j�ai fait des rencontres autour du livre, c��tait un �v�nement tr�s touchant et tr�s vivant avec des interventions passionnantes des membres du public, qu�il s�agisse d�un public alg�rien ou fran�ais ou mixte. Ce qui laisse � croire que ce livre peut rencontrer un vrai succ�s s�il parvient � rencontrer son public. Il faut donc compter sur le bouche-�-l�oreille. Au terme de votre investigation et de l��criture du livre qui vous a pris trois ans, vous ne donnez en fin de compte aucune r�ponse. Didier Contant est mort. Sa mort est li�e � son travail de journaliste sur l�assassinat des moines. Avez-vous une id�e de ce qu�il �tait sur le point de d�voiler ? Hormis des rencontres que Didier Contant avait pu faire avec des t�moins directs et indirects de l�enl�vement des moines, notamment le jardinier du monast�re de Tibhirine et des personnes qui ont �t� enlev�es le m�me soir que les moines et qui ont �t� en captivit� ensemble avant qu�ils aient r�ussi � s��chapper, et qui confirmaient qu�ils avaient vu ou avaient affaire � des membres des GIA, le fait que Didier Contant �tait sur le point de d�voiler la vraie identit� d�Abdelkader Tigha, t�moin principal de ce lobby qui pr�tend avoir vu des hauts officiers de l�arm�e arriver � la caserne de Blida au vu de tous, avec deux v�hicules dans lesquels �taient les sept moines de Tibhirine, c��tait tr�s g�nant pour ce lobby, qui allait perdre la face, �tant donn� qu�ils ont aid� � faire sortir Tigha de la prison � Bangkok, ils l�ont aid� dans ses d�marches de demande d�asile aux Pays-Bas, et surtout, il leur a servi de t�moin pour leur d�douanement des GIA dans l�affaire des moines en accusant l�arm�e d��tre responsable de leur mort. Il fallait donc supprimer cette voix. Quelle est votre intime conviction concernant les circonstances de sa mort ? Les policiers du Quai des Orf�vres ont choisi de faire abstraction de plusieurs anomalies dans leur enqu�te pr�liminaire sur les circonstances de la mort de Didier ; ils se sont pr�cipit�s pour classer cette affaire, pour des raisons que j�ignore. Il sera important de rouvrir l�enqu�te afin de savoir ce qui s�est r�ellement pass�. Sans avoir tous les �l�ments, il ne m�est pas possible de m�exprimer sur cet aspect des choses. Cependant, je peux dire que j�avais affaire � un homme vivant, en pleine force de l��ge, qui aimait et qui se savait aim�, qui avait des projets et des liens tr�s forts dans son entourage et dans sa famille. Certes, il �tait tr�s choqu� par la force, l�intensit� et l�injustice des attaques contre lui sur un temps tr�s court. Didier Contant a subi des pressions terribles. Il a �t� humili� au-del� du possible. Il s�est trouv� seul et isol�, sans soutien aucun. Un homme sans honneur, sans dignit�, sans moyens de d�fense, sans possibilit� de continuer de gagner sa vie est un homme d�j� mort sur le plan symbolique. Propos recueillis par Keltoum Staali Le huiti�me mort de Tibhirine, �ditions Lazhari Labter & Le Soir d�Alg�rie (2007) Rina Sherman d�dicacera son livre au Salon international du livre d�Alger publi� par les Editions Lazhari Labter & Le Soir d'Alg�rie Rendez-vous le dimanche 4 novembre � partir de 14 h .Pavillon central Zone B, All�e 2 N�B 213 - Stand Editions Lazhari Labter SAFEX