Jusqu�� ce jour, les �crits sur les harkis sont essentiellement le fait de harkis eux-m�mes ou le plus souvent de leurs enfants. Un ouvrage, intitul� Les Harkis dans la colonisation et ses suites * vient d��tre publi� et pr�sent� � Paris, par ses auteurs : Fatima Besnaci-Lancou, pr�sidente de Harkis et droits de l�homme et �crivaine, et Gilles Manceron, historien et membre du comit� central de la LDH. De notre bureau de Paris, Khadidja Baba-Ahmed L�int�r�t de l�ouvrage tient d�abord dans ce que, pour la premi�re fois, l�histoire des harkis est replac�e dans son v�ritable contexte, bien souvent occult� : la colonisation de l�Alg�rie. Non moins importante est l�approche retenue dans cet ouvrage qui donne la parole � des historiens, � des sociologues, � des psychologues souvent �ext�rieurs � cette histoire � mais aussi aux �protagonistes de la guerre d�Alg�rie�, ceux qui �taient du c�t� des occupants et ceux qui luttaient au sein de l�Arm�e de lib�ration nationale. Deux de ces derniers, Mohamed Harbi, professeur �m�rite � Paris 8, historien et auteur de nombreux ouvrages sur l�histoire du FLN, et Ali Haroun, ancien responsable FLN, membre du CNRA et ancien ministre, se sont exprim�s dans cet ouvrage : le premier a donn� sa vision de la notion de �choix� des harkis � s�engager du c�t� des colonisateurs et l�autre est revenu sur les massacres de harkis en 1962, pr�sent�s par beaucoup ici en France, comme �tant la r�sultante d�une instruction du FLN. Tout en d�mentant cette th�se et en nuan�ant sur les chiffres avanc�s sur ces massacres, Ali Haroun consid�re qu�il y a n�cessit� � tourner cette page douloureuse et explique : �d�s lors que la r�conciliation nationale est aujourd�hui �voqu�e pour justifier le pardon accord� aux int�gristes islamistes qui ont commis des crimes d�une atrocit� jamais atteinte dans l�histoire de l�Alg�rie, pourquoi le refuser aux harkis� ?� M�me si rendre compte de cet ouvrage tr�s dense, du seul point de vue de ces deux personnalit�s alg�riennes est sans aucun doute tr�s r�ducteur, il nous semble toutefois important pour nos lecteurs de voir comment deux anciens acteurs importants de la guerre de Lib�ration nationale analysent aujourd�hui cette p�riode de notre histoire. Harbi : �Les conditions sociopolitiques non �trang�res au ralliement des harkis Le discours dominant sur les harkis du c�t� de l�Alg�rie peut se r�sumer ainsi : les harkis ont fait pendant la guerre de Lib�ration nationale le choix de combattre aux c�t�s des forces fran�aises d�occupation, pourquoi revenir aujourd�hui sur cette histoire de harkis, une histoire franco-fran�aise ? Mais ce n�est pas aussi simple que cela. La r�ponse exige d�abord de revenir sur cette notion de choix. C�est justement ce que fait Mohamed Harbi en appelant � ne pas g�n�raliser et en affirmant que ce choix �est loin de s�appliquer � la plupart� des harkis, m�me s�il s�agit bien d�un choix pour �un certain nombre d�aventuriers ou de notables� qui se sont consciemment et sciemment engag�s du c�t� de la France. Pour l�ancien combattant et historien, �il est bien difficile de porter un jugement cat�gorique � sur les itin�raires des harkis. Harbi �voque � ce propos son propre t�moignage (diff�rent, dit-il d�une opinion d�historien) : lors de son incarc�ration � Lamb�ze en 1965, apr�s le coup d�Etat, il s��tait retrouv� emprisonn� avec de nombreux harkis. Des longues discussions avec ses compagnons d�infortune, Harbi apprend qu�une bonne partie d�entre eux �taient d�anciens maquisards faits prisonniers par l�arm�e d�occupation et qui ont �t� �retourn�s� par elle. D�autres ont cherch� � sauver leur vie, suite aux crises de wilayas qui avaient �clat� alors, tous en tout cas, se sont retrouv�s du c�t� fran�ais d�une mani�re �subie et non consentie�. A un autre plan, celui de l�histoire, Mohamed Harbi rappelle les conditions sociopolitiques de l��poque qui ne sont pas �trang�res � certains ralliements : le regroupement, par l�arm�e coloniale, des populations des campagnes et leur cons�quent d�racinement �ont provoqu� une v�ritable crise dans la soci�t� rurale� qui n�a pas �t� prise en compte et ont amen� les familles � survivre �comme elles pouvaient�. Celui qui a toujours eu un �il critique sur le mouvement de lib�ration nationale dont il �tait un important acteur et dont les analyses n�ont jamais �t� manich�ennes, pr�cise encore : �L�ampleur des ralliements et des coop�rations de certains villages avec les militaires fran�ais n��tait pas in�vitable. C�est la m�connaissance de la soci�t� rurale de l�Alg�rie m�me qui a fait que ce ph�nom�ne a pris une telle ampleur. Il y avait dans l�attitude de certains dirigeants de maquis une sorte d�erreur conceptuelle dans la mesure o� ils partaient de l�id�e que, dans l�ensemble du pays, l�opinion �tait totalement acquise aux id�es nationalistes �. Or, pour Harbi, dans certaines r�gions rurales, le �lignage� ou encore �la confr�rie� �taient des identit�s plus pr�sentes que l�identit� nationale. Et pour compliquer encore la donne, certaines attitudes �brutales�, �autoritaires �, sans discussion aucune, ont provoqu� le rejet � la cause. Quant aux Alg�riens ou encore les Fran�ais anti-colonialistes qui assimilent les harkis aux collaborateurs, �ils ont tort� dit l�historien qui poursuit : �Ce type de vocabulaire n�est pas adapt� et fait �cran pour comprendre la r�alit� de ces ph�nom�nes.� Pour cerner celle-ci, Harbi appelle en conclusion � �tudier l�histoire d�une mani�re plus pr�cise et � renoncer le plus vite possible � toute une s�rie de stigmatisations dangereuses. Ali Haroun : �Il faut pardonner comme on l�a fait pour les tueurs islamistes� C�est bien en nuance que Ali Haroun aborde la question des harkis, sans toutefois omettre de rappeler que si les harkis ont souffert des deux c�t�s de la M�diterran�e et s�il ne peut se prononcer sur ce qu�ils ont subi en France, la question �tant franco-fran�aise, en Alg�rie aussi, tr�s nombreux sont les Alg�riens qui eurent � subir des violences parfois horribles, des �moghaznis�, �GMR� �goumiers� et autres �harkis� qui avaient agi aux c�t�s ou dans les rangs de l�arm�e fran�aise. Tous et peut-�tre m�me 90 % d�entre eux n�ont pas eu ce comportement parce qu�ils �taient surveillants ou �claireurs et n�avaient pas d�armes, mais les autres �ont commis des actes que les gens du village n�ont pu oublier ni pardonner�. Quant aux massacres de 1962, si Ali Haroun confirme comme il l�a d�j� fait dans un de ses ouvrages que �les repr�sailles furent inhumaines �, il explique cependant qu�il est difficile d�en imputer la responsabilit� � la direction du FLN qui �tait alors bris� et d�sarticul� par la crise de Tripoli de juin 1962 et n�avait plus, comme autorit� unique et centrale, la capacit� de donner des ordres ob�is et respect�s sur l�ensemble du territoire. Sur le nombre de harkis tu�s au moment de l�ind�pendance, dont certains avancent le chiffre de 80 000, Ali Haroun rappelle qu�aucune statistique officielle d�un c�t� comme de l�autre n�a pu �tre �tablie, et s�interroge : �Ce chiffre de 80 000 para�t invraisemblable, car si l�arm�e fran�aise a perdu 30 000 hommes au cours de sept ann�es et demie de guerre, comment croire que 80 000 harkis auraient �t� assassin�s en quatre mois, ce qui suppose 660 meurtres par jour ?� Mais au-del�, dit encore Ali Haroun, �pourquoi souffrir encore des �claboussures d�un mal, que d�un c�t� comme de l�autre, nous pourrions effacer dans l�int�r�t de nos deux pays, de notre g�n�ration et de celles � venir ?� Et d�s lors que le pardon est accord� aux int�gristes islamistes, au nom de la r�conciliation nationale, �tendre ce pardon aux harkis �ne saurait que donner une plus grande port�e humaine� � cette r�conciliation qui �n�en aurait que plus de r�sonance � l��tranger �. * Les harkis dans la colonisation et ses suites de Fatima Besnaci-Lancou et Gilles Monceron, pr�face de Jean Lacouture Editions de l�Atelier. F�vrier 2008.