Jeudi 29 novembre 2007. C�est le jour du double scrutin pour le renouvellement des assembl�es communales et de wilaya. Au niveau du cheflieu de wilaya, les quelques centres de vote que nous avons visit�s, � l�image de Larbi-T�bessi, ou encore celui de Hassiba-Ben-Bouali, situ� au centre-ville et qui ont fait l�objet de la visite de nos augustes responsables affichent une qui�tude bien �tablie. La pluie tombait depuis la nuit et sans discontinuer. Parfois en trombe, mais ne semble pas vouloir s�arr�ter. Les quelques �lecteurs qui s�y aventurent sont vraiment rares. A 10 h, le taux de participation est de 1,86% pour les APC et 1,62% pour les APW. Cela n�augurait rien de bon, pensions-nous na�vement oubliant le g�nie des Alg�riens, seul peuple peut-�tre o� les r�gles de la sociologie et m�me les statistiques et les sondages se trouvent souvent remis en question. Pour notre part et apr�s avoir visit� ces centres o� tous les partis en lice, huit listes pour l�APC de Bouira et huit autres pour l�APW, disposent de surveillants, nous avons d�cid� de nous aventurer loin, tr�s loin de Bouira. 10h30 : direction El- Mokrani . Commune enclav�e situ�e au fin fond des montagnes sud de Zbarbar, � pr�s de 60 km au nord-ouest de Bouira. Nous empruntons la RN18 jusqu�� A�n-Bessam avant de changer de cap, vers le nord en direction de la da�ra de Souk-El-Khemis d�o� d�pend la commune d�El- Mokrani. La pluie redoublait d�intensit� au point o� la visibilit� �tait presque nulle. Surtout sur les hauteurs des montagnes, au-del� de la ville de Souk-El-Khemis que nous traversons vers 11h15. Plus de 10 km plus loin, apr�s avoir d�val� une route compos�e de virages et d�une pente � donner le tournis aux plus audacieux, apr�s avoir travers� cette solitude de nulle part, ayant � croiser de temps en temps quelques v�hicules, puis rencontr� une patrouille p�destre d��l�ments de l�ANP compl�tement mouill�s et sans parkas, nous apercevons une petite ville au bas de la colline. C�est la ville d�El- Mokrani, chef-lieu de commune d�El-Mokrani. Sur les lieux, nous avons �t� accueillis par quelques images qui en disent long sur le quotidien des citoyens. Un garde communal poussait une brouette sur laquelle il transportait des jerrycans d�eau, et plus loin, un jeune qui poussait avec ses pieds une bouteille de gaz butane. Nous garons notre voiture et nous entrons dans le seul centre de vote qui existe dans le chef-lieu. Tr�s peu de votants sont l�. Tous les regards se braquent vers nous. Nous sommes des intrus dans ce monde o� la population est livr�e � elle-m�me ou, pour dire vrai, livr�e � la merci des responsables. Nous cherchons le chef de centre, l�on nous oriente vers le premier �tage. L�, nous trouvons � l�int�rieur d�un bureau de vote le chef de da�ra que nous connaissons de vue. Nous interrogeons un gars qui avait un badge. Il est le chef de centre. Nous nous �tonnons de ce chef de da�ra quand notre interlocuteur nous apprend que celui-ci est l� pour r�gler un petit probl�me. Lequel ? interrogeons- nous. Quelques bulletins appartenant � la commune de Souk El Khemis ont �t� distribu�s ici mais le probl�me va �tre r�gl�. Mais pourquoi n��tes-vous pas � l�int�rieur ? Vous �tes aussi concern�, lui avons-nous dit. Non, il y a le chef de da�ra et puis il y a le SG de la commune et les chefs de bureau, �a va se r�gler et puis qui �tes-vous ? Nous sommes de la presse. Oh, vous savez, il n�y a aucun probl�me, vous pouvez constater de vous-m�me. Comment, il n�y a pas de probl�me ; vous avez parl� de bulletins de l�APC de Souk-El-Khmis qui sont distribu�s ici et avec lesquels les gens auraient vot� depuis ce matin et vous dites qu�il n�y pas de probl�me ? Non, ce n�est rien, le probl�me est r�gl� par le chef de da�ra. Celui-ci vient de sortir. Il part en courant et nous le rejoignons. Nous l'interrogeons au sujet de ces bulletins, il nie tout et nous dit que ce n�est qu�un petit incident qui vient d��tre r�gl�. Nous essayons d�avoir quelques d�tails des autres repr�sentants de partis, rien, absolument rien. Pour les trois listes en lice au niveau de l�APC, le FLN, le RND et le FNA, apparemment leurs repr�sentants se sont entendus avec le chef de da�ra. Nous essayons d�avoir des explications aupr�s du SG de l�APC, rien. Nous interrogeons le chef de centre sur le nombre d�inscrits, il nous r�pond qu�il est strictement interdit de divulguer ce chiffre. �Nous vous demandons le nombre d�inscrits, pas le nombre de votants�, essayons-nous de lui expliquer. Rien � faire. A ce moment-l�, le chef de da�ra revient et monte au premier. Direction un autre bureau de vote. Il discute avec les responsables du bureau ainsi que les repr�sentants des partis. Nous entrons � notre tour pour voir les conditions de d�roulement ainsi que les dispositions prises dans ce bureau de vote. Le chef de da�ra qui voulait expliquer quelque chose aux pr�sents, nous pousse vers l�ext�rieur en s�excusant de ne pouvoir nous laisser � l�int�rieur car ayant une affaire � r�gler. Nous nous �nervons et crions haut et fort que cela rel�ve de la pure atteinte aux droits des citoyens d��tre inform�s de ce qui se passe. Le chef de da�ra nous r�torque qu�il n�y a aucun probl�me � expliquer. Ce � quoi nous lui r�pondons que s�il n�y a pas de probl�me, alors il n�a aucune raison de nous chasser de ce bureau, et s�il y a effectivement un probl�me, alors il n�a aucun droit de priver la presse de parler en toute transparence de cet incident. Il referme quand m�me la porte derri�re nous et pendant que l�on explique aux dizaines de personnes pr�sentes dans le hall de quoi il s�agissait, le chef de da�ra sort avec ses agents et part sans nous donner le moindre d�tail. Un probl�me que l�on ne saura jamais sauf qu�il s�agissait de bulletins erron�s gliss�s s�rement par les premiers �lecteurs car croyant innocemment qu�il s�agissait de vrais bulletins. Un incident qui ne sera jamais clarifi� car le chef de da�ra en a voulu ainsi. Et le comble dans cette histoire est que les quelques citoyens qui avaient protest� au d�but ont vite �t� ramen�s � la raison avec des arguments d�un autre temps. Un Kabyle qui ma�trise tr�s peu l�arabe et qui parle en fran�ais. Rien � faire avec lui. �Laissez-nous tranquilles et rentrez chez vous. Nous dira l�un d�eux. Pourquoi vous ne vous �tes jamais souci� de nous auparavant ?� �Nous sommes-l� avec vous et avant de nous condamner, il faut savoir dans quelles conditions nous sommes arriv�s l�, avons-nous r�torqu�. �Alors, excusez-moi�, nous dira-t-il avant de dispara�tre. Nous avons quitt� les lieux en ayant la conviction que le r�gime survivra encore longtemps tant qu�existeront des gens comme ceux de ce patelin recul� qui nous en veulent beaucoup pour leur avoir rappel� leurs droits les plus �l�mentaires. �Dors, dors, il n�est pas encore temps...�, disait A�t Menguellet. 14h. Direction Ouled- Rached. Commune situ�e � 50 km au sud-est de Bouira. La pluie continue � tomber. Sur le tron�on d�autoroute de d�viation d�El-Esnam, nous roulons � moins de 100 km/h, la chauss�e est une v�ritable patinoire. Le moindre coup de volant peut cr�er un d�rapage. Nous le constations imm�diatement. Sur le bas-c�t� de la route, un v�hicule 4x4 venait juste de d�raper. Le chauffeur, un sexag�naire bien portant, kabyle alg�rois, �tait l� tout mouill�. Nous nous arr�tons et lui demandons s�il va bien et s�il a besoin de quelque chose. �Non merci beaucoup les gars, nous dira-t-il, je viens juste de t�l�phoner � un ami qui sera l� dans quelques minutes. Merci quand m�me. Dieu merci qu�il y ait encore de bonnes gens.� Arriv�s � Z�ribaud, chef-lieu de la commune d�Ahl-Ksar, nous prenons un autre confr�re et poursuivons la route vers la commune de Ouled- Rached. La route est d�serte et la brume couvre les cimes des diff�rentes collines et celles de la montagne. Pas �me qui vive dans ces vastes contr�es. Plus de 12 km plus loin, nous arrivons � la commune de Ouled- Rached. Nous poursuivons notre chemin et nous traversons le chef-lieu pour aller vers la localit� de Ouled-Abdellah. �C�est l� que le P/APC est toujours �lu. Et c�est l� aussi que la politique se fait�, nous dira notre confr�re natif de ce patelin. Au niveau du centre de vote, nous avons �t� frapp� par le nombre impressionnant de votants. Jeunes, femmes, vieux et vieilles, tout le monde �tait l� � faire la queue pour voter. Il est 15h30. Avant de voir la r�action de ces votants, nous avons vu le chef de centre. D�un air affable, il nous invite au bureau et nous montre sur un tableau tous les d�tails du scrutin. Neuf listes sont en lice pour sept si�ges. Trop de listes pour une petite commune mais la r�alit� est que les luttes intestines et de leadership sont l�gion dans ces communes recul�es. C�est ce qui explique la multiplication des listes. Le nombre d�inscrits est de 1772. A 12h, le taux de participation est de 12% pour les APC et de 10,66% pour l�APW. A 14 h, le taux est de 38,37% pour l�APC avec 680 votants sur les 1772, et 32,84% pour l�APW avec 582 votants sur les 1772 inscrits. A l�ext�rieur, dans la cour, des dizaines pour ne pas dire des centaines de citoyens sont l�. Kaci, un p�re de famille du village Taghzout, qui a v�cu le cauchemar pendant le mois de Ramadan dernier lorsque les terroristes avaient assassin� trois jeunes dans un caf�, nous parle des probl�mes de son village. Distant de 7 kilom�tres, le village ne dispose pas de centre de vote. Les partis ont r�quisitionn� dans la matin�e des fourgons mais toutes les familles qui ont �t� transport�es vers le centre de vote sont bloqu�es sur place. Rahim, un jeune �tudiant de 25 ans, vient de voter. �J�ai vot� pour la personne et non pour le parti ou pour un programme�, nous dira-t-il. Un sentiment pa tag� par la majorit� des jeunes qui nous entourent. A�ssa Khitouche du village Ouled Abdellah est un retrait� de 53 ans, �depuis 1962, nous n�avons ni AEP ni routes, nous esp�rons que cette fois-ci sera la bonne. Notre village poss�de 80 chouhada mais reste le plus pauvre. Les autorit�s ont d�moli une cit�, mais depuis rien n�a �t� construit � sa place. Depuis des ann�es, nous n�avons que la gadoue l�hiver et la poussi�re l��t�. Plus loin, nous accostons les repr�sentants du FLN et du FFS. Ils nous relatent un incident. Ils ont trouv� � l�int�rieur d�un isoloir, �crit en gros caract�re le n� 7 du RCD mais avec Hamas en arabe �crit en bas. Un incident que le chef de centre nous relate en rappelant avoir conseill� aux repr�sentants des partis de faire leurs rapports sur cet incident. En toute transparence. Avant de quitter les lieux, nous n�avons toujours pas compris cet engouement pour le vote pourtant appr�hend� par beaucoup de gens. Ammi Belkacm nous �difiera enfin. �Tu sais mon fils, ici, les �lections locales ne sont pas les m�mes que les l�gislatives. Les candidats sont connus et sont appel�s � g�rer au milieu du peuple. C�est pour �a que nous nous int�ressons au vote. Et puis, tu sais quoi, la pluie nous a beaucoup aid�s � aller voter.� Comment �a ? r�torquons- nous un peu surpris. �S�il y avait le beau temps, beaucoup de gens seraient partis � la cueillette des olives au lieu d�aller voter. Moim�me le premier.� Voil� qui est dit. Nous quittons le village et la commune de Ouled- Rached dans l�espoir d�un lendemain meilleur. Dans la soir�e, nous avons appris que la commune d�El-Mokrani a �t� remport�e par le FNA, c�est-�-dire l�actuel maire qui �tait d�ob�dience FLN alors que la commune de Ouled-Rached est revenu au parti du RND.