A Constantine, la tension est grande. Le m�contentement, qui jusque-l� �tait contenu, a fini par donner lieu � des contestations bruyantes et surtout l�gitimes. L�administration locale est d�sormais face � sa propre v�rit� laquelle n�est pas forc�ment dict�e par la lettre et l�esprit des lois et leur corollaire la conformit� des proc�dures. Le wali et son subalterne, le chef de da�ra, viennent de faire l�am�re exp�rience de la col�re des administr�s. Eux, qui pensaient pouvoir bousculer sans pr�caution et par des subterfuges paral�gaux les r�gles qui prot�gent, � minima, l�habitant, sont depuis quelques jours confront�s � un dossier mal n�goci�, d�testablement bricol�, et finalement, h�tivement boucl� dans un d�sordre total. A l�origine des rassemblements qui se sont tenus mercredi 9 janvier, il y avait justement ce ras-le-bol de la population d�un quartier � �r�nover� et qui tombe sous la loi de l�expropriation pour utilit� publique. Ni SDF, ni sinistr�s, ces centaines de familles n�ont dans l�ensemble rien demand�, jusque-l�, � l�Etat. A l�inverse, celui-ci avait le devoir �l�mentaire de veiller scrupuleusement � appliquer convenablement la loi : c'est-�-dire se conformer � ce qui se fait en la mati�re, aussi bien par r�f�rence aux crit�res d�indemnisations financi�res pour les propri�taires qu�� travers l�examen au cas par cas des locataires. L�on devinait par avance et sans peine que ce d�placement de population du centre ville vers de lointaines p�riph�ries allait prendre des allures de recasement autoritaire, sans recours. Et que, d�une mani�re ou d�une autre, il finirait bien par susciter de violents courroux. A premi�re vue, les faits n�auraient �t� qu�anecdotiques pour la presse tant ils sont devenus le signe distinctif d�une bureaucratie d�Etat qui partout dispose de cette �franchise � non �crite consistant � affecter les populations o� bon lui semble. Sauf que l�exception de Constantine r�side, cette fois-ci, dans son aspect profond�ment injuste. La population concern�e n��tant ni �bidonvillis�e� ni pr�caris�e, le bon sens voulait que l�on n�gocie avec elle son red�ploiement. Or, qu�a-t-on fait au juste si ce n�est d�ajouter � la transgression la morgue de l�autoritarisme sans appel ? Des pratiques inqualifiables qui rabaissent un peu plus l��thique de l�Etat quand elles pr�tendent faire preuve d�autorit�. En effet, chaque fois que quelques fonctionnaires trop z�l�s pour �tre comp�tents et efficaces se d�tournent des dol�ances et qualifient de tourbe humaine ceux qui s�estiment l�s�s ou exclus, l�on aggrave le discr�dit de l�Etat. N�en d�plaise au wali de Constantine, qui p�rore en toutes occasions sur ce programme de modernisation de la cit�, son administration manque cruellement de m�thode et de sens de l��coute pour d�samorcer les malentendus et installer la confiance. Dans la solitude des bureaux, celle-ci fait ce qu�elle veut et souvent mal puisqu�elle est en retard d�une proc�dure quand elle envisage de mettre en route les bulldozers de la destruction. Sachant que les cr�dits destin�s au financement des grands projets structurant la ville int�grent les co�ts des indemnisations individuelles, il lui faudra justement qu�il explique pourquoi ce m�canisme n�a pas �t� mis en place en amont afin d�anticiper la suspicion. La pratique du fait accompli par laquelle il veut acc�l�rer le d�marrage des chantiers est la pire des solutions. Car il est notoire de nos jours que les Alg�riens font de moins en moins confiance aux promesses de l�Etat et pour les mieux dispos�s � son �gard, en sa c�l�rit�. C�est donc � la puissance publique de concr�tiser ses engagements toutes les fois qu�elle en est contrainte. A fortiori lorsqu�il s�agit d�un wali qui n�est qu�un rouage dans la cha�ne de d�cision. Or, quand, � ce palier interm�diaire, l�on n�a que sa parole � donner en gage l�on est in�vitablement suspect� de faire de la d�magogie politique l� o� l�on attend des actes administratifs d�ment notifi�s. L�on peut m�me comprendre et excuser l�inclination de ce corps d�Etat � ex�cuter docilement certaines injonctions exceptionnelles �manant d�en haut, cependant il est inadmissible que dans la gestion ordinaire, il multiplie les manquements aux normes l�gales juste pour complaire � quelques op�rations de propagande politicienne. L�affaire des habitants de l�avenue Rahmani est pr�cis�ment l�illustration de cette pr�cipitation � �tre agr�able (que ne faut-il pas inventer de pierres inaugurales sur le passage du chef de l�Etat ?) au d�triment du respect des proc�dures. C�est la notion m�me de service public qui est d�voy�e lorsqu�on agit de la sorte. Constantine a ind�niablement besoin de restauration et de modernisation, il n�y a aucune r�serve l�-dessus, sinon celle d��tre d�figur�e par quelques apprentis sorciers de l�urbanisme. N�est pas le baron Haussmann qui veut ! Ce pr�fet d�exception urbaniste de formation qui redessina Paris au milieu du XIXe si�cle n�a pas encore fait d��mules dans la caste des commis de la R�publique d�Alg�rie. Voil� pourquoi m�me un wali d�une modeste �m�tropole� de province devrait se garder de lancer des projets fumeux. Un tramway qui soul�ve toujours de nombreuses questions sur son trac�, un t�l�ph�rique qui accuse un retard dans sa r�alisation, un fantasmatique pont trans-Rhumel encore � l��tat d�esquisse de quelques professeurs Folamour et enfin un quartier d�affaires dont nul ne conna�t les heureux promoteurs. Tout cela ne fait-il pas trop d�opacit�s pour ne pas mettre un b�mol � l�enthousiasme de commande ? Quand ici et l� le wali local riposte aux comptes-rendus de presse en d�clarant que �rien ne pourra l�arr�ter�, il ne sait pas qu�en v�rit� il s�en prend paradoxalement � sa propre d�marche, laquelle pourrait lui valoir quelques d�convenues lorsqu�on s�apercevra que toutes les conditions de faisabilit� n�ont pas �t� r�unis � travers son volontarisme pagailleur. A priori, aucun ne lui souhaite d��chouer ou de �s�arr�ter� mais seulement de mettre de la coh�rence r�glementaire dans ses entreprises. Sa posture de b�lier qui pr�tend briser la chape des pesanteurs locales n�est que frime et rodomontades afin d�imputer � quelques imaginaires hostilit�s les d�rapages qui le guettent. Alors que la r�sistance aux expropriations mal conduites ne s�explique que par la carence de son administration, il rebondit et se d�fausse sur les journaux qui ont rapport� et d�crit le malaise de quelque 600 familles. Cela s�appelle non seulement de la mauvaise foi mais encore de la man�uvre dilatoire pour �chapper aux questionnaires de sa tutelle quand celle-ci s�informe autrement que par le canal des rapports mensongers. Le soir d�Alg�rie, qui a assur� une large couverture du sit-in (�dition 10 janvier), a eu sa part d�invective de la part des bureaucrates de son cabinet. Dans l�in�l�gance du propos, ceux-l� sont imbattables autant que l�est leur chef dans les effets d�annonce. Aussi lorsque les �v�nements les confondent avec leurs turpitudes, ils s�inventent des boucs �missaires pour se soustraire � la critique. Puisque les faits sont t�tus et qu�il n�y a rien � ajouter ou � retrancher au marasme d�une ville, une stupide tyrannie de l�administration locale ne peut qu�ajouter du d�sordre au d�sordre. Elle qui ignore superbement les droits �l�mentaires des gens participe � son tour � la d�liquescence de l�Etat. Un wali n�est pas un proconsul autoris� � inventer un droit coutumier � la province dont il a la charge. Il ne peut agir que dans le cadre des lois g�n�rales du pays avec ce qu�elles supposent de garde-fous � sa propre action. Mais, semble-t-il, cela se passe autrement � Constantine ! Paroles d�expropri�s pour �utilit� publique�.