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C'�tait leur France
Publié dans Le Soir d'Algérie le 17 - 01 - 2008

Retour au pays de l�enfance pour 25 �crivains n�s entre 1920 et 1956 dans ce d�partement d�outremer qui n��tait pas encore l�Alg�rie ind�pendante. Le�la Sebbar coordonne une mosa�que de souvenirs pour les �ditions Gallimard, autour de la question : c��tait quoi la France pour l�enfant que nous �tions ? Et l�on s�interroge : quelles traces ? Quelles blessures ? Quelle r�volte ?
Retour aux sources de l��criture, � la naissance des mots sur la ligne de fracture entre l�ici et l�ailleurs. Revenir aux origines est, dit-on, une d�marche salutaire. Elle l�est pour nous, lecteurs, car la richesse des t�moignages nous donne la dimension des r�ves, des souffrances, des fantasmes, des interrogations sur lesquelles s�est construite l�Alg�rie actuelle. Musulmans, juifs, chr�tiens, la�cs, les 25 auteurs restituent cette Alg�rie de l�Istiimar, cette France oubli�e qui ne rencontre l�autre France qu�� l�occasion des guerres et autour des monuments aux morts. C�est la France de Boualem Sansal, celle des le�ons forc�es de son grand-p�re mobilis� � Verdun puis en Indochine. Corv�e impos�e par un a�eul s�v�re et glac�, �toqu� de la France�, � laquelle l�enfant ne peut �chapper. C�est la France st�r�oscopique de Bernard Zimmermann, per�ue au travers des conversations adultes, dissimul� sous une table. Lorsque les parents sont instituteurs comme ceux de Le�la Sebbar, ou le grand-p�re de Nabil Far�s qui, devenu aveugle, l�oblige � la lecture quotidienne du journal, le retirant en cet instant de la vie des autres enfants, la France s�impose avec plus de vigueur dans sa langue et dans ses lois. Car la France est d�abord une langue, un lexique dans lequel Gil Ben Aych ancre les mots �v�nements, contingent, fellaghas. Quand les douars deviennent hameaux et les oueds rivi�res, Ma�ssa Bey l�affirme : �C�est en sa langue qu�elle est entr�e en moi.� A l��cole de la R�publique, ce que Jean-Jacques Jordi nomme �un sas qui ouvre sur la France�, l�Hexagone est en haut, au-dessus du tableau, sur la carte murale. Nourredine Sa�di se souvient : �L��cole a fait son travail de France en moi d�s que j�y ai p�n�tr� la premi�re fois.� Pour Benjamin Stora, elle a le visage p�le et distingu� de la blonde institutrice dont il est amoureux, tandis que celle d�Habib Tengour, la sadique Madame Garcia �n��tait pas une vraie Fran�aise et pour �a elle se vengeait sur nous�. �Madame la France� d�Arezki Metref est �sifiliz�e� comme Madame Carmel son institutrice qui fume des Gauloises bleues sans filtre. Elle a �la coupe de cheveux auburn � la gar�onne, et non pas la tresse noire de jais r�g�n�r�e � zit taqdimt�. L��cole de la fraternit� devient soudain celle de l�exclusion et �c�est le renvoi de l��cole la�que et r�publicaine en raison de l�application des lois de Vichy�. Quand la petite Alice Cherki, quatre ans, demande pourquoi � sa ma�tresse : �Mais parce que tu es juive�, r�pond la voix. En ces temps de fureur, pour H�l�ne Cixous aussi �la France, c�est ne pas aller � l��cole�. �Cette France au go�t d�indignit� des ann�es alg�rifran�aises. La parade ordinaire de l�apartheid�. Tandis qu�Albert Bensoussan aime et respecte celle que son p�re militaire porte inscrite dans sa chair : �La France chez nous �tait choy�e, aim�e, respect�e, souvent confondue dans ma t�te avec cette J�rusalem mythique.� Plus abstraite, la France des livres ouvre � une vie r�v�e, tourn�e tout enti�re vers la M�tropole. Victor Hugo, bien s�r, est pour tous la France incarn�e mais aussi Lamartine, �Lamartine et moi avions la t�te dans la m�me chechia�, se rem�more Arezki Metref contraint par son p�re � apprendre les M�ditations po�tiques int�grales. Elle se r�v�le � Jean- Jacques Gonzales � travers La gloire de mon p�re de Pagnol, les aventures d�Ars�ne Lupin et celles du Club des cinq. La Provence, la Normandie, les plages de Bretagne sont le territoire de l�imaginaire. Lire encore. Pour Nora Aceval, ce sont les contes qui la feront ellem�me, un jour, conteuse : �Mes livres d�enfant construisaient petit � petit un pays paternel mythique. Ce fut �ma� France.� C�est la caresse de la Reine des neiges qui sur le port de Marseille se mue en prostitu�e, faux cils, faux seins, dentier. La France s�inscrit ind�l�bile lorsque les mots se font chansons, comptines ou chants guerriers. Des chansons apprises dans les camps de guide d�Alg�rie par Christiane Chaulet Achour : �Connaissez-vous Alger la Blanche, la capitale de chez nous ?� et �Chant en l�honneur de Jeanne d�Arc, la croix de Lorraine, la France sauv�e. Tout cela m�l� dans un tel embrouillamini dans ma t�te !� A la fin des classes, Habib Tengour chante � tuet�te A la claire fontaine et, bravache, Mabrouk s�en va-ten guerre qui �nous remplissait de fiert� parce qu�on imaginait la statue du tirailleur de Sidi Sa�d sauter de son socle et charger l�ennemi sans craindre la mitraille�. Tout aussi fi�re �tait Anne-Marie Langlois �coutant la Marseillaise sur fond de parade militaire : �C��tait une arm�e belle et joyeuse. Nous �tions fiers de savoir qu�elle avait �t� triomphante ailleurs.� Les hymnes nationaux sont guerriers et lorsque vient la guerre, Jean-Jacques Jordi a six ans. Sa France, c�est taper dans des casseroles en criant �vive l�Alg�rie fran�aise !� : �La France �tait diffuse, sans doute, mais glorieuse dans les yeux d�un enfant.� Morgan Sport�s s��gosille lui aussi au cri d��Alg�rie fran�aise� et, parce qu�il est moiti� catho et moiti� juif, il casse du �saleordure- de-petit-youpin-crasseux- digne-fils-de-ton-ordure- de-youtre-de-p�re� avant de tomber sur �un alg�rienraton- autochtone-fran�ais musulman-arbi�. Pendant ce temps, �la tierce partie� a peur et la France de Mohamed Kacimi est violente et possessive. Trois de ses oncles sont �pris par la France� mais le grand-p�re est plac� en r�sidence surveill�e et l�oncle adul� arr�t�. Pour les autres, la France grimace. L�oncle d�Aziz Chouaki est abattu. C�est la d�chirure : �L�image de France devient de plus en plus hideuse.� C�est la France de la honte et de l�humiliation, le premier amour d��u de Nouredine Sa�di, la fracture de Behja Traversac : �Ce jour-l�, les mots des r�volutionnaires fran�ais d�gringolent des dos arabes et s��crasent � terre en faisant un bruit assourdissant.� Alors les enfants se r�voltent contre Madame la France. Habib Tengour ne veut plus aller � l��cole ni apprendre la langue fran�aise. R�volte collective pour Arezki Metref qui participe aux �meutes et veut monter au maquis venger les injustices avec les m�mes de la cit�. Le r�ve change de camp. Pour ceux qui doivent quitter l�Alg�rie comme Alain Vircondelet, la France alg�rienne devient douleur de l�absence, plaie ouverte, nostalgie. Nostalgie aussi pour Jean Daniel, Louis Gardel, conscients aujourd�hui de l��pre r�alit� que masquait leur paradis. Tous ces r�cits sont autant de styles d�in�gale facture litt�raire. Certains plus distants rel�vent davantage de l�observation, d�autres plus poignants s��l�vent au rang de la nouvelle. Si le sentiment d�humiliation, d�injustice est pr�gnant chez ceux qui ont v�cu enfant, du c�t� �indig�ne�, le traumatisme de la colonisation, l�attachement � cette terre meurtrie est commun � tous ceux qu�elle a fa�onn�s au rythme de ses rires et de ses peines.
Meriem Nour
C��tait leur France,
En Alg�rie avant
l�Ind�pendance,
textes in�dits recueillis par Le�la Sebbar, Editions


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