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Retour � Sour Par Arezki Metref [email protected]
Publié dans Le Soir d'Algérie le 02 - 03 - 2008

Tahar m�a fait la proposition suivante � Alger : �Nous allons � Sour El Ghozlane. Toi, tu vas visiter ta ville natale et tes copains et moi j�irai sur le tombeau de Tacfarinas.� O� se trouve la s�pulture ? �Sans doute pas loin de la ville ; j�ai lu �a quelque part sur le Net.� Nous topons. Le bouchon r�gulier sur l�autoroute de l�est est � l�heure. Nous nous tirons tant bien que mal du goulot d��tranglement. La pollution aux gaz br�l�s ajout�s aux miasmes de la d�charge teigneuse de Oued Smar est � couper au couteau.
Au secours, �a continue, et �a empire ! Ce n�est qu�apr�s les gorges de Lakhdaria qu�un peu d�air pur nous est donn� � respirer. Nous grimpons cahin-caha. Apr�s Bouira, sur la route d�A�n Bessam, les voitures se rar�fient. Nous sommes, l�, loin de la ville d�dal�enne et tentaculaire. La densit� de la population doit chuter d�un coup. Nous entrons dans Sour El Ghozlane. La ville a d�bord� depuis belle lurette le rempart � quoi elle doit son nom. Nous arrivons dans une sorte de faubourg � l�urbanisme aussi d�chiquet� que partout ailleurs. Les nouvelles constructions couvrent les parois escarp�es des collines dont le creux est surplomb� par la vieille ville dress�e, elle, � l�int�rieur de l�enceinte des murs, comme une citadelle aux aguets contre l�adversit� qui, du comptoir ph�nicien � l�Aumale coloniale en passant par l�Auzia romaine, a d� son salut � la vigilance et � l��veil. Mais le guetteur a baiss� la garde. Il a m�me baiss� bras. La ville perd alors son unit� pour se d�composer en miettes disparates. Hors les murs, point de cachet ! Achour nous attend. Il nous a donn� de vagues indications sur son adresse en nous assurant qu�en demandant notre chemin, on finirait par le trouver. Nous le rep�rons presque sans difficult�s. Il occupe un appartement dans un immeuble r�cent du quartier dit �Syndicat�. De sa fen�tre, il nous montre un des monts qui ceignent la ville : �C�est le djebel Dirah�. Achour a longtemps v�cu � Lakhdaria. Il est � Sour depuis cinq ans et il reconna�t : �Contrairement � ce qu�on colporte, les gens de Sour sont bien�. Je lui demande de me conduire aupr�s de notre ami Messaour Boulanouar. Achour appelle un de ses amis, Rachid A., professeur de lettres. Ce dernier nous y emm�ne. Voil� la Cit� du G�nie o� habite le po�te. Le professeur de lettres va le qu�rir. Nous devons patienter quelques instants. El Kheir, surnom du po�te � qui nous devons �La meilleure force�, un recueil torrentiel de lyrisme et de combat, se repose. Il nous re�oit. Marqu� par la fatigue, Messaour Boulanouar demeure un po�te passionn� et passionnant, abattant un travail consid�rable, men� essentiellement la nuit, indiff�rent � raison au chant des sir�nes �ditoriales et m�diatiques, au narcissisme port� en sautoir dans les all�es o� les muses sont cens�es vouer leur pr�dilection aux heureux �lus. Lui, dans sa ville proven�ale natale o� il a toujours v�cu et �crit, il se consacre � ce qui lui importe le plus, l�exemple d�un autre po�te, Paul Eluard, qui condensait sa d�marche dans ce credo : �Je dure pour me perfectionner �. Messaour Boulanouar atteint, dans son amour tourment� de la po�sie et dans la pratique int�rioris�e de celle-ci, un niveau de simplicit� et de profondeur digne de la parole �pur�e et dense d�un Ren� Char. Au fond, c�est quoi un po�te ? Messaour Boulanouar r�pond � cette identit� d�crite par Victor Hugo : �Un po�te est un monde enferm� dans un homme.� Le temps n�a pas �mouss� la m�moire du po�te. Il �voque dans le d�tail la visite que nous lui avions rendue avec Abdelmadjid Kaouah il y a plus de vingt-cinq ans. Il a gard� en m�moire au mot pr�s les termes des �changes que nous avions eu toute une apr�s-midi. Nous avions parl� de po�sie. Il nous avait fait le cadeau de nous lire quelques-uns de ses po�mes in�dits. Le temps ne semble pas rider ce monde qu�est le po�te. Il n�y a pas pos� ces marques r�dhibitoires qui alt�rent la parole ou la masquent carr�ment. Au contraire, le temps est un alli� de la v�rit� po�tique. Oubli� dans son coin, Messaour Boulanouar empile les manuscrits que nos �diteurs ont tort de ne pas aller extraire comme on extrairait la nacre de l�hu�tre. Jean S�nac ne disait-il pas �partager le po�me, c�est ouvrir une nacre�? Jean S�nac fut son ami, comme le furent Kateb Yacine et M�hamed Issiakhem. Messaour Boulanouar est de l�envergure de ces fondateurs de la litt�rature, de la po�sie, de la culture alg�rienne. En relisant, je m�aper�ois que tout cela a �t� dit. Et que quelques-uns de ses cadets po�tes, dont Kaouah, et c�est tout � son honneur, militent depuis des ann�es pour que Messaour Boulanouar occupe la place qui lui est due dans l�univers des lettres alg�riennes. En lui rendant visite, j�ai ressenti combien est moche ce monde qui rel�gue dans l�oubli les po�tes authentiques qui nous apportent la beaut�. Et, dans le fatras existentiel qui nous sert de fil d�Ariane pour aller vers un peu de lumi�re, je n�ai trouv� que ces mots pour r�sumer la visite � Messaour Boulanouar : humilit� et �motion. Nous quittons El Kheir avec la promesse de garder cette fois-ci le contact. Achour m�apprend que Kamel A. est � Sour. On se voyait pas mal dans ces ann�es soixante-dix, pleines de soleil et d�espoir. Il �tait �tudiant � Alger. Il avait commenc� � y travailler avant que la conjonction d�obligations familiales et la saturation de la grande ville le fasse revenir au bercail. Nous allons le saluer. Achour va le chercher. La surprise ne dure pas longtemps. Il me reconna�t en quelques secondes. Nous �voquons le temps d�avant. Le temps d�avant ? Nostalgie? Peut-�tre juste le d�sir d�un peu d�ancrage dans l�essentiel. Dans l�enceinte de la cit�, Achour m�explique la topographie et la toponymie des quatre portes de Sour. Porte d�Alger, de S�tif, de Boussa�da et la porte de M�d�a. Le rempart est �ventr� par endroits. Nous filons vers El Hakimia par un chemin vicinal. 10 kilom�tres environ. Le village est blotti au pied de djebel Moqnine, le mont au moineau. Comment trouver le tombeau de Tacfarinas ? Un chaland, � qui nous demandons notre chemin, nous fait pr�ciser de quel cimeti�re il s�agit. Il s��crie : �Celui qui est construit avec les pierres des djouhala� ? Le tombeau suppos� de Tacfarinas domine un monticule sur les flancs duquel s�alignent des tombes en parpaing nu. Entour� des fleurs des champs, le petit cimeti�re est � l�abandon. Pas une plaque pour instruire de la valeur historique du mausol�e. Deux hommes, venus en voisins, nous expliquent le peu qu�ils savent de cette histoire enfouie. Une sorte de guides improvis�s et de bonne volont�, qui ont acquis par impr�gnation des bribes d�histoire de la r�sistance berb�re � Rome. Devant notre �tonnement, l�un d�eux nous apprend qu�une inscription assortie du dessin d�une grappe de raisin est grav�e sur la paroi sup�rieure d�une des pierres monumentales du tombeau. Nous ne pouvons y acc�der. Sans ces guides improvis�s, le cimeti�re resterait anonyme. On ne saurait que l� est suppos� �tre inhum� une des figures de la d�fense de cette terre contre la conqu�te et la domination romaine. Nous repartons � la pointe du soir. J�ai une pens�e pour les h�ros, ceux de la r�sistance comme ceux de la parole, et ceux des deux, enfouis dans l�oubli, eux aussi, parfois alors m�me qu�ils sont vivants. J�ai une pens�e pour Djamal Amrani, n� ici. Une pens�e pour M�hamed Aoune et, bien entendu, pour Messaour Boulanouar. Po�tes des hautes plaines, po�tes de haute parole !

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