Abdelkader Bounekraf, homme politique fort connu pour son franc-parler, fait partie des sept membres du secr�tariat ex�cutif du FLN, dont le secr�taire g�n�ral est le chef du gouvernement, Abdelaziz Belkhadem. Il a �t� successivement membre du comit� central du parti de 1979 � 1989, responsable du d�partement des mouvements de lib�ration de 1980 � 1982, mouhafedh de Laghouat, M�sila et B�ja�a de 1982 � 1989 et enfin ministre de l�Habitat de 1997 � 2001. Il est actuellement d�put� de Tipaza. Il a d�cid� de quitter la direction du FLN. Dans cet entretien qu�il a accord� exclusivement au Soir d�Alg�rie , il explique les raisons de sa d�cision. Le Soir d�Alg�rie : Des rumeurs vous donnent pour d�missionnaire de la direction du FLN. Si c�est le cas, qu�est-ce qui vous pousse � tirer votre r�v�rence maintenant et apr�s presque trois ann�es pass�es au sein du secr�tariat ex�cutif ? Abdelkader Bounekraf : Effectivement, il m�est tr�s difficile de continuer � si�ger au secr�tariat ex�cutif. Les raisons pour lesquelles j�ai accept� d�en faire partie, � savoir l�espoir, la volont� de remettre le parti sur les rails, me paraissent aujourd�hui d�finitivement �d�su�tes�. Il suffit de voir l�image qu�offre aujourd�hui le parti pour s�en convaincre. Je me suis personnellement investi totalement et s�rieusement dans l�action de faire rena�tre le parti de ses cendres, de lui donner un fonctionnement r�gulier et aussi de renforcer M. Belkhadem dans sa mission de secr�taire g�n�ral �r�unificateur �. Il a pr�f�r� demeurer l�otage, voire le serviteur d�un clan et rel�guer ainsi � la marge de nombreux militants et cadres malgr� leur exp�rience, leur aptitude et leur capacit� � enrichir et � d�fendre les th�ses du parti. Il faut rappeler qu�au lendemain de l�installation du secr�tariat, en f�vrier 2005, le secr�taire g�n�ral s�est personnellement engag�, dans une intervention publique, � moderniser le fonctionnement du parti, � moraliser la vie politique et � combattre et faire reculer la m�diocrit�. Comment ne pas �tre d�accord avec de tels desseins ? Aucun de ses objectifs n�a �t� atteint. Le fonctionnement du parti n�a pas �t� modernis� : il a quasiment cess�. Aucune instance, pas m�me le secr�tariat, ne se r�unit r�guli�rement et aux �ch�ances pr�vues par les statuts. Et quand elle se r�unit, aucune trace �crite n�en t�moigne. De plus, je ne crois pas qu�il existe un seul exemple de parti qui, apr�s pr�s de trois ans, n�a pas encore achev� la mise en place de ses instances locales. C�est le cas du FLN. Pour ce qui est de la moralisation de la vie politique, bien au contraire, on assiste � une v�ritable �mafiaisation� des pratiques et le secr�taire g�n�ral lui-m�me, � diverses reprises, a �voqu� la corruption de plus en plus voyante, notamment le ph�nom�ne de la �chkara � � ce sont ses propres termes � qui y r�gnent ouvertement. Quant � combattre la m�diocrit�, celle-ci s�est non seulement notablement renforc�e au cours de ces derni�res ann�es, mais elle n�a jamais �t� aussi �arrogante �. Ainsi, �la mauvaise monnaie chassant la bonne�, on assiste de plus en plus � la d�saffection des meilleurs �l�ments en proie au d�couragement, au profit d�une nouvelle faune d�activistes, plus ou moins encourag�e, d�une mani�re directe ou indirecte, et qui �squatte� litt�ralement l�appareil du parti. Les soubresauts qui secouent le FLN actuellement n�ont-ils pas un lien avec la question de la l�gitimit� ? En politique, la l�gitimit� est une arme qui permet au responsable qui en jouit de prendre les d�cisions ad�quates, fussent-elles �impopulaires�. L�absence ou le d�ficit de l�gitimit� induit un manque d�assurance chez le responsable qui, en le complexant, le conduit � l�immobilisme et � la recherche d�une certaine �protection � parmi les proches et les flagorneurs. Cette situation ne va pas manquer de provoquer une r�action plus ou moins violente chez ceux qui s�estiment victimes de telles pratiques. Je n�ai pas de sympathie particuli�re pour ceux qui qu�mandent obs�quieusement ou revendiquent bruyamment des positions de pouvoir. (Je me refuse � parler dans ce cas de responsabilit�). Mais comme toute vie politique interne a �t� pratiquement annihil�e, le seul indice qui permet d�appr�cier, au regard de la morale, le travail de la direction reste li� � la d�signation de certains cadres comme les secr�taires de mouhafadha ou � la confection des listes de candidats � l�occasion des �lections l�gislatives ou locales. C�est pourquoi les actuels mouvements de protestation que connaissent quasiment toutes les mouhafadhate doivent retenir toute notre attention pour prendre toute la mesure des d�g�ts et ceux-ci me semblent importants. Aucun parti ne peut, � la fois, faire la police � l�int�rieur de ses rangs et renforcer ses positions dans la comp�tition qui l�oppose � ses adversaires. Quel est le r�le des ministres FLN dans l�exacerbation de la crise, sachant que certaines rumeurs leur pr�tent une ing�rence dans l��laboration des listes �lectorales ? A ma connaissance, les ministres du FLN ne constituent pas comme tels une instance. Ce sont des militants comme les autres et sont membres qui de l�instance ex�cutive, qui du conseil national. Cependant on peut imaginer que du fait de leur position au sein du gouvernement, ils ont une certaine influence sur �le cours des choses� et ils sont quelquefois utilis�s pour renforcer tel ou tel bord au sein du Secr�tariat comme cela � �t� le cas lors de la pr�paration des s�natoriales (d�cembre 2006) et, plus insidieusement, des l�gislatives (avril 2007). Les militants d�noncent la chasse aux sorci�res des �l�galistes� au sein du parti. Est-ce que vous le confirmez ? Oui. Les purges ont commenc� d�s la pr�paration du congr�s de janvier 2005 et se sont poursuivies jusqu�� aujourd�hui. Mais � l��poque, nous pensions qu�il y serait bient�t mis fin puisque les mots �r�unification� et �fraternisation � revenaient comme de v�ritables leitmotive dans les discours du secr�taire g�n�ral. D�autre part, nous �tions quelques-uns � penser que c��tait l� le prix � payer (le sacrifice de quelques fr�res) pour que le parti retrouve sa place dans le th��tre politique ainsi que son lustre. L�apog�e de cette entreprise a �t� atteinte lors de la mise au point des listes des candidats aux derni�res �lections l�gislatives qui a vu l��limination pure et simple de 90 % des d�put�s sortants qui s��taient repr�sent�s. Pendant le m�me temps, et sans rire, aussi bien le secr�taire g�n�ral que le pr�sident de l�APN de l��poque soutenaient avec force que le bilan de celle-ci �tait �tr�s positif�. Il est m�me arriv� et il continue d�arriver que de simples militants qui n�ont jou� aucun r�le dans les derni�res crises sont syst�matiquement exclus de toute possibilit� de promotion, quel que soit leur m�rite par ailleurs, uniquement parce qu�ils ont le malheur de porter des noms semblables � ceux de certaines personnalit�s du parti ayant pris nagu�re des positions diff�rentes de celles attendues de braves militants disciplin�s. Vous avez quitt� la derni�re r�union de la commission nationale devant finaliser les listes �lectorales pour les communales. Pourquoi ? Pour les raisons que je viens de d�crire et d�autres encore et aussi parce que �la coupe �tait pleine�. Pour tout vous dire, et me connaissant, je me demande comment j�ai pu attendre jusqu'� cet instant et faire ainsi preuve de tant de �sagesse�. L�administration s�est autoris�e � remanier les listes �lectorales du FLN. Certains walis ont m�me �cart� des candidats qui ne leur plaisaient pas � tel point que Belkhadem lui-m�me a adress� une lettre au wali d�Alger pour lui demander de reconsid�rer sa position par rapport � certaines t�tes de listes. Comment expliquez-vous cette situation ? Je ne me l�explique pas. En ma qualit� d�ancien responsable dans le FLN parti unique je peux comprendre (sans les excuser) certains exc�s auxquels peut se livrer l�administration (en r�alit�, il s�agit souvent du z�le de certaines personnes). Mais ce que je ne m�explique surtout pas c�est la forme qu�ils prennent. Personne ne peut d�nier � l�administration le droit de veiller au respect de la loi. C�est m�me son r�le et sa raison d��tre. Mais en l�absence de toute infraction � la loi ou de tout risque imminent d�infraction � la loi et au m�pris de la demande du premier responsable du parti concern�, comment expliquer le maintien de l�exclusion de certains candidats des listes �lectorales alors m�me que le secr�taire g�n�ral est intervenu en leur faveur ? Pensez-vous qu�aujourd�hui il y a une mainmise du pouvoir sur le FLN ? Je ne sais pas r�pondre � cette question. Et je ne sais pas qui a une mainmise sur le FLN. Tout ce que je peux dire, c�est qu�on y constate un grand d�sordre et ce d�sordre peut cesser si la direction et les militants du parti le veulent. La r�unification du FLN, y avez-vous vraiment cru ? Oui. Et je n��tais pas le seul. Parce que les hommes, malgr� leurs travers, sont naturellement capables de tirer les le�ons des trag�dies qu�ils ont v�cues. Le nom de Mouloud Hamrouche revient sans cesse ces derniers jours. On le donne pour celui qui va reprendre les r�nes du parti. Son retour est-il possible ? Le secr�taire g�n�ral a rappel�, il y a quelques mois en r�ponse � la question d�un journaliste, que M. Hamrouche �tait militant du FLN. En cette qualit� il jouit des droits que lui donnent les statuts du parti et est soumis aux devoirs qu�ils lui imposent. Quant � �reprendre les r�nes� du parti comme vous dites, les modes d��lection aux responsabilit�s � tous les niveaux sont fix�s par les statuts et par le r�glement int�rieur. La question concerne donc l�int�ress� d�abord � qui n�a pas exprim�, � ma connaissance, un tel d�sir � et les instances et les militants qui les composent ensuite. Pour rester sur la m�me lanc�e, Hamrouche et Mehri, deux personnalit�s politiques importantes et non moins figures de proue du FLN, ainsi que le leader du FFS Hocine A�t-Ahmed, ont fait une d�claration commune, appelant � la d�mocratisation du syst�me. Quel commentaire en faites-vous ? Je consid�re que devant l�indigence qui caract�rise la vie politique, tout acte concourant � l�enrichissement du d�bat et au renforcement de la d�mocratie est le bienvenu. Ce qui est regrettable, c�est que des personnalit�s comme celles que vous citez, ainsi que beaucoup d�autres, se trouvent aujourd�hui, par le fait d�un ostracisme malheureusement banalis�, soit compl�tement en dehors du FLN, soit � sa p�riph�rie, alors qu�elles en �taient, il y a peu, la richesse. Belkhadem a reconnu que le pr�sident de la R�publique a eu un droit de regard sur les listes �lectorales lors des l�gislatives. S�il l�a dit, je n�ai personnellement aucune raison de ne pas le croire. Pour en revenir au pr�sident, le flou subsiste quant au poste de pr�sident organique du FLN qui figure dans les statuts et qu�on attribue � Bouteflika. Est-il ou pas le pr�sident organique du FLN ? Il est vrai que les statuts adopt�s par le congr�s de janvier 2005 ont pr�vu un poste de pr�sident du parti qui a �t� propos� au pr�sident de la R�publique lequel a r�pondu � cette offre dans une lettre adress�e au congr�s. M�me si d�aucuns estiment que son acceptation n�a pas �t� claire dans cette lettre, je rappelle que le secr�taire g�n�ral a, � maintes reprises, confirm� celle-ci. Pourquoi ne pas le croire ? L�alliance pr�sidentielle donne l�impression d�une entreprise consensuelle alors que des divergences profondes la minent. Qu�avez-vous � dire � ce sujet ? J�ai moi-m�me, � maintes reprises, fait part, au sein des instances du FLN, du sentiment que m�inspire cette alliance dont les membres me semblent vouloir une seule chose : soutenir le pr�sident de la R�publique pour que celui-ci r�ponde � ce soutien sous forme d�octroi de positions de pouvoir au sein de l�appareil d�Etat. Son action se r�sume pour l�essentiel aux c�r�monies protocolaires de passation par rotation des mandats de pr�sident. Pensez-vous que Belkhadem a �chou� dans son entreprise de r�unification du FLN et qu�il n�a pas tenu ses engagements ? Pas plus que la r�unification que les autres objectifs n�ont �t� r�alis�s et donc la r�ponse � votre question est oui : Belkhadem a �chou�. Malgr� les frustrations enregistr�es chez les militants, quel que soit le bord auquel ils ont appartenu entre 2003 et 2005, la tenue du congr�s dit de la r�unification a g�n�r� de grands espoirs � cet �gard. Mais force est de constater aujourd�hui que cette r�unification n�a pas eu lieu. On croit savoir que le FLN a remis un projet de texte relatif � la r�vision de la Constitution d�limitant les mandats et instaurant le septennat. Pouvez-vous le confirmer ? La Constitution, comme tout les textes juridiques, m�me si c�est le plus important, s�adapte aux circonstances de temps, de lieu, � la norme sociale et culturelle. Elle peut, elle doit donc subir r�guli�rement les modifications qui la rendent plus efficiente, moins anachronique. Il reste juste � savoir quand, pourquoi, comment. Seul le pr�sident de la R�publique qui a l�initiative de la r�vision constitutionnelle peut r�pondre � ces questions. Il ne l�a pas encore fait. En quoi consistent les propositions du FLN ? Je n�en connais pas le contenu exact. Des militants parlent de r�gionalisme dans l�attribution des postes de responsabilit� (secr�taire de mouhafadha, candidatures aux �lections l�gislatives, etc.). Qu�avez-vous � dire � ce sujet ? Pour qu�on puisse parler de r�gionalisme, deux conditions doivent �tre r�unies : que plusieurs personnes occupant des fonctions importantes ou de pouvoir soient originaires de la m�me r�gion et qu�elles ne soient pas particuli�rement comp�tentes. Si des responsables particuli�rement brillants ou g�niaux se trouvent �tre originaires du m�me douar, il n�y a pas r�gionalisme. Selon cette d�finition, y a-t-il des pratiques r�gionalistes dans le FLN ? Malheureusement oui. Pratiques r�gionalistes et n�potiques. Quelqu�un a dit de vous, dans une r�cente d�claration reprise par un quotidien national, que vous exerciez, avec d�autres, une influence n�faste sur Belkhadem. Que r�pondez-vous ? Je me refuse � r�agir � ce genre de propos infantiles. En ce qui me concerne, j�ai la faiblesse de croire que les militants savent bien � qui ils ont affaire, et c�est, en d�finitive, leur jugement qui importe le plus. Un dernier mot en conclusion ? J�ai adh�r� au FLN alors que j��tais � peine sorti de l�adolescence et suis pass�, en 1962, dans cette m�me formation, du statut de combattant de la lutte arm�e pour l�ind�pendance � celui de militant engag� dans l��dification de son pays. Au cours de cette longue p�riode, en plus du lien politique entre le militant et son parti, il s�est forc�ment d�velopp�, un fort lien affectif entre le FLN et moi. C'est dire que je mesure l�honneur qui m�a �t� fait et la confiance qui m�a �t� t�moign�e par les militants qui m�ont demand� de les repr�senter au sein de la direction ex�cutive de notre parti. C�est pourquoi je suis extr�mement pein� de devoir la quitter tout en les assurant que je demeure militant du FLN et membre des autres instances, � savoir l�instance ex�cutive et le conseil national.